Face à l'ampleur de la crise écologique et de ses impacts environnementaux et sociaux, il est courant de se sentir dépassé, impuissant et cela peut amplifier un certain mal-être. Les émotions liées à ce mal être peuvent se traduire dans une paralysie et donc incapacité à agir. Ainsi, la santé émotionnelle peut être comprise comme un état de bien-être émotionnel. La santé émotionnelle implique notre capacité à accueillir nos émotions…et d'agir en accord avec celles ci.
Le rôle des émotions dans l'éco anxiété
Vagues de chaleur, multiplication des feux de forêt, disparition de la faune sauvage, risques de pénuries alimentaires, sécheresses loin de nous laisser indifférents, ces phénomènes peuvent se manifester en émotions et se traduire en éco-anxiété avec des impacts négatifs sur notre santé mentale.
La thérapeute Charline Schmerber différencie 3 typologies de personnes souffrant d’anxiété environnementale (source) :
- « burn out” écologique : les personnes très impliquées dans l’écologie, qui ressentent alors beaucoup de fatigue, de tristesse et de dépressions.
- “éveil écologique traumatogène” : pour les personnes qui ont une prise de conscience soudaine de l’état du monde, avec un sentiment d’urgence, une interrogation et remise en question mélangées à de la colère et de l’incrédulité
- “éveillés lucides” : une sensibilité à la question de l’environnement, solastalgie, processus graduel
Les personnes éco anxieuses inscrivent leur comportement dans une mécanique de compensation face à ce qu’ils perçoivent comme un défaut d’engagement collectif. Ce qui les mène à porter une attention extrême à leur impact environnemental ainsi qu’au développement d’un puissant sentiment de culpabilité. Certains établissent une hiérarchie des comportements vertueux à adopter au quotidien et mettent en place une stratégie pour y parvenir. Joanna Macy, créatrice du travail qui relie et auteur de l’espérance en mouvement nous incite à prendre du recul, prendre le temps de nous reconnecter à la nature, à notre corps, à notre ressenti. Pour aller de l'avant. A accueillir nos émotions face aux drames planétaires. Mieux les vivre pour s’engager dans le chemin de l'écologie avec plus de sérénité. Son chemin.
Les éco-émotions c'est ce qu’on peut ressentir face aux problèmes écologiques qu'ils soient environnementaux et/ou sociétaux. Dans l'étude The Lancet, plus de 50 % des jeunes du monde entier ont déclaré ressentir de la peur, de la tristesse, de l’anxiété, de la colère, un sentiment d’impuissance, et de la culpabilité face aux enjeux écologiques. “Climate anxiety in children and young people and their beliefs about government responses to climate change: a global survey”.
Maria Bright et Chris Eames ont analysé en 2022 les grèves climatiques de 2019 dans cette étude "De la colère à l'action : Impacts différentiels de l'éco-anxiété, de l'éco-dépression et de l'éco-colère sur l'action climatique et le bien-être" Les résultats ? Dans le contexte des éco-émotions et du changement climatique, l'éco-dépression inhibe l'action climatique, l'éco-anxiété motive l'évitement actif et l'éco-colère incite à l'action climatique. Au sujet de la colère, Ernst Fehr et Simon Gachter ont montré qu'une émotion comme la colère peut avoir des répercussions sur la coordination de l’action collective, en suscitant des comportements punitifs afin d'exercer un contrôle social du comportement (source)

Les jeunes générations tendent plutôt à porter en elles un sentiment de colère face aux effets du changement climatique là où leurs aînés les plus concernés ressentent plus souvent une forme de honte. Dans son livre consacré à l’éco-anxiété, la médecin en santé publique Alice Desbiolles souligne que l’élément déclencheur de ces sentiments « est principalement une information ou une actualité sur le changement climatique [...]. L’anxiété est source de mobilisation et de créativité avec une oscillation entre phases de dépression et de nouveaux départs. Un épuisement écologique ou de résignation voire de tristesse apparaît potentiellement lorsque les individus se sentent « otages du climat », prisonniers d’un mouvement sur lequel les effets de la mobilisation individuelle paraissent limités face à l’action des responsables politiques et des entreprises. Tristesse aussi de constater que les choses ou les valeurs auxquelles nous tenons sont menacées de disparition.
