source de l'article : http://www.arte.tv/sites/fr/dimension-series/2014/03/24/interview-violaine-bellet-scenariste-psychologue-cinema-france/
Suite de l’interview de Violaine Bellet, scénariste spécialisée en psychologie. Dans la première partie, elle nous expliquait les raisons de son parcours étonnant et sa rencontre avec Frédéric Krivine, créateur d’Un Village Français.
Dans cette seconde partie, elle aborde avec nous la question culturelle du manque de psychologie dans l’écriture des personnages de séries, et par incidence nous parle de l’influence du “cinéma psychologique français“.
Dimension Séries : Y a-t-il un problème entre les scénaristes français et la psychologie de leurs personnages ? Comment peut-on l’analyser ? Pédagogiquement ? Culturellement ?
Violaine Bellet : Oui, le rapport entre les scénaristes Français et la psychologie de leurs personnages, mais surtout avec la psychologie tout court, n’est pas simple ! Ils sont pris entre fascination et rejet. Ça les déstabilise. Preuve que ce n’est pas une évidence et que ça n’est pas très intégré. Certains se braquent même à l’évocation du terme psychologie et deviennent presque agressifs.
Avec un peu de recul, c’est amusant parce que leur agressivité témoigne d’une peur (derrière la colère, il y a la peur…) qui n’a rien de rationnel et cache une croyance : celle de ne plus avoir d’inspiration si on sait trop de choses sur ce qu’on veut raconter. Comme si les auteurs ne voulaient pas se soigner pour continuer d’avoir des choses à dire.
C’est présupposer qu’on a un rapport à l’écriture qui dépend de son propre degré de refoulement inconscient. Conscientiser, c’est “risquer” d’amorcer une guérison. Mais, je m’astreins à le répéter, les pathologies des auteurs ne sont pas un bon fond de commerce. Ce sont les pathologies de leurs personnages qui nous intéressent !
Le cinéma psychologique français n’a de psychologique que les pathologies de son auteur-réalisateur
Oui, il y a quelque chose de culturel derrière tout ça, de très français. Le Français a la réputation de se plaindre, et comme on le sait en psycho, tout mal a un “bénéfice secondaire” qui fait qu’on n’y renonce pas. Se plaindre, c’est attirer l’attention à soi : “regardez, je vais mal !” Et plus je vais mal, plus j’ai des choses à dire… Cette pensée magique, qui renvoie à l’image de l’artiste torturé, est un véritable poison dont, quoi que disent les auteurs qui détestent qu’on les renvoie à cette caricature dépassée, nous gardons les stigmates, tant dans nos méthodes de travail que dans ce que nous écrivons parfois.
Nous ne pouvons pas ignorer l’héritage pesant de ce cinéma qu’on appelle traditionnellement le “cinéma psychologique français“, et qui n’a de psychologique que les pathologies de son auteur-réalisateur et rien d’autre ! Aucune psychologie dans les situations et les personnages qui, ne servant que de support à la problématique de l’auteur, n’existent pas vraiment, n’ont pas de cohérence. Le dialogue est lourd, bavard, chargé d’exprimer les émotions que, malheureusement, les situations, qui n’en sont pas puisqu’il n’y a pas de personnages, ne génèrent pas. Bref ! Le cinéma psychologique français est précisément celui qui manque le plus cruellement de psychologie !
Pour moi, la psychologie, c’est la maîtrise de l’inconscient. Ça veut dire que le personnage ne dit pas ce qu’il ressent. Il fait un truc qui est psychologiquement juste, et qui par conséquent, nous fait ressentir ce qu’il ressent sans qu’on ait la moindre conscience de la manipulation opérée et pas de recours nécessaire à l’explication. La psychologie est dans le sous-texte. Jamais dans le texte. Dans le texte, c’est tout au plus de la littérature qu’il peut y avoir. Jamais de la psy.
La nouvelle vague a tout à la fois apporté une belle énergie et fait beaucoup de dégâts en mystifiant une culture de l’auteur (voire l’auteur-réalisateur) qui crée, traversé par des fulgurances, et qui n’a pas recours à une méthode mais à son génie. Il a les yeux plissés, il est dans un café à Paris, le fait qu’il ait des problèmes avec sa petite amie tout à la fois empêche et favorise son inspiration, il se représente Godard coller deux séquences entre elles sous le coup de l’inspiration et être ovationné à Cannes.
