Les réseaux sociaux augurent d'une nouvelle ère. Avec les NTIC, ils ont envahi notre quotidien, demain, ils s'intégreront dans l'entreprise... Au risque de bousculer nombre de pratiques individualistes, d'organisations hiérarchiques ou pyramidales et de renverser le traditionnel jeu du "je-nous". Car en élargissant l'univers relationnel, les réseaux sociaux rompent les lois de l'espace et du temps ; et d'opportunité pour l'entreprise, ils peuvent devenir une menace. C'est là qu'interviennent les services DRH et Communication : à eux de changer leurs fonctions et prérogatives ! Donner l'exemple, oui... et surtout créer un climat de confiance qui suscite l'envie d'échanger et de coopérer. C'est la conviction de Jérôme Delacroix, consultant en management coopératif et fondateur de Coopératique.
D'après une étude de Forrester Research citée par les Echos, 60 % des internautes européens prennent part à des activités liées aux logiciels sociaux : blogs, podcasts, RSS, réseaux sociaux... Qu'en est-il des Français ?
Jérôme Delacroix : Les résultats sont légèrement différents : si les Français sont moins actifs dans les réseaux sociaux, ils sont en revanche, des blogueurs-nés ! Mais l'étude est intéressante sur un autre point : les logiciels sociaux (blogs, podcasts, RSS, réseaux sociaux) s'insèrent peu à peu dans la vie personnelle. Et cette évolution va nécessairement irriguer le monde professionnel. La voix sur IP en est un exemple, le téléphone intelligent en sera un autre prochainement. Il est somme toute normale que sous la poussée des utilisateurs, des habitudes prises au quotidien fassent peu à peu partie de l'entreprise... Même si cette dernière est parfois récalcitrante !
Quels sont, pour les entreprises, les apports des réseaux développés par les NTIC ?
Jérôme Delacroix : Distinguons tout d'abord deux types de réseaux :
- ceux strictement circonscrits à l'entreprise ;
- et les autres, qui sont publics (LinkedIn, Viadeo, 6nergies).
Commençons
par ce deuxième cas. Ces réseaux publics sont utilisés très
classiquement par les internautes qui sont à la recherche d'un poste ou
juste à l'écoute du marché. Ils représentent clairement pour une
entreprise une menace de voir disparaître certains de leurs cadres
dynamiques. Mais toute "médaille" a deux faces : bien utilisés par les
DRH, ils sont potentiellement une opportunité de dénicher des profils
intéressants. Les descriptifs d'ailleurs réalisés sur ces réseaux
sortent du cadre du CV traditionnel et apportent souvent des éléments
complémentaires : des recommandations écrites et authentifiées de
personnes qui s'engagent sur leurs dires, des descriptifs de missions
réalisées, des chiffres, des hyperliens sur des faits, etc. : c'est un
moyen de repérer les meilleurs potentiels, adaptés de surcroît à sa
recherche !
Ces réseaux publics sont-ils aussi valables pour d'autres activités ?
Jérôme Delacroix : S'ils demeurent très adéquats pour les postes d'encadrement, ils sont aussi fort utiles pour des fonctions d'acheteurs ou pour toute PME désireuse d'élargir son réseau. Nombre d'entre elles travaillent avec des partenaires et tentent ainsi de créer des alliances ad hoc. Toutefois, le choix de son réseau reste primordial. Mieux vaut les utiliser avec parcimonie et discernement ! Inutile de multiplier les contacts au risque de diluer la qualité des relations. Ce qui me semble le plus opportun est de créer un cercle réduit de contacts (40 maximum). La sélection peut se faire naturellement, sur des affinités partagées, elle permettra de surcroît d'instaurer la confiance, élément primordial dans un tel système où tout marche par recommandations. Celles qui émaneront de ces proches paraîtront fiables... Un réseau très large n'a pas cet avantage. Et cumuler des contacts comme l'on agrégeait avant les cartes de visite ne procure pas d'avantage décisif.
Revenons aux réseaux sociaux strictement circonscrits à l'entreprise. Comment les utiliser ?
Jérôme Delacroix : Ils sont assez peu répandus en France. En revanche, ils se développent fortement aux Etats-Unis, particulièrement en ce qui concerne les réseaux de compétences. Auparavant, les DRH disposaient d'un annuaire qui listait les personnes et donnait leurs coordonnées et fonction : informations assez maigres comparativement aux réseaux de compétences. Les réseaux sociaux permettent d'entrer en contact avec des personnes qui ont rencontré une problématique identique à celle qui vous absorbe à l'heure actuelle. Elles possèdent la solution et qu'importe si elles sont dans votre bâtiment ou aux antipodes.
Reste que bâtir ce réseau est très complexe : les informations sont entrées en texte libre et les recherches effectuées par des phrases-clés...
Jérôme Delacroix : Il s'agit d'inventer une base de données réellement pertinente dans ses critères d'association... Dans cette optique, la base doit être une véritable cartographie de l'entreprise, nourrie d'interviews. Très souvent les informations fournies par ces derniers vont démontrer que les titres et les fonctions ne sont pas en équivalence stricte avec les compétences et les habilités de chacun. Le décalage entre l'organigramme et les compétences ainsi révélées provoque souvent des surprises.
Une démarche coopérative risque-t-elle de bousculer des habitudes individuelles fortement ancrées en tout un chacun ?
Jérôme Delacroix : Effectivement, questionner un collègue éloigné, souvent inconnu, sur une problématique pour laquelle il a investi du temps est forcément délicat. Aller vers l'autre spontanément reste difficile et seul le management peut encourager cette évolution du comportement. Car il s'agit bien d'un changement de comportement relationnel : faire comprendre que l'intérêt est autant individuel que collectif.
