Walt Disney (1901-1966) est certainement l’un des créateurs les plus originaux du XXe siècle. S’il n’est pas l’inventeur du dessin animé, il est le premier à lui donner une audience universelle. La réussite exceptionnelle de ses productions les range parmi les modèles de la culture américaine de masse, jusqu’à faire oublier leur extraordinaire genèse.
Culture populaire et culture savante s’ignorent le plus souvent, et les liens qui les unissent sont mal étudiés et mal connus. Les longs métrages d’animation de Walt Disney, depuis Blanche-Neige et les Sept Nains, en 1937, jusqu’au Livre de la Jungle, en 1967, sont un des exemples les plus frappants d’influences réciproques entre ces deux cultures. Dans cet esprit, l’exposition se propose de rapprocher les dessins originaux des studios Disney des œuvres et créations de l’art occidental qui les ont inspirés.
- Les origines : « … Et tout a commencé par une souris ! »
En 1928, Walt Disney réalise Steamboat Willie, le premier court métrage d’animation avec son synchronisé de l’histoire du cinéma, donnant vie à l’un des personnages les plus célèbres du siècle, Mickey, imaginé par Disney et mis en forme par Ub Iwerks (1901-1971). En 1935, La Fanfare (The Band Concert) met en scène Mickey pour la première fois en technicolor. Dès lors et tout au long des années trente, les Oscars saluent régulièrement la production des studios Disney, jusqu’à la sortie en 1937 de Blanche-Neige et les Sept Nains. Premier long métrage d’animation, ce film est un énorme succès international et marque la naissance d’un genre capable de rivaliser avec le cinéma hollywoodien.
- Walt Disney et les dessinateurs pionniers des studios Disney
Le talent de Walt Disney, qui renonce très tôt à dessiner, repose sur une intuition artistique infaillible, tant dans le choix et le rôle de ses collaborateurs que dans celui des sources littéraires ou artistiques de ses films. Il recrute ainsi quelques-uns des meilleurs illustrateurs européens émigrés en Amérique : le Suisse Albert Hurter (1883-1942), le Suédois Gustaf Tenggren (1886-1970) et le Danois Kay Nielsen (1886-1957). Formés dans les académies d’art de leurs pays, ces pionniers ont instillé leur culture dans les premiers films des studios, notamment Blanche-Neige et les Sept Nains (1937), Pinocchio (1940) et Fantasia (1940).
- Sources littéraires et cinématographiques
Les grands classiques de la littérature européenne ont offert les sujets de nombreux films de Disney, depuis les Fables d’Esope pour les premiers courts métrages jusqu’au Livre de la Jungle de Kipling pour le film de 1967, en passant par Les aventures de Pinocchio de Collodi ou les Contes de Perrault pour La Belle au Bois Dormant et Cendrillon.
En 1935, Disney séjourne plusieurs semaines en Europe. Venu pour recevoir une médaille honorifique de la Société des Nations, il en profite pour ramener en Californie le plus grand nombre possible de livres illustrés, afin de constituer une réserve d’images destinée à inspirer la production des studios. Ce trésor de plus de trois cents ouvrages est toujours en partie conservé dans l’un des départements de The Walt Disney Company aux environs de Los Angeles. Les éditions du XIXe siècle et du début du XXe siècle dominent largement la sélection, avec les contes des frères Grimm et de Perrault. Parmi les illustrateurs, J.J. Granville figure en bonne place, dans des éditions originales, mais aussi Gustave Doré et des artistes allemands comme Ludwig Richter Moritz von Schwind et Heinrich Kley. Les Anglais sont représentés par des éditions d’Alice au Pays des merveilles de Lewis Carroll et de Peter and Wendy de James M. Barrie, illustrées par Arthur Rackham ou John Tenniel.