La prise de conscience écologique fait aussi naître des émotions agréables. Dans un article paru le 14 janvier 2022 dans Frontiers in climate, Panu Pikhala explique que la motivation, le besoin d'agir et la détermination sont liés à l'envie des personnes de faire quelque chose d'utile. Le plaisir, la joie et la fierté apparaissent quand les personnes adoptent un comportement « pro-environnement » comme entamer une transition écologique à la maison. Le fait de faire quelque chose de concret permet aussi de se sentir à nouveau optimiste et plein d'espoir dans un monde en pleine mutation. La crise climatique peut aussi faire émerger un sentiment d'amour et de compassion pour les endroits du monde et les populations les plus touchées. Ainsi l’écologie, en vrai, c’est pas toujours triste comme dirait Laure NOUALHAT, Journaliste et Auteure de Comment rester écolo sans devenir dépressif (De l’éco-anxiété à la joie: les émotions de l’écologie).

En savoir plus sur les 5 étapes du changement de comportement et la fresque du facteur humain ICI
Quels liens entre émotions et passage à l'action ?
Les analyses les plus récentes de ce que l'on appelle couramment “émotions” (peur, colère, honte, fierté, haine, amour, pitié, indignation, joie, tristesse, etc.) montrent qu'on ne peut les réduire à de pures sensations, à de simples réactions ou à des pulsions. Sachant qu'il y a 3 états émotionnels selon Michel Claeys. (source)
Quand nous avons l'intention de faire quelque chose, quel est le processus qui se cache derrière cette action à venir? Quelle combinaison d'émotions, de sentiments et de pensées rend cela possible ?
Dans « l’erreur de Descartes », A. Damasio donne son point de vue sur la façon dont les émotions se manifestent dans les inter-relations étroites qu’entretiennent le corps et le cerveau. En s’appuyant sur l’étude de cas de « Phinéas Gage » il développe l’idée selon laquelle le cerveau a pour caractéristique de permettre d’anticiper l’avenir et de former des plans d’action, ceci en s’appuyant sur l’orchestration fine de l’émotion (source).
Une prise de décision est, en effet, neurologiquement parlant, très rapide, bien moins d’une seconde, lorsqu’il s’agit de réagir face à un danger immédiat, l’émotion est, alors, prédominante. Lorsque la décision s’établit comme un processus cognitif avec le temps pour la réflexion, dont la conséquence est un choix entre diverses alternatives, l’émotion, sans prévaloir, intervient.
Or, selon Lazarus, l’émotion dépend d’une combinaison, motivation-intérêt-environnement, induisant l’individualisation de la décision. Chacun possède, en effet, ses propres intérêts, des valeurs personnelles, induisant, notamment dans le cadre de l’organisation, une démultiplication des décisions et choix individuels, qui en complexifie la gestion efficace et aboutie. (L'émotion et la prise de décision Delphine van Hoorebeke)
Comment faire alors pour que cette mise en mouvement via les émotions se déroule au mieux ? Faut il juste lâcher prise et se laisser porter ? Ou doit on parfois coordonner ses émotions en fonction de la situation, du moment ?
