Colloque juin 2010 :
En introduction, Benoît Cassaigne, Directeur des mesures d’audience de Médiamétrie, a dressé un portrait de la génération 15-24 ans.
Les 15-24 ans sont une tranche d’âge suréquipée en télécommunications et en télévision, ils ont à disposition dans leurs foyers, parental ou individuel, de nombreux écrans, PVR etc… Ils ont tendance à consommer moins de télévision avec une durée d’écoute quotidienne de 1h45 contre 3h27 pour l’ensemble de la population. Cette sous-consommation télévisuelle est conséquence de plusieurs facteurs : - les 15-24 ans sont une génération mobile, peu présente à son domicile et qui dispose d’un temps contraint par rapport à ses aînés : leur présence à l’école à la mi-journée a par exemple pour effet de réduire de 30% leur consommation TV entre 12h et 14h. - Ils sont par ailleurs de grands consommateurs pluri-média avec une forte écoute de la radio, portée par les stations musicales (NRJ, Virgin Radio, Skyrock et Fun Radio), de 10 points supérieure à celle de l’ensemble de la population - Ils sont surconsommateurs du web (88% disposent d’un accès Internet contre 70% pour la moyenne des français) qui représente un apport à leur consommation de contenus télévisuels. Les 15-24 ans affichent en effet une forte attractivité pour la catch-up qu’ils regardent en moyenne 18 minutes contre 4 minutes pour les 15 ans et +.
Toutefois, ce portrait générationnel est à tempérer par l’hétérogénéité des profils rencontrés au sein de cette cible. Benoît Cassaigne, rappelle à cet effet que ce public est à la fois composé d’adolescents en situation de rupture sociologique avec les générations plus âgées et de jeunes adultes qui se mettent en ménage, sortent moins, et dont la consommation se calque petit à petit sur celle de leurs aînés. Toutefois, quelque soit leur statut, les 15-24 ans restent attirés par certains programmes grands publics tels que les grands événements télévisuels (NRJ Music Awards…), le cinéma ou encore la fiction US comme Dr House. Ils sont également particulièrement attirés par les chaînes thématiques et par la TNT, univers sur lequel leur affinité peut atteindre des taux records (>180). Benoît Cassaigne conclut son intervention en rappelant que, s’il y a toujours eu un écart entre la consommation média des jeunes publics et celle de leurs aînés, l’évolution des pratiques et plus particulièrement la mobilité, a pour effet d’accroître ce fossé.
Une conclusion qui vient appuyer le discours de Thierry Cammas, Président-Gérant de MTV Networks France, qui place l’écran mobile au centre des stratégies de développement de MTV comme un « écran ultime ». Une stratégie qui se révèle payante puisque MTV affiche un nombre d’abonnés mobile deux fois supérieur au nombre d’abonnés via câble. Le parc mobile commence ainsi à représenter pour MTV une audience conséquente, avec une consommation mobile mensuelle qui équivaut à une journée d’audience TV (soit 3%). Pour Thierry Cammas, cette consommation multi-écrans et en mobilité tend à se généraliser en raison de l’hyperconnectivité des jeunes générations pour lesquelles, d’après le philosophe Michel Puech, le téléphone mobile est devenu un objet « prothétique », c'est-à-dire un prolongement naturel du corps et de ses fonctionnalités. En ce qui concerne les évolutions du « produit MTV », Thierry Cammas rappelle qu’aujourd’hui, MTV est n°1 auprès des jeunes sur l’écran fixe et que par conséquent, l’accompagnement de ces consommateurs spécifiques ne peut se faire que par le biais de stratégies cross media, le « simulcast » mobile devenant ainsi un prolongement naturel de l’antenne TV. A cet effet, la stratégie de MTV est la production de contenus adaptés, reformatés, « made for mobile » autour de formes plus narratives. Cette stratégie à la fois offensive et défensive est la réponse de MTV à un marché dont les faibles barrières à l’entrée risquent d’engendrer une explosion concurrentielle. Très vite, le numérique va être le théâtre d’une « hyper-profusion » de contenus transmedia et, selon Thierry Cammas, la seule chance de survie des acteurs historiques est d’inciter les nouvelles générations à aller vers de nouveaux usages en se positionnant comme instigateur de nouveaux comportements.
Une idée à laquelle s’associe Claude-Yves Robin, Directeur général délégué en charge du Marketing et de la Communication de France Télévisions, qui au travers de Ludo, la nouvelle offre « jeunesse » du groupe, espère ré-enchanter l’écran de télévision en permettant aux jeunes téléspectateurs de se le réapproprier, d’en prendre le contrôle. A cet effet, plusieurs options s’offrent aux chaînes : développer des jeux multi-joueurs, des marques multi-écrans, investir dans des programmes inédits… Pour Claude-Yves Robin, les formats doivent s’adapter aux nouvelles générations attirés par des formes plus courtes, plus dynamiques et plus audacieuses.