En PNL, on appelle ça des mythes, des croyances limitantes. Des trucs qui sont dans la tête des auteurs, ou dans leur “cervelle collective” et qui les empêche d’utiliser simplement tous les outils qui pourraient être à leur disposition pour booster leur créativité : la collaboration avec d’autres auteurs, des connaissances, la psychologie, entre autres… Mais aussi des livres de dramaturgie tout simplement.
Aux États-Unis, on les dévore. En France, on les lit en cachette et on critique les masterclass de Truby et Mac Kee tout en essayant de se les procurer bien sûr. Il y a beaucoup de tiraillements paradoxaux dans tout cela. Un peu de posture aussi. Et j’y reviens, surtout de la peur.
J’essaie de faire passer le message que les deux approches (intuitivo-pulsionnelle du génie et théorico-analytique de l’outil) n’ont rien d’incompatible, bien au contraire. Elles se répondent, un peu comme quand on écrit sa V1 [NDR : première version d'un scénario] sans réfléchir, et qu’après on se relit en cogitant très fort pour faire sa V2 [NDR : deuxième version...].
Réfléchir un peu ne va pas assassiner votre pulsion créatrice bien au contraire. Ça va la soulager parce que ça va lui donner moins de responsabilité et elle pourra d’autant mieux se lâcher quand c’est son tour…
Parfois, ces deux instances (la pulsionnelle et la rationnelle) peuvent se répartir sur deux auteurs : un qui expulse et l’autre qui organise. Peu importe. Je pense juste qu’il faut des deux et qu’il n’y a pas deux écoles, mais une seule vie dans laquelle on avance, tout comme avec notre conscient et notre inconscient, non pas dans le monde de la dualité mais celui du paradoxe. Ce n’est pas “ça ou ça” mais “ça et ça” qui co-existent et se nourrissent l’un l’autre…
Quand je donne des consultations, je passe beaucoup de temps à entendre cette peur de l’outil et cette angoisse du paradoxe, et à tenter de la désamorcer. Cela fait parti de mon travail. Avant de pouvoir passer à la thérapie des personnages, il est évident qu’il faut faire un travail de désamorçage des croyances limitantes de l’auteur pour lui permettre d’accueillir sereinement des nouveaux outils qui vont le faire bouger. Il faut dealer avec ses mécanismes de défense pour l’autoriser à évoluer dans son travail sans qu’il se sente pour autant menacé par l’impression que ça invalide la façon dont il a travaillé jusque-là.
Ce n’est pas comme en entreprise ou l’acquisition d’un nouvel outil est vu de façon pragmatique. En scénario, on touche à la sacro-sainte culture de l’auteur, à des croyances comme celles du talent. Ou simplement à sa sensibilité, nécessaire à sa production. Mais ces résistances légitimes sont, il faut bien le dire, très renforcées “côté Français”. Et je ne suis pas loin de penser qu’il faudrait faire une thérapie collective pour y remédier, avec de la PNL ! Car ce sont comme des programmes, des codes, des habitudes comportementales dont il n’est pas si simple, même en y amenant de la conscience, de se débarrasser !
Même à la Fémis, ou il s’agit d’école donc de pédagogie, nous n’avions pas de cours théorique en scénario, mais seulement des ateliers pratiques, comme s’il ne servait à rien d’enseigner cette discipline. Cette approche laissait planer la croyance que le talent était inné et que si nous avions été sélectionnés, c’est parce que nous avions des choses à dire et que nous savions les dire spontanément. Évidemment, cela ne modère pas les égos et ne prédispose pas à recourir à des outils.
Ajoutez à tout cela que pour obtenir le CNC, selon la croyance qui circule, il faut déculpabiliser sa conscience de pratiquer un métier qui n’est pas directement “utile” à la société en parlant de ce que l’on connait mal, les milieu sociaux “défavorisés”. Et vous obtenez un cinéma pris entre héritage socialo-politique (quand je dis socialo, je laisse volontairement planer l’ambiguïté avec la couleur) et héritage égocentrico-lyrique.
Les américains baignent dans une culture psy depuis tout petit
Si la France a cela dit pour elle un beau sens de l’Histoire, les américains ont décidément pour eux une belle connaissance des être humains et de leurs mécanismes, y compris de leurs propres mécanismes d’auteurs et de leurs propres mécanismes sociaux et politiques (ils ont tourné des films qui attaquent leur propre système comme nous ne nous autoriserions jamais à le faire avec le nôtre) avec beaucoup plus d’auto-dérision que celle à laquelle nous avons accès.
Ils baignent dans une “culture psy” depuis tout petit. S’ils ne sont pas biberonnés aux films de Woody Allen, ou à des films comme Little Miss Sunshine ou Juno, qui utilisent les pathologies de leurs personnages comme principal ressorts de comédie, ils ont consommé depuis tout petit des films commerciaux qui en on une vraie maîtrise, que ce soit au service de la caractérisation des personnages ou de la manipulation du spectateur.
