L'histoire de Malcolm Campbell, en vidéo sur le site de «Vanity Fair» (capture d'écran)
Venue des Etats-Unis, cette nouvelle forme de publireportage en ligne brouille la frontière entre journalisme et marketing.
Aux Etats-Unis, le native advertising a la cote. Ce serait même l’un des «buzzwords» de l’année. Si l’expression est intraduisible en français, le concept est assez simple à comprendre : c’est une version moderne et améliorée du publireportage, destinée aux médias en ligne. Ce sont des publicités déguisées en articles et en vidéos, s’insérant le plus discrètement possible sur les sites web. D’où le nom de «native», qui peut se traduire par «originel» : la publicité ne surgit pas au milieu de la page web, elle se glisse de manière plus subtile et vicieuse, reprenant la maquette et le style du média qui lui sert de support comme si c’était du contenu original.
Et tous les médias s’y mettent. Le dernier en date n’est autre que le New York Times. Début janvier, on voyait apparaître pour la première fois sur sa page d’accueil un article entouré d’un cadre bleu avec l’inscription «Payé et mis en ligne par Dell» à côté du titre. Intitulé «Le gouvernement peut-il avoir l’esprit d’initiative ?» l’article était financé par la marque et réalisé en partenariat avec le service publicité du quotidien.
Quelques semaines auparavant, Vanity Fairpubliait une vidéo racontant l’histoire de Malcolm Campbell, pilote automobile britannique ayant battu plusieurs records de vitesse au début du XXe siècle. Elle était en parfaite osmose avec le site, son style et ses couleurs, mais un discret «contenu sponsorisé» apparaissait au-dessus du titre, en l’occurrence par la marque Hennessy.
Le site Gawker a, lui, testé le native advertising dans les commentaires d’articles, devenant progressivement un argumentaire en faveur d’une marque ou d’un produit. Sans oublier les précurseurs : les sites Forbes, Mashable ou encore Vice et BuzzFeed. Ces deux derniers ont mis le native advertising au cœur de leur modèle économique. Sur BuzzFeed, dont la caractéristique est de présenter ses papiers sous forme de listes, on aperçoit à côté du titre de nombreux articles un pudique «présenté par» ou «en partenariat avec», suivi du nom de marques diverses et variées. C’est, par exemple, une liste des meilleures destinations du moment, sponsorisée par une compagnie aérienne.
«L’objectif est de leurrer le lecteur ou le consommateur en brouillant la frontière entre l’information et la publicité», résume Gabriel Kahn, professeur d’économie des médias à l’école de journalisme d’Annenberg (University of South California). Cette stratégie n’est pas nouvelle, rappelle-t-il, comme en témoignent les pages mode ou beauté des magazines féminins qui regorgent de noms de marques et de produits. Mais désormais, elle est déclinée sur le Web.
Sports extrêmes. Les marques ont d’abord exploité le nouveau boulevard publicitaire offert par les médias sociaux. Guidées par le concept de «marketing empathique», selon lequel il est plus efficace de séduire son public cible en créant un univers dans lequel il se reconnaît plutôt qu’en lui dictant l’achat d’un produit, elles ont créé à partir des années 2000 des chaînes YouTube, des pages Facebook, du contenu divertissant que le public peut commenter et partager. Red Bull a ainsi une chaîne YouTube alimentée par des vidéos de sports extrêmes. Schweppes propose des guides de soirées et des listes de bars. Le site Pepsi Pulse propose du contenu visant les jeunes, lié à la musique et au sport.
La tendance s’est progressivement étendue aux médias d’information. «Les statistiques ont permis de se rendre compte que la publicité traditionnelle en ligne était un échec : les bannières et les fenêtres qui s’ouvrent de manière intempestive dérangent les internautes, ils ne cliquent pas sur les publicités. Cela affecte de plus en plus les médias, dont les revenus publicitaires en ligne baissent. Il fallait innover», analyse Gabriel Kahn. Depuis 2005, les revenus publicitaires des médias - tous supports confondus - ont en effet baissé de 55% aux Etats-Unis, où la presse ne bénéficie pas d’aide publique à la différence de la France. D’où leur intérêt de plus en plus marqué pour le native advertising. Selon la Federal Trade Commission (FTC), le régulateur du commerce américain, équivalent de l’Autorité de la concurrence, trois quarts des éditeurs en ligne y ont désormais recours. Cette forme de publicité a généré 1,9 milliard de dollars en 2013 (1,4 milliard d’euros), une augmentation de 20% par rapport à 2012.
Une vidéo de sport extrême diffusée sur la chaîne YouTube de Redbull.