Des stratégies que mettent en pratique les chaînes France Télévisions souvent montrées du doigt pour leur public vieillissant. Une accusation que tempère Claude-Yves Robin en rappelant que grâce à France 4, les 15-24 ans représentent 19% de l’audience de France Télévisions. Il souligne également que les chaînes historiques conservent une importante capacité d’attractivité auprès des jeunes à l’image du succès du docu-fiction Apocalypse dont l’audience sur les 15-24 ans a cru de 20% entre le premier épisode et le dernier épisode. Un programme événement, à l’écriture innovante qui s’est par ailleurs particulièrement bien prêté au comportement multitâche des jeunes téléspectateurs avec un important relais sur le réseau social Facebook.
Claude-Yves Robin assimile ensuite la désertion globale des jeunes publics à un phénomène structurel. Selon lui, les 15-24 ans ne se détournent de l’écran de télévision que parce qu’ils n’en ont pas le contrôle face à la figure parentale. Ainsi, la surconsommation d’Internet ne serait qu’une pratique par défaut et les programmes TV demeurent fortement attractifs comme l’indiquent les performances de la catch-up. A l’avenir, la multiplication des téléviseurs, dont les ventes ont progressé de 20% entre 2008 et 2009 (soit +1.5M) vont porter le nombre moyen d’écrans à 3 par foyer ce qui marquera le retour des 15-24 ans dans une consommation partagée de la télévision, linéaire et non linéaire. Malgré une baisse relative de leur durée d’écoute, la télévision demeure le premier loisir de la nouvelle génération, un état de fait qui, Claude-Yves Robin en est convaincu, assure un bel avenir aux contenus TV.
Gérald-Brice Viret, Directeur délégué au pôle télévision du Groupe NRJ, a lui aussi réaffirmé sa confiance dans le média TV. En tant que diffuseur TV, il ne perçoit pas le web comme une concurrence dangereuse, puisque selon lui, les jeunes seront toujours attirés par la TV et ses contenus exclusifs. L’avenir de la TV réside dans la création de contenus exclusifs, et dans leur diffusion non linéaire (cette dernière étant corrélative des évolutions de la mesure d’audience).
Le web est davantage un outil pour les chaînes. Ainsi pour ces programmes de flux inédits spécifiquement destinés au public jeune tel que 12 cœurs ou Tellement vrai, la chaîne utilise le web comme un soutien de l’antenne permettant de faire buzzer autour du programme. Ce prolongement de l’antenne peut être utilisé, avant, pendant ou après la diffusion TV. Le web fait alors office de caisse de résonance aux programmes TV, et permet de viser plus rapidement le public.
Le directeur de NRJ 12 a rappelé l’attractivité des chaînes de la TNT auprès des 15-24 ans par rapport aux historiques, et le paradoxe que cela entraîne : les chaînes ciblent et atteignent les 15-24 ans en leur proposant des programmes adaptés, en revanche, elles souffrent d’un déficit de puissance sur la cible des 4 ans et plus. En effet, aucune chaîne de la TNT n’a aujourd’hui réussi à installer un programme transgénérationnel à l’instar de ce qu’a réussi France 3 avec Plus belle la vie. Ainsi, pour les chaînes, l’enjeu à venir se situe davantage dans le ciblage des publics. Il est en effet nécessaire d’élargir au-delà des 15-24 ans et d’attirer les 15-49 ans, une équation que les chaînes TNT ne sont pas encore parvenues à résoudre. Confiant Gérald Brice cite l’exemple de la chaîne privée espagnole Antena qui est parvenue à installer (et exporter) une série pour les jeunes transgénérationnelle Physique ou chimie (que NRJ 12 diffuse également).
La productrice de la série Cœur Océan Florence Dormoy, évoque les difficultés liées à la production d’une série pour adolescents et les évolutions qui ont été mises en place sur la série depuis sa mise à l’antenne. A son lancement Cœur océan était diffusé dans la case jeunesse de France 2 KD2A, le programme a connu un vrai succès sur la chaîne et en VOD, puis l’érosion globale de l’audience des chaînes historiques a entraîné un recul de l’audience de la série. La production a décidé de faire évoluer le contenu de la série, afin de la rendre moins segementante. En effet, dès le début, la série a dépassé le cadre du public jeune et a notamment plu aux ménagères de moins de 50 ans. Cœur Océan a profité du réaménagement de la case jeunesse KD2A (trop estampillée « jeunesse »), dont les séries ont été sorties pour être diffusées dans la case Nouvelle génération, et la nouvelle mouture de la série s’adresse dorénavant à une cible plus élargie (avec des héros âgés de 20 à 25 ans). Dans sa réflexion sur la consommation des cibles jeunes, Florence Dormoy s’interroge sur la programmation de la fiction jeunesse. Elle regrette que celle-ci soit pour le moment concentrée pendant les périodes de vacances scolaires. De plus, elle déplore un manque de moyen de la part des chaînes pour développer une marque média global, ainsi qu’une absence de concertation entre les équipes fiction et les équipes du web. Elle explique par ailleurs la désaffection de la fiction française par les publics jeunes par une non adaptation des contenus, selon elle, « les séries jeunesse sont trop jeunes » et ne peuvent attirer un public suffisamment large.
