Irruption du géant d'Atlanta dans un jeu globalement réglé à deux (Nestlé et Danone, plus quelques « outsiders » comme le français Castel et l'italien San Benedetto) n'est pas en soi une surprise. A la recherche de relais de croissance face à l'essoufflement des colas, Coca-Cola a fait de l'eau conditionnée l'un de ses axes de développement. Après un démarrage en 1986, il n'est parti sérieusement à l'assaut du secteur qu'en 1999, en lançant Dasani aux Etats-Unis. Et il a fini par y déstabiliser Evian et les autres eaux de Danone, qui a signé l'armistice en 2002 avec une alliance de commercialisation outre-Atlantique.
Les équipes de Coca-Cola travaillent d'arrache-pied dans les trois pays, chacune de son côté, à l'élaboration d'un positionnement commercial de Dasani qui soit propre aux spécificités de leurs marchés. Au rancart, le centralisme quasi légendaire de la « world company », où le moindre écran publicitaire était décidé, il y a quelques années encore, au QG d'Atlanta !
Conscient de la complexité du marché Francaise, Coca-Cola a adapté sa stratégie. Eau purifiée au Royaume-Uni, Dasani sera une « boisson à l'eau minérale naturelle à 99,8 % » en France. Provenant de la source d'eau minérale belge Astrid (marque Chaudfontaine) achetée en début d'année, Dasani ne peut prétendre au titre d'eau minérale car Coca-Cola y a ajouté du calcium et du magnésium « afin de répondre aux attentes des consommateurs en termes de goût et d'apport en minéraux ». Dasani, qui fera l'objet d'une « communication originale » au printemps, sera positionnée « dans le coeur de la catégorie, pas en premier prix, ni en marque premium », indique-t-on chez Coca-Cola. Numéro un en France.
L'offensive est d'abord sur le front des prix : les six bouteilles de 1,5 litre de Dasani seront vendues environ 2,60 euros, soit 20 % de moins que celles d'Evian. " Notre stratégie est celle du ni-ni : ni le premier prix des marques de distributeurs ou premier prix [un secteur trusté par Cristaline, qui a pris 18 % du marché en dix ans], ni celui des marques premium [Evian, Vittel, etc.], explique Eric Laurencier. Cristaline, l'eau parmi les moins chères du marché, coûte aux alentours de 14 centimes le litre soit 46 fois plus chère que l'eau du robinet à Paris par exemple (0,3 centime le litre).
Cela facilitera le choix des Français : une eau rééquilibrée en minéraux qui reste à un prix accessible. " La première bouteille de Dasani sera remboursée lors de l'achat suivant : de quoi séduire les indécis. Mais en France, un client a le choix entre 110 marques d'eaux plates, gazeuses ou aromatisées. La France est un marché mature où 94 % des foyers consomment en moyenne 148 litres par habitant, un record mondial juste derrière l'Italie. " La grande distribution privilégie les produits de niche qui créent des besoins par rapport aux nouveaux produits qui se partagent un marché déjà existant ", explique Jean-Noël Vieille, spécialiste des entreprises agroalimentaire à Aurel Leven.
Le deuxième handicap de Coca, c'est son absence de notoriété dans le domaine de l'eau. " Dasani débarque sur un marché ultraconcurrentiel dominé par deux leaders mondiaux, Danone et Nestlé, qui ont une sacrée longueur d'avance sur Coca, notamment en termes de réputation ", souligne Marcel Botton, PDG de Nomen, un des leaders européens de la création de noms de marques. Par ailleurs, " le groupe, accusé de favoriser l'embonpoint des Occidentaux, prétend changer son image en lançant une eau "fitness", rééquilibrée en minéraux. Mais elle risque d'avoir un sérieux problème de crédibilité ", analyse Serge-Henri Saint-Michel, professeur au Celsa et consultant en marketing et communication.
A l'instar de produits de luxe comme le parfum, l'eau est en train de devenir un produit d'image. Celui de la santé et du bien-être. Ce qu'on très bien compris les géants comme Coca et Pepsi, les leaders d'un marché en déclin. Les deux groupes qui possèdent chacun leur marque d'eau (Dasani pour l'un, Aquafina pour l'autre) veulent exploiter le filon de ce nouvel or liquide. Elles s'inspirent en cela du succès de Perrier, l'une des premières marques à avoir compris les enjeux marketing de l'eau avec ces mythiques pubs. "Perrier est devenu un symbole, explique Michael Bellas à la BBC, le patron du groupement des industriels des boissons en Grande-Bretagne, lorsque vous ouvrez une bouteille de Perrier, cela dit quelque chose de vous, de votre mode de vie. Un mode de vie, plus qu'une vulgaire bouteille d'eau.
Mais le choix du nom Dasani, décidé par Atlanta, laisse perplexe. Avec sa consonance italienne, il n'évoque ni une source particulière - l'eau vient de Chaudfontaine, en Belgique - ni une image de fraîcheur. " De quoi rebuter les Français, pour qui eau de source rime avec naturel et pureté ", analyse Serge-Henri Saint-Michel. " La réussite d'une marque ne dépend pas seulement de son nom, nuance Marcel Botton, mais aussi de sa campagne de communication, et surtout de sa qualité. " Aux Etats-Unis, le lancement de Dasani en 1999 est resté un cas d'école dans les business schools. En deux ans, elle est devenue n° 2 derrière Aquafina (Groupe Pepsi). Reste à convaincre les Français. La bataille est loin d'être gagnée.
source https://www.lsa-conso.fr/coca-cola-fait-monter-la-pression-dans-les-eaux,33496
20 millions d'euros sur trois ans Déroutant ? Pas tant que cela lorsqu'on observe d'un peu plus près les ambitions de Coca-Cola France, qui s'est accordé un budget de 20 millions d'euros sur trois ans pour le lancement de Dasani : « Obtenir, grâce à un discours sur le "bien-être au quotidien",radicalement différent des autres, une forte notoriété d'ici à la fin 2004 en instaurant une relation privilégiée, émotionnelle, entre le consommateur et la marque », indique Grégoire Delacourt (Lowe). « L'objectif est que, d'ici à un an, ce consommateur ait la sensation d'avoir toujours connu Dasani. » Et d'offrir le plus rapidement possible, à cette « boisson à base d'eau minérale ", un minimum de 2 % de part de marché. D'où le décalage délibéré de cette communication sur un marché français particulièrement encombré tout comme la conception originale du packaging, associant blanc, bleu marine et noir. Et évoquant plus volontiers d'étranges profondeurs sous-marines que les couleurs pastel traditionnelles des eaux minérales classiques.
En savoir plus sur https://www.lesechos.fr/26/03/2004/LesEchos/19124-052-ECH_dasani--chronique-du-fiasco-de-coca-dans-l-eau.htm#qJCuuhdRCfgou0P4.99