Conscient ou pas des ficelles psychologiques, à force de les voir à l’œuvre, on les intègre et on finit par les utiliser soi-même. Ça fabrique des automatismes de cohérences, de justesse, de trucs qui fonctionnent même si on ne sait pas consciemment pourquoi.
Les séries du nord sont aussi très empruntes d’une connaissance approfondie des mécanismes de la psyché humaine, héritée d’une littérature riche de ce point de vue, et d’une certaine avance en ce qui concerne les domaines de l’éducation et donc, la connaissance de la construction du psychisme. Et je ne parle pas des séries Israéliennes comme Betipul. Bref la France est un peu à la traîne, en tous cas en série TV (saluons Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri qui sauvent notre réputation en matière de caractérisation de personnages et de justesse dans les ressorts psychologiques des intrigues…).
Là ou nous nous demandons encore trop souvent en priorité “ce qui pourrait bien arriver“, les autres se demandent d’abord “à qui ça pourrait bien arriver“. Les pilotes Américains sont de véritables “cas d’école” de cette approche : dans Desperate Housewives par exemple, le pilote raconte littéralement qui sont les personnages. La voix-off lit quasiment la bible ! Le pilote de Breaking Bad aussi est très clairement une exposition du personnage, de sa problématique, de celle de sa femme et de sa famille. Sans compter, comme on l’a vu plus haut, que les américains n’hésitent pas à charger la mûle avec des problématiques psychologiques lourdes. Du point de vue d’un psy, tous les héros de leurs séries seraient à interner !
Même dans les films d’actions les plus commerciaux, les épreuves rencontrées par le héros sont souvent la matérialisation symbolique de son parcours psychologique. Si ce qui arrive dans la vie ou à un personnage est souvent unique, nos problématiques psychologiques ou celles d’un personnages sont elles, en revanche, beaucoup plus universelles. Et c’est cela, par-dessus tout, qui devrait nous donner envie de creuser.
En Asie, l’approche est différente mais la psychologie est présente sous une forme que je trouve encore plus intéressante et dont l’expression artistique (présente en BD, peinture, design, architecture…) germe déjà au cinéma, et peut-être bientôt en série TV ? On baigne là-bas depuis tout petit dans la spiritualité et le symbole, qui sont de véritables espaces d’accès à l’universalité, avec une esthétique (domestique même !) qui renvoie sans cesse au rapport à l’inconscient.
Au Japon par exemple, je ne pousse pas une porte en avant comme un guerrier : je glisse un paravent sur le côté, dans la conscience de la douceur de cette énergie pour passer d’un lieu à l’autre. Vous imaginez un peu le degré de psychologie intégré jusque dans la matière ? Vous pensez à ces choses là quand vous passez une porte, vous ? En Asie, à travers la spiritualité, tout est conscience. Et l’image est le lieu même d’expression de cette conscience. Avec le feng shui, on n’utilise pas une couleur ou une forme par hasard : on sait ce qu’elle raconte à l’inconscient. En terme de direction artistique on a des millénaires de retard.
Que ce soit dans la série TV, mais aussi, et pour cause, dans l’éducation, la politique, le design, l’urbanisme, etc, la France en est à la préhistoire de son rapport à la psychologie.
Le CEEA, qui enseigne la série TV, le nouveau département de la Fémis série TV, les master class de Frédéric Krivine, et les divers collectifs de scénaristes comme le SAS, dont je fais parti, et qui tendent à rapprocher des auteurs pour acquérir des outils en décomplexant totalement son rapport à la technique, sont en train de faire évoluer les choses très substantiellement.
Le fait que le syndicat des scénaristes [NDR : Guilde Française des Scénaristes] ait obtenu depuis peu l’accès à des formations pour les auteurs est un pivot capital dans notre histoire : cela officialise qu’il existe des outils pour l’écriture et qu’il est naturel que les auteurs puissent y avoir accès ! Mais il ne faut pas nier cet héritage culturel dont je n’hésiterais pas à dire qu’il est handicapant. En avoir conscience, c’est déjà le dépasser. Et ouvrir la possibilité de transformer ce bagage aujourd’hui encombrant en richesse prometteuse.
Ne rien nier, ne rien détruire. Tout recycler. Question de script-écologie.
Les diffuseurs et les producteurs sont-ils sensibles en France à ces questions ?
