Dans son livre ,
Melting pop. De Britney Spears à Keiji Haino, la pop music et son
contraire, Clément Tuffreau, promeneur écoutant éclairé nous livre sa
conception d’un genre qui n’en est pas un. Et ce faisant, il en donne
une définition qui a autant à voir avec les sciences sociales que la
musicologie. Un peu comme si les Inrockuptibles avaient lu Guy Debord
un peu plus sérieusement. Il fallait que ça arrive. Au milieu du flot d’ouvrages consacrés
à tous les genres de musiques populaires que l’édition fait parvenir
aux libraires, arrive enfin un livre consacré à la POP. Mais ce livre
se démarque des autres parce qu’’il refuse de décrire un genre. Le
genre selon l’auteur n’étant, à tout prendre, qu’un argument de vente,
un élément permettant au consommateur de se repérer dans les bacs des
disquaires. Fort de ce parti pris, il conçoit donc à juste titre, la
pop comme un élément de la société du spectacle ; mieux, LE grand
système de représentation de toutes les musiques populaires. C’est
ainsi que dans ce livre se côtoient Britney Spears et John Zorn,
Madonna et Alec Empire, Missy Elliott et Einsturzende Neubauten, Dr Dre
et Keiji Haino, Eminem et Sonic Youth, Marylin Manson et Steve Albini.
Tous sont analysés à travers le même filtre. Celui, croisé, des
sciences sociales et de la musicologie. Ce choix, pour iconoclaste qu’il
paraisse, est surtout très pertinent. Il permet ainsi à l’auteur de
construire une réflexion sur la pop en tant que phénomène global à
l’ère de la globalisation. Il donne ainsi à voir le champ social de la
musique comme un jeu de miroir ambigu entre un underground industriel,
radical, guerrier, ténébreux anonyme, altermondialiste, intègre, pur,
et un mainstream lisse, doucereux, fabricant de fantasme plus que de
musique, conformiste, formaté. Mais là où l’auteur est habile, c’est
qu’en associant dans un même livre spectacle des musiques consensuelles
et opacité des undergrounds alternatifs il les lie de façon
consubstantielle. Le travail du critique est ici de cerner la place
occupée par chacun dans le spectre des musiques actuelles, de saisir
comment les rôles sont distribués, de comprendre qui est le
contre-modèle de qui et qui offre un contre-champ à l’œuvre de l’autre.
Le lisant, on a le bonheur de voir les faux prophètes remis à leur
place : Eminem et Marylin Manson sont ainsi définis comme les clowns,
les cautions d’une rébellion bon teint fabriquée pour MTV. A l’inverse
Sonic Youth ou Sunn O)))) deviennent l’incarnation de la musique
elle-même. Mais au delà du véritable effort de
réflexion sur la musique, il reste que la thèse du livre, très
tranchée, invite le lecteur à se positionner et à émettre à un certain
nombre de critiques. C’est ainsi que l’image, réduite aux flots des
non-images des clips de MTV, et le texte, pris dans le cadre réducteur
de la chanson française, sont conçus comme castrateurs de toute
musicalité. La musique, selon l’auteur, se libérerait de ces chaînes en
s’enfonçant dans les ténèbres les plus noires de l’underground. Loin du
flot des images du monde. On ne peut donner tout à fait tort à Clément
Tuffreau tant MTV se conçoit elle-même d’abord comme un promoteur du
Spectacle. Il reste que notre monde n’offre pas seulement des images
qui phagocyteraient systématiquement la musique. L’exemple récent de
l’association de la musique de Willliam Basinski (Disintegration Loops)
à l’image de la destruction des Twin Towers de Manhattan le 11
septembre 2001 donne à l’inverse le sentiment que la musique et l’image
peuvent entretenir des relations non-conflictuelles ; des relations où
la musique serait même l’élément qui amènerait à mieux regarder et à
réfléchir sur ce que l’on regarde. Ce positionnement sur la musique et
l’image serait sans doute plus nuancée si la définition de la pop de
Clément Tuffreau s’élargissait encore et intègrait davantage les
apports nouveaux des musiques d’écoute (ou de patience selon son joli
mot) notamment grâce à leurs relations avec les autres arts. Et puis en ce qui concerne le texte,au
delà de tous les exemples qui pourraient montrer à quel point sa
position est extrême, il faut gager que la thèse d’Etat préparée par
l’auteur sur la poésie amplifiée et enregistrée (quel beau sujet !)
vienne justement contredire son idée selon laquelle texte et musique
font si mauvais ménage. Et puis à la fin, selon les propres écrits de
Clément Tuffreau, les artistes ne lisent-ils pas les critiques pour les
contredire et offrir des perspectives insoupçonnées ? NONO Titre : MELTING POP : De Britney Spears à Keiji Haino, la pop musique et son contraire. Auteur : Clément Tuffreau Editions : Chiron Date de parution : 2005
source : http://www.laptitemaison.com
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