Pour être populaire l'écologie doit faire sa révolution culturelle en retrouvant ses fondamentaux. Le vivant est sur toutes les lèvres. Une note de réflexion de Jérémy Dumont.
La prise de conscience de la prédation sur la nature et au sein de nos sociétés ayant eu lieu, le temps de la mobilisation collective est venu (lire ma note de réflexion sur les rapports de prédation). Selon de nombreux scientifiques, il s'agit de maintenir le système Terre dans un état habitable pour tous les êtres vivants. Ce qui appelle " l’association nouvelle entre des êtres surprenants qui viennent briser la certitude confortable d’appartenir au même monde commun" comme disait Bruno Latour qui expliquait que la société n’existe pas, elle n'est qu'une somme d'individus qui ne tient pas en raison d’une superstructure. Inspirons nous de son constant pour nous réunir « rien ne se réduit à rien, rien ne se déduit de rien d’autre, tout peut s’allier à tout ».
Mais comment motiver les institutions, entreprises et particuliers à intégrer l'écologie de façon volontaire dans leurs pratiques ? Pas juste faire adopter des changements d'habitudes à la marge souvent par la contrainte et donc vite oubliés une fois la crise passée.
Si les instruments du changement de comportement sont nombreux, dans les politiques publiques, ils relèvent pour la plupart de la carotte ou du bâton. Ainsi les incitations économiques, normes et réglementations reposent sur une vision des individus comme des êtres rationnels : les gens s’engageraient dans un comportement pro-environnemental pour des raisons intéressées (parce que c’est agréable ou que cela leur fait économiser de l’argent) ou pour des raisons normatives (parce que les autres le font).
Pour les scientifiques du comportement, il est clair que la motivation intrinsèque (liée à une satisfaction personnelle qu’on peut trouver à réaliser une activité) est la plus puissante à faire basculer durablement les comportements, par opposition à une motivation plus extrinsèque (liée à la satisfaction que l’on peut avoir à obtenir une récompense provenant de l’extérieur ou aux conséquences de cette récompense pour l’image de soi et les objectifs personnels).
Pour susciter la motivation intrinsèque l'écologie ne doit donc plus apparaitre comme contraignante, une doctrine exigeant par responsabilité de renoncer aux avions, à quelques degrés de chauffage et aux sapins coupés de leurs forêts. Au contraire s'incarner dans un nouveau mode de vie, désirable que l'on adopte avec plaisir. Les « modérés verts » représentent 19 % de la population, ils sont particulièrement sensibles aux propositions relatives aux modes de consommation et à des modes de vie fondés sur la proximité, mais aussi à l’idée qu’une partie importante des décisions politiques soient prises à l’échelle locale avec la participation des citoyens. Encore loin derrière les « modernes » 29 % des Français sont en faveur de l’utopie techno-libérale qui repose pour beaucoup sur leur foi dans la science et la technologie qui va permettre le progrès et plus généralement sur la croissance économique et le pouvoir d’achat, fussent-t-ils inégalitaires d'après cette étude Obsoco. Il s'agit aussi d'oublier la décroissance qui ne sera jamais un projet collectif librement choisi et poser la quête d'une nouvelle prospérité sans croissance, c'est a dire pilotée avec d'autres indicateurs marquant les progrès en terme de qualité de vie, en intégrant la santé des écosytèmes permettant la vie. Les « décroissants radicaux » ne représentent que 4 % de la population.
Pour susciter la motivation extrinsèque, il s'agit de lever les freins de désirabilité sociale associés aux représentations que les gens ont d’un consommateur responsable. Cette étude a permis d’identifier plusieurs figures archétypales négatives du consommateur responsable. Il serait, au choix, intégriste, ermite, rabat-joie ou encore snob. L’analyse de ces différents archétypes négatifs du consommateur responsable fait émerger autant de freins à l’adoption de comportements de consommation responsable. Respectivement, nous identifions ainsi un frein d’intégration en lien avec la peur des conflits induite par une posture perçue comme trop intégriste, « jusqu’au-boutiste » ; un frein de désirabilité avec cette autre forme de marginalité associée à l’ermite et au refus de la modernité ; un frein d’hédonisme, si l’on suit le rabat-joie, incapable de tout plaisir spontané, et rationalisant toute décision de consommation. Enfin, au consommateur responsable « bobo » est associé un frein d’identification et le rejet d’une posture élitiste et condescendante. (ici)
La transition écologique, si nous voulons la mener collectivement, suppose donc de donner véritablement envie à chacun d'adopter volontairement de nouvelles façons d'être au monde, de vivre et d'habiter sur terre et l'adhésion à de nouvelles valeurs ou des valeurs plus profondément ancrées en nous pour réorienter les comportements. Elle nécessite une transformation culturelle portée par des récits et des imaginaires qui agissent sur nos représentions mentales de nous même et les représentations collectives inconscientes pour réussir à mobiliser au delà des écologistes actuellement disposés à contribuer.
Parmi les acteurs qui éclairent et influencent les imaginaires sociaux figurent le monde culturel et artistique, les marques, les médias et les influenceurs. Ils sont les plus à même de pouvoir infuser à court terme des visions revitalisantes. Mais les acteurs culturels sont parfois mal informés sur les enjeux, relayent souvent des archétypes sur l'écologie comme étant peu désirable et nous projettent systématiquement dans des futurs dystopiques. Ce qui est d'autant plus problématique que les récits écologiques sont actuellement minoritaires au sein de la production artistique globale.
J'ai pour ma part envie de voir advenir une écologie populaire qui s'infiltre dans toutes les disciplines artistiques, de la littérature à la danse. Une pensée écologiste portée sur scène par des artistes et non plus uniquement par des politiques. Une écologie qui n'est plus synonyme de lutte des classes (et des sexes) et qui nous rassemble. Une écologie qui ne vise pas un appauvrissement de nos vies mais qui préserve les conditions de vie. Pas contre la juste rémunération des producteurs mais qui porte surtout son attention sur une alimentation non seulement accessible mais saine. Une écologie qui pose la questions des arbitrages nécessaires du mieux vivre tous ensemble. Une écologie du champ à l'assiette, mais surtout dans l'assiette. Une écologie qu'on affiche avec fierté parce qu'on reprend le contrôle de son environnement pour mieux maitriser sa vie.
Une écologie du bien vivre qui parle de pouvoir d'achat et de pouvoir de vivre mais aussi de comment cuisiner. Une écologie qu'on mange, boit, porte, chante et partage tous ensemble. Dans un texte, baptisé « Le vivant ou les cendres », les cadres, élus et adhérents d’Europe Écologie-Les Verts appellent à une refondation du parti en faveur du bien vivre (Marinne Tondelier). Une écologie qui n'est plus réservé à des élites, qui arrive à conquérir tous les quartiers dont les quartiers populaires, qui dépasse ses tensions entre pouvoir d'achat et pouvoir de vivre, parce que les modes de vie qu'elle propose sont populaires. Comme dit Aurélien Taché "Expliquons aux gens qui font de l’économie circulaire, qui font attention à ce qu’ils mangent, recyclent leurs déchets qu’ils font de l’écologie"