Audience du Monde.fr, du Figaro.fr et de LExpress.fr selon Google Trends.
La polémique gronde dans le microcosme des éditeurs de presse :
certains sites d’information parmi les mieux classés acquièrent
artificiellement de l’audience, afin de mieux séduire les annonceurs.
Ces derniers font confiance à une seule mesure, que livre chaque mois
Médiamétrie-NetRatings, une filiale commune de l’institut Nielsen NetRatings et de Médiamétrie.
Chaque mois, le « classement Nielsen » est donc attendu avec
impatience (et angoisse) par tous les sites. Et chaque mois, ses
résultats donnent lieu à des communiqués triomphants et à de sourds
grincements de dents. Depuis l’été, les premiers viennent principalement
du Figaro.fr, qui
domine le classement des sites d’information. Au mois de décembre 2008,
il totalise 5,7 millions de visiteurs uniques (VU, chaque visiteur
n’étant compté qu’une seule fois dans le mois), en hausse de 3% par
rapport à novembre.
LeMonde.fr,
quatrième (derrière les deux agrégateurs Orange News et Yahoo News),
perd deux places et chute de 13%, à 3,8 millions. Au cinquième rang, LExpress.fr
remonte de cinq places et progresse de... 52% ! Rue89, 21e avec
1,03 million de VU (+2%), gagne une place et reste le premier « pure
player » (site non adossé à un autre média).
Alain Weill : « L’audience du Figaro est essentiellement artificielle »
Mais le principal enseignement de ce classement est que Le Figaro
écrase désormais Le Monde de près de 2 millions de VU, alors que début
2008, Le Monde devançait encore son concurrent. Et que tous les autres
instruments de mesure donnent Le Monde devant Le Figaro (lire
l’encadré).
Le match Le Figaro/Le Monde
Nielsen est le seul à placer le Figaro.fr devant le Monde.fr. Pour tous les autres, c’est l’inverse.
Nielsen fonctionne avec un panel de 25 000 internautes
représentatifs. Il s’agit d’une mesure d’audience « user-centric »,
centrée sur l’utilisateur. Une autre mesure « user centric », moins
connue, ComScore,
donne pourtant en décembre 3,1 millions de VU au Monde contre 2,3 pour
Le Figaro. Les méthodes de calcul sont secrètes dans les deux cas.
Les autres instruments de mesure sont « site centric », difficilement
comparables avec les précédentes. L’OJD, qui mesure les connexions
venues du monde entier (contrairement à Nielsen), attribue 40 millions de visites mensuelles au Monde, contre 20 au Figaro.
Chez Alexa comme chez Google Trends, LeMonde.fr domine largement.
Pendant que le lauréat du classement Nielsen claironnait sa fierté, un ex-journaliste du quotidien conservateur, Emmanuel Torregano, lançait la polémique en fustigeant sur son site, Electronlibre.info, les « Marco Pantani du web ».
Les éditeurs de presse en ligne n’hésitent plus à critiquer les
performances des leaders, particulièrement LeFigaro.fr. Mardi 3 février,
lors d’un déjeuner organisé par l’Association des agences conseil en communication dans le cadre de la Semaine de la publicité,
le patron du Nouvel Observateur (3,1 millions de VU au classement de
décembre), Denis Olivennes, a évoqué des chiffres du Figaro « en
apparence, excellents ».
Alain Weill, PDG du groupe NextRadioTV (BFM, La Tribune...), a été plus clair :
« Comment est constituée l’audience du Figaro ? Essentiellement artificiellement. »
Bertrand Gié, directeur délégué des nouveaux médias au Figaro, prend cette polémique avec le sourire :
« Tant mieux si nos concurrents s’interrogent, car
pendant ce temps, ils ne se demandent pas pourquoi les internautes ne
vont pas sur leurs sites. »
Selon lui, les moyens artificiels auxquels son groupe recourt ne
représentent « que quelques pour cents » de son audience, soit
« peanuts ».
Il y a plusieurs manières de gonfler artificiellement l’audience d’un
site. Les plus courantes : y agréger l’audience d’autres sites ; acheter des mot-clés ;
et faire venir sur son site des internautes qui n’avaient pas l’idée
d’y venir. Aucun de ces moyens n’est proscrit par Nielsen.
