Les entreprises sont de plus en plus nombreuses à jouer la carte du développement durable pour attirer de nouveaux clients. (lire l'article ici : clic ici)
JÉRÉMY DUMONT est le patron de Pourquoi tu cours ?, une « agence
d'idées », ainsi qu'il définit son entreprise. Pour lui, la
décroissance est un marché comme les autres. « Le mouchoir en tissu est
décroissant : il est réutilisable et respecte la nature. Le i-phone est
décroissant : un seul produit, plus de services », explique-t-il.
Il n'est pas seul à le penser. De plus en plus d'entreprises jouent
le développement durable pour attirer de nouveaux clients. La SNCF
propose sur son site Internet un éco-comparateur qui calcule l'impact
sur l'environnement du même voyage en train, en voiture ou en avion.
EDF prône la « consommation raisonnée » de l'électricité. La Poste a
lancé au début de l'année « l'éco-carnet », douze timbres au lieu de
dix, imprimés sur la même surface et sur du papier issu de « forêts
gérées durablement ». Le Groupement interprofessionnel des fabricants
d'appareils d'équipements ménagers (Gifam) offre une « éco-calculette »
qui détermine le coût d'utilisation de son matériel.
Consommer moins, consommer mieux, c'est devenu un argument
publicitaire. Mais la publicité est-elle compatible avec le
développement durable ? Novethic, le centre de recherche sur la
responsabilité sociale d'entreprise et l'investissement socialement
responsable, s'est très sérieusement posé la question. « Jusqu'où les
messages publicitaires destinés à vendre des produits et activités
peuvent relayer des incitations au respect de l'environnement et
surtout quelles marques peuvent légitimement utiliser ces codes ? »,
s'interroge-t-il. Les professionnels du marketing démontrent qu'il n'y
a pas de limite. La France, d'ailleurs, est plutôt en retard par
rapport à ses voisins européens.
Les deux Yotel qui ouvrent cette année en Grande-Bretagne - l'un à
l'aéroport de Gatwick, l'autre à Heathrow - le prouvent. Des cabines de
10 mètres carrés, inspirées des premières classes de la compagnie
British Airways et des hôtels-capsules japonais, suréquipées et
louables pour quatre heures. « La flexibilité totale pour un concept
révolutionnaire qui offre la solution aux hôtels chers et ennuyeux que
l'on trouve tout autour du globe », affirme leur concepteur. « Un
produit tout à fait décroissant : moins d'espace et plus de design »,
confirme Jérémy Dumont. Avec son équipe, il a réalisé une étude sur le
sujet. Il estime que la décroissance « n'est pas l'opposé de la
croissance. C'est peut-être l'idée de remettre l'innovation aux
commandes, de ne plus produire des choses inutiles. »
Attention au « green washing »
Après Nature et Découvertes, nombreux sont les magasins qui ont mis
en rayon des produits équitables, ou qui proposent des aliments en vrac
censés protéger l'environnement parce qu'ils réduisent les emballages.
Le client se sert lui-même. L'idée est de faire passer un message de
simplicité et de convivialité que certaines marques poussent loin.
Ainsi LG propose avec son « washbar » à Paris un appartement-laverie où
l'on peut boire un verre tout en lavant son linge, tandis que la banque
en ligne ING Direct a ouvert un espace café dans le quartier de
l'Opéra. « Plus de partage, de temps libre, de collectivisme, d'équité,
c'est cela la décroissance. Pour le consommateur, ce qui compte ce
n'est pas ce que le produit fait, mais ce qu'il aimerait en faire »,
analyse Jérémy Dumont.
Avec une limite tout de même, le risque de tomber dans ce que les
défenseurs du développement durable appellent le « green washing », la
tentation de tout repeindre en vert, sous prétexte d'écologie.
Modérés ou radicaux, les décroissants font un même constat : il faut
vivre autrement pour préserver la planète et remettre en question le
rôle de la consommation.
DR
Pas de télé, pas de voiture, refus des grandes surfaces... Les
décroissants pensent que la vie est plus facile quand on a moins de
choses.
LA DÉCROISSANCE, c'est tendance. Limiter sa consommation pour
préserver la planète, vivre autrement, pas de voiture, pas de
télévision, pas de frigo. Au début des années 1970, le dessinateur Gébé
avait inventé l'An 01. « On arrête tout, on réfléchit et c'est pas
triste », annonçait le premier numéro. Les personnages portaient des
chapeaux de paille et préféraient s'allonger dans l'herbe plutôt que de
travailler huit heures par jour pour acheter des objets qui ne servent
à rien. Sinon, « dans vingt ans, la fin du monde », prédisait l'image
d'une Terre en pleurs. Aujourd'hui l'idée revient à la mode, au point
que les publicitaires s'en emparent. Mais de quelle décroissance
faut-il parler ? Décroissance soutenable ? Décroissance conviviale ?