Mais doit-on pour autant inciter ce genre d'attitude et récompenser ceux qui la jouent "collectif" ?
Jérôme Delacroix :
Tout dépend, bien évidemment, de la culture d'entreprise mais peut être
pensé positivement. Pourquoi ne pas mettre en place un système
d'évaluation pertinent, construit par les utilisateurs avec des
critères de mesure qui leur conviennent ? C'est, d'une certaine façon,
inciter une culture collaborative qui, de toute façon, ne naîtra pas
spontanément.
Tracer, donner une note en fonction du comportement
collaboratif peut générer ce nouveau type de relations... Mais en toute
transparence. Les utilisateurs doivent être responsabilisés.
Récompenser les personnes qui travaillent en collaboratif doit être, à
terme, un nouveau critère d'évaluation ; d'une certaine manière, elles
participent à l'efficacité de l'entreprise. Tout l'enjeu est de faire
comprendre aux salariés que leur intérêt coïncide avec celui de
l'entreprise. Il s'agit de réconcilier l'individu et le groupe, le je
et le nous...
Ce n'est pas si simple...
Jérôme Delacroix : Oui, et c'est là que deux services doivent jouer un rôle-clé : les DRH et la direction de la communication. Ils possèdent les outils et la place pour faire accepter cette nouvelle culture qui en soi, représente un réel changement de paradigme.
En quoi cela augure-t-il d'un nouveau rôle de la communication ?
Jérôme Delacroix : Jusqu'à
présent, la communication avait un rôle de filtre ou d'approbation.
Aujourd'hui, les services entre eux exigent un réel besoin de
réactivité et de coopération. Le service marketing doit expliquer sa
mission au service R&D, etc. D'où une nouvelle fonction de la
communication : elle doit accepter dans une certaine mesure, de
déléguer son métier traditionnel et aller vers des rôles plus
stratégiques d'un point de vue opérationnel.
Schématiquement, elle devrait :
-
créer des passerelles entre services via un flux d'informations
structurées sur les compétences, les rôles, les besoins de chacun ;
-
d'autre part, moins s'ingérer dans la vie des services : laisser à
chacun le soin de gérer son quotidien et ses besoins en communication.
Pour quelle mission ?
Jérôme Delacroix : L'idée est d'insuffler un esprit coopératif par une meilleure vision transversale de l'entreprise. La communication devra imaginer les outils ou supports qui mettent en valeur les compétences de chacun d'une manière opérationnelle pour tous. Faire parler chacun de ses affinités, de ses projets, de ses compétences est essentiel... Cette plus grande expression personnelle, bien encadrée et bien structurée, va libérer des énergies et créer des rencontres opportunes. Les outils d'aujourd'hui offrent de nombreuses solutions : blogs, Contents Management System, chaînes TV, Second Life... des moyens qui permettent en soi de dépasser l'espace temps et lieu !
Comment réagit-on en interne à une telle démarche ?
Jérôme Delacroix :
Ce phénomène suscite, chez les salariés, un vif intérêt non dénué d'une
certaine appréhension. Côté communication, une crainte de dérapage
freine l'élan et côté RH, la peur de perdre certaines prérogatives de
sa fonction stoppe quelque peu le changement.
Car le travail coopératif a un champ très large. Il implique trois dimensions :
- communicationnelle : comment échanger des informations ?
- collaborative : comment travailler ensemble sur des projets ?
- participative : comment être actif dans des missions et enclencher le management coopératif ?
Est-ce qu'enclencher le management coopératif dans l'entreprise reste encore une démarche politique ?
Jérôme Delacroix : Très souvent les enjeux politiques internes à l'entreprise freinent tout changement. Mettre en place le management coopératif est ressenti comme à terme incontournable mais freiné car, forcément, ce type d'évolution déstructure certains schémas de fonctionnement, certaines hiérarchies en ordre de route. L'information, plus libre entre collègues, va peu à peu diluer l'impact des fonctions au profit des compétences... Passer d'une culture de la rétention de l'information à une culture de libre diffusion va bousculer certains pouvoirs fondés sur sa possession... Mais tout cela est amené à bouger.
Vraiment ?...
Jérôme Delacroix : La participation est nécessairement initiée par le management. Le management coopératif ne se substitue pas à l'organisation, il demande au manager de repenser son rôle avec une vision plus leader que hiérarchique. A lui d'insuffler une dynamique, une mobilité opportuniste. Ce type de relations va permettre d'optimiser la polyvalence des individus et de mieux l'utiliser. C'est une démarche à faire par petits pas.
Et comment mettre en place des règles ?
Jérôme Delacroix :
Les frontières sont de plus en plus minces entre le monde de
l'entreprise et l'extérieur. Les réseaux sociaux interviennent souvent
en lisière des deux. La jurisprudence est quasiment inexistante ou
alors méconnue. Seul l'appel au bon sens peut éviter les dérapages...
Ne pas diffuser d'informations confidentielles est une évidence par
exemple.
En revanche, créer un réseau qui soit professionnel et
personnel n'est pas forcément très judicieux. C'est le cas de Facebook,
en particulier, qui reste gênant sur certains points... Votre patron
a-t-il besoin de savoir que vous étiez quelque peu éméché à la dernière
réunion du club des œnologues ? Une des règles essentielles, je pense,
est de bien distinguer les deux.
En définitive, il faut édicter
des règles sous forme d'une charte, non pas imposée, mais construite
par les utilisateurs, coopérative !
Où commence la liberté de parole ? Comment faire que chacun allie responsabilité et liberté ? C'est là le cœur du débat !
Auteur : Net & Digest
Source : UJJEF
Publié par : Nicolas Marronnier
Publié sur : levidepoches/echange