- Sources cinématographiques
A ses débuts en 1922, Disney possède quelques rudiments en animation, puisés dans les ouvrages de Edwin G. Lutz (Animated Cartoons, 1920) et de Eadweard Muybridge, célèbre photographe de la fin du XIXe siècle spécialiste de la locomotion humaine et animale. Il connaît aussi les praxinoscopes du Français Emile Reynaud, les films d’un autre Français, Emile Cohl, qui collabora avec le dessinateur Benjamin Rabier, et ceux du pionnier américain Winsor McCay, qui réalisa en 1909 Little Nemo, puis en 1914 le célèbre et inégalé Gertie le dinosaure.
Pour Disney, le monde du cinéma est une source inépuisable d’inspiration. Dès les années trente, l’actualité cinématographique inspire ses courts métrages, parfois de façon littérale, comme The Mad Doctor (1933) qui reprend avec humour des scènes du Frankenstein de James Whale (1931) ou Modern Inventions (1937) où Donald connaît des mésaventures similaires à celles de Charlot dans Les Temps modernes (1936). Le cinéma expressionniste allemand marque de façon plus profonde les premiers longs métrages de Disney : l’empreinte du Faust de Friedrich Murnau (1926) est omniprésente dans plusieurs séquences de Fantasia.
- Architecture et paysage
Les repérages sur le terrain, y compris en Europe, sont fréquents. Le village de Pinocchio est ainsi directement emprunté à la cité médiévale de Rothenburg en Bavière. Le château de La Belle au Bois Dormant est un croisement entre les enluminures des Très Riches Heures du Duc de Berry, les dessins de Viollet-le-Duc et les extravagances architecturales des châteaux de Louis II de Bavière. Les forêts s’inspirent de la peinture chinoise du XVe siècle, d’estampes japonaises ou des forêts américaines ou anglaises. Quant aux vues à vol d’oiseau, elles empruntent aux peintres régionalistes américains Grant Wood et Thomas Hart Benton. On reconnaît bien l’influence de paysages de Gaspard Friedrich et de Arnold Böcklin dans Fantasia, comme celle des primitifs flamands et italiens dans les décors de La Belle au Bois Dormant
- Anthropomorphisme
- Les sources des personnages de Disney
Mais cette genèse reste délicate à reconstituer tant les rôles des scénaristes, des dessinateurs et de Disney lui-même sont imbriqués. A cet égard, le personnage ambivalent de la Reine-Sorcière dans Blanche-Neige constitue un bon exemple. Alors que Disney suggère de son coté que la Reine soit un mélange de Lady Macbeth et du Grand Méchant Loup, son visage est finalement inspiré par celui de l’actrice américaine Joan Crawford (1908-1977) et son apparence générale semble dériver de la statue-colonne du portail de la cathédrale de Naumberg (Allemagne). La transformation de la Reine en Sorcière est empruntée aux différentes versions cinématographiques de Docteur Jekyll et Mister Hyde. Et la Sorcière elle-même reprend la tradition iconographique développée par le XIXe siècle sur ce thème.
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- L’influence de l’univers de Disney sur l’art contemporain
La production des studios Disney suscite très tôt l’intérêt des artistes, et d’abord celui du monde du cinéma. Eisenstein et Prokofiev, alors qu’ils conçoivent Ivan le terrible (1945), s’intéressent au travail accompli par Disney et le chef d’orchestre Léopold Stokowski pour Fantasia. Au milieu des années 60, la popularité de Disney est immense, universelle. Depuis la sortie de Blanche-Neige en 1937, plusieurs générations ont été élevées au rythme de ses films et elles en gardent un souvenir. Avec le Pop Art, les personnages de Mickey et de Donald gagnent le statut d’icônes.
Comme le résume le peintre français Robert Combas en 1977 : « Mickey n’est plus la propriété de Walt, il appartient à tout le monde ». Après avoir largement puisé dans l’art occidental de toutes les périodes, l’univers de Disney devient à son tour une source d’inspiration pour des aussi divers que Christian Boltanski, Bertrand Lavier, Peter Saul, Errό ou Gary Baseman.
Lu sur le site de arte tv