Simon Khoza ressemble étrangement à Nelson Mandela. Tout en grâce, sapé comme aimait l’être l’ex-président dans sa jeunesse, ce Sud-Africain ordinaire montre au public sa jolie cravate, ses jolies chaussettes et ses jolis boutons de manchette. Dressed to kill/Killed to dress, «Habillé pour tuer/tué pour habiller», la dernière pièce de la chorégraphe sud-africaine Robyn Orlin (1) rend hommage à un élément méconnu de la culture noire sud-africaine : le swenking.
Le mot, emprunté à l’anglais swank («frimeur»), a été passé à la double moulinette de l’afrikaans et du zoulou, pour devenir swenker puis swenka. Il équivaut aux «sapeurs» congolais, les rois de la fringue de luxe plus connus sous nos latitudes. En Afrique du Sud, comme ailleurs sur le continent, des générations de travailleurs citadins retournent fin décembre passer les fêtes au village, tirés à quatre épingles, pour épater les filles et faire rêver les familles.
Au pays de Nelson Mandela, le phénomène a débouché sur des compétitions le dimanche à Johannesburg. Devant des foules qui servent de jury, les swenkas rivalisent d’élégance, dans un registre qui paraît bloqué sur les années 40 : costard-cravate-pompes cirées, sans oublier le chapeau, le fameux pantsula, qui a donné, à la même époque, la marque distinctive des voyous des townships, surnommés mapantsulas. «Leurs démonstrations tiennent plus de la danse que du défilé», note Robyn Orlin, qui, pour sa pièce, a engagé, outre Simon Khoza, deux autres swenkas. La chorégraphe revisite ainsi le swenking, y intégrant des femmes et des Blancs. On y aperçoit la volumineuse Ann Masina, chanteuse d’opéra, draguer le frêle danseur blanc Ignatius van Heerden, représentation moqueuse, en slip noir et tutu rose, de l’homme blanc sud-africain.
Robyn Orlin propose constamment trois niveaux de lecture, avec une action sur scène, une projection vidéo simultanée et un œil vidéo sur ce qui se passe en coulisse. Le tout fait penser à un mode d’emploi sur la meilleure façon d’appréhender son pays, si compliqué. Dans son spectacle, Robyn Orlin part de la sape pour parler d’autre chose. Toni Morkel, l’une de ses actrices fétiches, se prépare à sortir de sa résidence des quartiers blancs de Johannesburg. Elle ouvre une multitude de portes à barreaux et de cadenas, clope au bec et volumineux trousseau de clés en main. Elle met le nez dehors une seconde, puis retourne aussitôt se barricader. Outre la paranoïa blanche, Robyn Orlin dénonce, en filigrane, le tout-conso des nouvelles classes moyennes, la fascination, aussi noire que blanche, pour les grandes marques et cette sensation de vide post-apartheid que les apparences voudraient tromper.
Au final, ses swenkas se retrouvent en slip, chemises et vestes cul par-dessus tête, avant d’endosser des accoutrements traditionnels zoulous. Et, morts de rire, les acteurs-danseurs-chanteurs laissent un swenka blanc s’empêtrer tout seul dans les paroles d’Umshini Wam («Apportez-moi ma mitraillette»). C’est la chanson antiapartheid préférée de Jacob Zuma, ancien vice-président du pays et nouveau patron controversé du Congrès national africain (ANC, le parti au pouvoir), connu pour ses goûts de luxe et poursuivi en justice pour corruption. Refrain mille fois entonné par les nombreux supporteurs de celui qui deviendra peut-être, en 2009, le swenker en chef, à la présidence de l’Afrique du Sud.
(1) Du 17 au 20 mars à Paris (Théâtre de la Ville), du 25 au 27 mars à Nantes, le 1er avril à Cavaillon et le 4 avril à Metz.
Source : Liberation