30% d’audience artificielle pour L’Express
LeFigaro.fr use allègrement de ces trois procédés. L’achat de
mots-clés, d’après Bertrand Gié, représenterait « 1% ou 2% » des VU du
Figaro.fr. Impossible à vérifier. Mais selon les très confidentiels
chiffres de répartition de l’audience Nielsen que Rue89 s’est procurés
(établis avec le précédent instrument de mesure, modifié en juillet
2008), une partie importante de l’audience du site est générée
artificiellement.
Une partie est apportée par des agences de génération de trafic, du type LSF Interactive, KDP (qui explique sur son site comment elle a travaillé pour RTL.fr) ou Mediastay.
Certaines de ces agences n’hésitent pas à proposer explicitement à
leurs clients de doper leur score dans le classement. Un commercial
confesse ainsi qu’« empiriquement », son agence a constaté pouvoir faire
monter d’un mois à l’autre le nombre de VU de ses clients « de
pourcentages à deux chiffres » dans le classement Nielsen. « La plupart
des agences en sont capables », dit-il.
En pratiquant leurs opérations de marketing classique, les agences
ont constaté qu’elles touchaient des « panélistes » Nielsen. Ce qui
montre qu’elles arrivent à les cibler.
Des scores boostés de plus de 10% d’un mois sur l’autre
Le Figaro travaille avec LSF Interactive (comme L’Express ou France 24) et avec Mediastay, qui édite des sites de jeux comme Kingoloto,
notamment. Avant de valider son jeu, l’internaute est obligé de cliquer
sur une bannière renvoyant au Figaro.fr (ou à d’autres sites
partenaires). Cette méthode apporte en décembre 9% du trafic du site.
LeFigaro.fr tire aussi 6% de ses visiteurs du site LeConjugueur.com, qui ne lui appartient pas, mais avec qui il a noué un « partenariat ». Nielsen tolère ce « cobranding ».
Au total, en excluant l’achat de mots clés, au moins 15% du trafic du
Figaro.fr est donc généré artificiellement. Les sites concurrents, à
commencer par le grand rival LeMonde.fr (dont 100% de l’audience se
réfère à des URL débutant par lemonde.fr/), ne considèrent pas que c’est
« peanuts ». Sans jamais mentionner LeFigaro.fr, le directeur de la
publicité du Monde.fr, Arthur Millet, dénonce :
« Il y a des sites classés comme des sites d’information
dont moins de 40% du trafic vient de l’information. On va faire la même
chose pour leur montrer que c’est possible de devenir premier comme
ça. »
Autre site très jalousé dans la profession, LExpress.fr, qui a
augmenté son audience de moitié en décembre, retire plus de 30% de ses
VU d’autres sites appartenant à son groupe (LExpansion.com,
LEntreprise.com, Votreargent.fr, Lire.fr...). Selon les critères de
Nielsen, ceci n’a rien de problématique, et la rédaction en chef de
LExpress.fr assume totalement.
« Médiamétrie est dans le déni du problème »
Pour Arthur Millet, « Médiamétrie est dans le déni du problème » du
dopage artificiel. Le directeur de Médiamétrie-NetRatings, Julien
Rosanvallon, n’est pas de cet avis :
« Si un acteur fait une campagne de promotion, il est
normal que son trafic augmente. Ensuite, le point que soulèvent ces
questions, c’est celui des conventions : est-ce que l’ensemble des
moyens de promotion peuvent être acceptés ? Nous sommes dans une logique
d’audit permanent avec le CESP [l’organisme interprofessionnel qui contrôle les audiences, ndlr]. »
Si des sites dopent ainsi leur trafic, c’est pour leur image. Ceux
qui carburent à l’eau claire considèrent que cela revient à mentir aux
annonceurs, puisqu’ils payent de la publicité sur des sites
d’information dont tous les visiteurs ne viennent pas pour
l’information.
Directrice du marketing et de l’innovation à l’Union des annonceurs, Françoise Renaud est claire :
« S’il y a des pratiques pernicieuses, le marché doit
prendre des décisions fermes. L’outil Nielsen est bon, mais son
utilisation fait que l’audience peut être gonflée. Un site peut-il avoir
une démarche promotionnelle ? Nous devons réfléchir à cela. Un signal
d’alarme est tiré, c’est bien, mais il ne faudrait pas que l’outil soit
déstabilisé. »
Une réunion du comité Internet de Médiamétrie, où siègent des
représentants de tous les acteurs du secteur, a lieu le 13 février. Elle
était prévue de longue date. On imagine sur quoi portera son ordre du
jour.
Graphique : audience du Monde.fr, du Figaro.fr et de LExpress.fr selon Google Trends.
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