Étrangement, les diffuseurs le sont un peu, mais malheureusement pas encore de façon créative. Ils veulent souvent, comme nous l’avons vu plus haut dans notre référence à la tribune de Frédéric Krivine, préserver la cohésion sociale en autorisant uniquement des personnages normovrosés. Ils sont coincés dans la croyance que leur spectateur ne pourront que s’identifier à des gens qui vont plutôt bien et ont des aspirations “clean”.
Mais je dois bien dire que ce problème n’a pas été rencontré sur Les Revenants, Ainsi Soient-Ils, Un Village Français, 10 Pour Cent sur laquelle je travaille en ce moment [NDR : Il s'agit d'un projet pour France 2 initié par Dominique Besnehard dont la réalisation des premiers épisodes sera confiée à Cédric Klapisch] ou QI sur OCS, qui parle tout de même d’une atrice porno qui rencontre l’orgasme en pratiquant la philo ! Une série comme Mes Amis, Mes Amours, Mes Emmerdes sur TF1 a aussi fait preuve, selon les saisons, d’une grande audace en ce qui concerne la caractérisation.
[Les diffuseurs] n’ont pas les outils pour identifier et exprimer la cause de ce qu’ils ressentent
Il n’y a donc pas de règles, mais des interlocuteurs plus ou moins libres, et je ne m’aventurerai pas à tenter de déterminer si cette liberté relève de leurs rapports avec la chaine ou avec eux-même. Quand ils n’ont pas de barrières, ils jugent en tous cas trop souvent le résultat plutôt que d’analyser la construction du personnage, ils visent le symptôme et non la cause : ce personnage est trop noir, le public ne va pas s’identifier, cette situation est trop anxiogène… Cela donne la sensation d’une censure arbitraire alors que, dans le fond, c’est juste qu’ils n’ont pas les outils (dramaturgique et psychologiques) pour identifier et exprimer la cause de ce qu’ils ressentent. Mais je pense qu’il faut écouter leurs ressentis. Et les amener à se servir de la psychologie comme d’un outil créatif, pour pousser les auteurs dans la cohérence et la force de leurs personnages.
Car si une situation est justifiée, elle ne paraîtra pas anxiogène. C’est si elle ne l’est pas dans la continuité dramatique qu’elle le devient, tout simplement parce qu’on décroche de l’intrigue et que du coup, on se met à analyser ses émotions et sentir qu’on se sent oppressé. Si simplement, on se sent oppressé mais que c’est cohérent, on jouit de l’adéquation entre la situation et l’émotion, point barre. Diffuseur compris.
Chez les producteurs, c’est complètement variable. Parfois vraiment, oui, ils sont sensibles à la question de la psychologie des personnages, et il arrive même souvent que ce soient eux qui me fassent intervenir face à des auteurs qui mesurent moins l’enjeu, ou qui se braquent pour des questions d’égo. Ils pensent, comme je le disais précédemment, qu’être auteur, c’est maîtriser intuitivement la psychologie de leurs personnages et craignent l’arrivée de quelqu’un qui maîtrise cet outil trop consciemment.
Les producteurs sont plus pragmatiques. Ils veulent que le scénario marche, et ils sentent clairement que si on décroche à la lecture, c’est quasiment toujours parce qu’un personnage est mal défini ou parce qu’il n’a pas de problématique intéressante. Et ça leur pose bien évidement moins de problèmes que les auteurs de remettre les personnages en question. Ils ont forcément moins d’état d’âme…
Cela dit, il y a des séries où j’ai rencontré le même degré de conscience entre auteurs et producteurs concernant l’apport de la psychologie. Et ce sont finalement toutes les séries sur lesquelles j’ai pu travailler : bien évidemment Un Village Français, puisque non seulement Frédéric Krivine, directeur de collection, est aussi producteur, mais en plus parce que les deux coproducteurs de Tetra Media, Emmanuel Daucé et Jean-François Boyer, étaient dans la même dynamique de conscience. Ils ont lu l’intégralité des notes prises lors de mon cours, tout en ayant déjà une culture psy, une ouverture, une curiosité, une conscience, un appétit de cette science humaine et de tout ce qu’elle peut nourrir sur le plan de la fiction.
J’ai rencontré aussi un même degré de conscience et d’intérêt chez le producteur et chez le réalisateur des Revenants, et sur la série Ainsi Soient-Ils où les auteurs comme le producteurs étaient déjà très “sensibilisés” au sujet. Même intérêt partagé entre producteur et réalisateur sur QI, la série dont Olivier Deplas et moi-même avons co-écrit sur la saison 1 dans cette qualité d’intention.
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