Sobriété heureuse ? Simplicité volontaire ?
La logorrhée des théoriciens laisse pantois. Les partisans de la
décroissance soutenable prônent le passage d'un « modèle économique et
social fondé sur l'expansion permanente à une civilisation sobre ».
Ceux de la décroissance conviviale estiment que « le développement
durable est l'un des concepts les plus nuisibles » et soulignent que
notre « surcroissance économique dépasse déjà largement la capacité de
charge de la Terre ».
Les défenseurs de la sobriété heureuse y voient un engagement pour «
faire face à la puissance de la frustration programmée sous
l'injonction obsessionnelle et quasi hystérique de la publicité ».
Quant aux adeptes de la simplicité volontaire, ils se réfèrent aux «
communautés monastiques » qui furent « les premières organisations de
vie à choisir volontairement la frugalité et à pratiquer
l'autosuffisance ».
Les mouvements poussent comme des champignons. Plus ou moins
politisés, plus ou moins liés aux altermondialistes. Le Parti pour la
décroissance, par exemple, veut « participer à la déconstruction de
cette idéologie folle et irrationnelle d'une croissance et d'un
développement économique sans limites ».
Pour tous un même constat cependant : si tout le monde consommait
comme les Français, il faudrait trois planètes pour satisfaire la
demande mondiale. Véronique Gallais est la présidente du mouvement
Action Consommation, proche d'Attac. Elle n'aime pas le mot
décroissance parce qu'elle le trouve négatif. Mais elle estime qu'il
est nécessaire de « remettre en question le rôle central de la
consommation dans la société ».
Elle a longtemps travaillé dans le commerce international, beaucoup
voyagé. Aujourd'hui, elle refuse d'acheter dans les grandes surfaces,
elle s'alimente dans les magasins Biocoop et ne renouvelle sa
garde-robe que lorsque c'est strictement nécessaire. « À partir d'un
certain niveau de confort, le surplus apporte du stress, pas du bonheur
», dit-elle. Et d'ajouter : « Un consommateur responsable, c'est une
personne qui se pose des questions sur les implications de son acte
d'achat ou de non-achat ».
«Par peur de manquer, on accumule chez soi»
Sur Internet, les sites pullulent pour mieux économiser l'eau,
l'énergie, réapprendre à s'alimenter. « Souvent par peur de manquer, on
accumule des objets chez soi qui rassurent, s'entassent et finissent
par encombrer notre vie comme notre tête. La vie est plus facile quand
on a moins de choses », écrit Flore.
Chacun y va de ses conseils pour fabriquer sa bière, son pain,
utiliser des noix de lavage du Népal plutôt que de la lessive, faire du
thé avec des pointes de ronces, du chocolat avec des graines de
caroube. D'autres s'interrogent non sans humour.
« Je suis décroissante depuis peu... Je fais de mon mieux pour vivre
autrement, mais une question revient sans cesse : comment faire pour
vivre sans électricité dans un appartement loué en pleine ville »,
demande Christine.
Plus radicaux, les Casseurs de pub, qui publient le mensuel La
Décroissance, appellent à une « semaine sans télé » du 23 au 29 avril
prochains. Ils expliquent que « si la télévision est polluante à
fabriquer, à faire fonctionner, puis polluante comme déchet, elle est
d'abord une terrible agression pour notre psychisme ». Ils entendent se
libérer de l'automobile et du téléphone portable. Ils refusent de
prendre l'avion en affirmant préférer « aller moins loin, mais mieux, à
pied, en roulotte à cheval, à bicyclette ou en train, en bateau à
voile, avec tous les véhicules sans moteur ». Ils boycottent la grande
distribution et souhaitent « privilégier la qualité de la relation à
soi et aux autres au détriment de la volonté de posséder des objets qui
vous posséderont à leur tour ».
Une mode ? Une autre manière de vivre ? La décroissance peut aussi
se révéler suspecte, voire dangereuse, quand certains de ses partisans,
comme les adeptes de la Deep Ecology, un mouvement développé aux
États-Unis dans les années 1970, professent la décroissance de
l'humanité tout entière ! Rien de moins.
ARNAUD RODIER.
Publié le 07 avril 2007