En tant qu’acteur du web, Grégoire Lassalle, directeur Général d’Allociné, perçoit les nouveaux services et supports tels que les applications mobile, ou tablettes, comme une nouvelle concurrence inéluctable et dangereuse. En effet, selon lui ces nouveaux outils vont contribuer à « ringardiser » les anciens médias. Dans ce nouvel environnement la bataille de demain sera celle des contenus et pas des marques, ce qui réduira les barrières à l’entrée pour les petits acteurs.
Concernant sa stratégie à venir, Grégoire Lassalle a confirmé le projet de lancement d’une chaîne de TV. En effet le lancement d’une chaîne de TV représente pour un acteur du web une opportunité économique intéressante liée à son modèle économique qui assure des revenus publicitaires tout en permettant de diversifier son activité. Lancement d’une chaine de TV
Autre représentant du web présent à la table ronde, Martin Rogard, Directeur France de DailyMotion a souhaité répondre aux diffuseurs TV en affirmant qu’il est faux de croire que sur les plateformes vidéos les internautes ne consomment que des contenus promotionnels issus des chaînes de TV. Martin Rogard a donné l’exemple des Etats-Unis, ou l’essentiel de la consommation de vidéos concerne principalement des contenus vidéos non télévisuels, la catch-up ne représentant qu’une part restreinte.
Ainsi le 1er compte sur Dailymotion est un compte UGC amateur, viennent ensuite les radios et des webséries exclusives. La consommation web n’est pas complémentaire à la télévision car les types de contenus consommés ne sont pas les mêmes que ceux qui sont diffusés en TV, ainsi la musique ou le cinéma (à travers des courts métrages) sont particulièrement consommés en TV par les publics jeunes. Plébiscitée par les jeunes, la musique représente 25% des consommations sur Dailymotion, toutefois les contenus consommés ne se résument pas aux clips mais les internautes consomment également des interviews, making of, clips indépendants.
En dehors de ces contenus surconsommés, la middle tail est composé de quelques acteurs traditionnels qui ont basculé sur le web, on retrouve ainsi quelques chaînes de la TNT qui ont signé des alliances avec les acteurs du web Ainsi Banijay pour son programme de télé réalité Dilemme a mis en place un dispositif complet de diffusion via Dailymotion. Les contenus proposés ne sont pas les mêmes que sur la chaîne, l’internaute peut choisir le flux qu’il regarde. Ce dispositif est également disponible sur Iphone ou Ipad. Ainsi le web offre ici une forte complémentarité avec la TV. Depuis le lancement du programme 5M de vidéos ont été vues. Le modèle économique de ce partenariat repose sur un partage des revenus (sans minima garanti).
Comme Grégoire Lassalle, Martin Rogard considère que la concurrence pour son site provient des nouveaux supports tels qu’Iphone et Ipad qui proposent une multitude d’applications et services. Selon Martin Rogard, avec l’augmentation de la fragmentation des usages, la survie des pure Players passe par la captation de valeurs, avec, par exemple, les players embarqués (tel que l’accord SFR Dailymotion déjà existant).
Martin Rogard a rappelé qu’il est par ailleurs nécessaire de considérer le contexte d’utilisation de ces nouveaux supports afin d’orienter les stratégies, ainsi si les contenus consommés sont les mêmes d’un support à l’autre, les modes de consommation diffèrent (durée des sessions, interactivité, volume). Par ailleurs l’éditiorialisation des contenus sur les plateformes reste un élément central pour pousser la consommation, ils bénéficient d’une meilleure de hiérarchisation et recommandation sur IPTV que sur le web.
Représentant de la SACEM, Didier Antoine a souhaité revenir sur l’exposition de la musique sur les différents médias numériques et son impact sur les cibles jeunes. Très segmentante, la musique est difficile à diffuser pour les chaînes généralistes, si les jeunes sont sur-consommateurs de musique, toutefois l’offre et les formats musicaux diffusés en TV ne sont pas adaptés à ces publics jeunes (peu de renouvèlement, formats anciens). Ils ont alors tendance à consommer la musique sur d’autres médias et à délaisser les programmes TV consacrés à la musique. Didier Antoine déplore que les quelques programmes musicaux aujourd’hui diffusés soient des formats anciens, (Taratata à l’antenne depuis 17 ans) et qui ne correspondent pas à la demande des public jeunes en terme de musique.
Enfin la faible exposition de la musique en TV est selon Didier Antoine, due au cadre législatif qui l’entoure. En effet, il n’existe pas de soutien financier pour la production de programmes musicaux. Selon Didier Antoine, la télévision, surconsommée par les jeunes, a un rôle à jouer, et pourrait représenter davantage le secteur musical.
Didier Antoine a conclu en soulignant qu’un des dangers qui guette les médias numériques, et la télévision en particulier, est de faire croire que tous les contenus sont gratuits, l’exemple de la musique pour laquelle les jeunes ont pensé que le répertoire était accessible gratuitement devrait alarmer les professionnels.