Coordonner ses actions en fonction de ses émotions demande de savoir identifier et nommer ses émotions. Mais l’alexithymie toucherait 15 % de la population mondiale. Elle se caractérise par l’incapacité à décrypter et différencier les émotions ressenties, voire une absence de ces dernières. (source)
Chercher à refouler ses émotions négatives est un réflexe humain. Une stratégie de "survie" liée a son vécu mais aussi sa culture et ses croyances. Qui parmi nous n’a jamais tenté d’effacer des souvenirs douloureux, d’éviter certaines situations qui nous mettent mal à l’aise, de tenter de se raisonner par rapport à une anxiété dont on ne connaît pas réellement l’origine ? En 2017, une équipe de chercheurs de l'Université de Toronto et de Californie a réalisé une série d'études sur le sujet. Sur un groupe de 1000 personnes, à travers l'acceptation des sentiments négatifs, les professionnels rapportent un meilleur niveau de bien-être et de satisfaction globale au quotidien ainsi que la présence de moins de symptômes dépressifs chez les individus acceptant leurs émotions néfastes. Toutes fois, cette stratégie se révèle contre productive si le refoulement devient un automatisme.
Rien n'est perdu. Un individu ayant une bonne conscience émotionnelle peut distinguer plus d’une quinzaine d’émotions différentes (source) dont il peut comprendre les messages visant à adapter son comportement. Un peu d'espoir quand on sait que l’étude Follow your Gut a montré que les personnes qui disposent d’une intelligence émotionnelle faible, peu réceptives à leurs ressentis, prenaient souvent des décisions inadaptées.
L'intelligence émotionnelle consisterait donc à écouter, reconnaître, et comprendre ses propres émotions et à composer avec les émotions des autres.... ce qui amène à ressentir pleinement ses émotions et à accepter celles des autres. Les émotions fonctionnent comme autant de signaux qui nous informent sur un besoin d'adaptation et d'action dans un contexte donné. Comprendre le besoin caché derrière une émotion permet de prendre conscience de ce qui se joue vraiment pour nous et de le partager avec l’autre (ou pas). D'ailleurs c'est un des principes proposés par la Communication Non Violente qui consiste à nommer le besoin nourri ou non nourri dans une situation donnée pour faciliter les relations.
Se mettre en mouvement à partir de ses émotions pour augmenter son pouvoir d'action ?
En effet, le mot émotion contient celui de « motion » qui en anglais peut se traduire par « mouvement ». Keltner & Gross donnent une définition relativement large des émotions qui doivent selon eux être considérées « comme des patrons biologiquement fondés de perception, d’expérience, de physiologie, d’action et de communication, caractérisées par leur aspect épisodique, de courte durée, et qui se produisent en réponse à des défis et opportunités physiques et sociaux spécifiques.
Le concept de pouvoir d’action s’enracine dans les travaux nord-américains sur l’empowerment des personnes et des collectivités (Zimmerman, Bernstein, Wallerstein, Braithwaite et coll.). On peut définir l’empowerment comme la capacité des personnes et des communautés à exercer un contrôle sur la définition et la nature des changements qui les concernent (Rappaport). Ainsi, la capacité d’agir n’est pas une capacité en général, mais une capacité à faire quelque chose, à faire advenir quelque chose.
Justement, ceux qui souffrent d'éco anxiété disent ne pas arriver à se projeter dans le temps ou à se construire un avenir. D'autres sombrent dans l'éco anxiété parce qu'ils considèrent que leur impact individuel est limité. Il s'agirait d'une autre forme d'éco anxiété, un état dépressif nommé solastalgie qui regroupe les sentiments tels que l’impuissance, la tristesse ou la culpabilité. Leur détresse psychologique est associée à un sentiment d’impuissance. Baptiste Morizot applique le concept de solastalgie au sentiment d’impuissance face aux changements climatiques dans son article « Ce mal du pays sans exil. Les affects du mauvais temps qui vient ».

Mise au jour par Martin Seligman dans les années 1960, l’impuissance acquise (ou impuissance apprise) provient du découragement que peut susciter la répétition de situations désagréables dont nos efforts ne permettent pas de sortir, de sorte que l’on finit par ne plus rien tenter pour faire changer les choses. L’impuissance acquise est un processus de résignation qui se produit lorsqu’un être humain (ou un animal), est sujet de manière répétée à un stimulus perçu comme négatif, auquel il ne peut échapper. (source)
Albert Ellis (1913-2007), psychologue américain, a développé sa célèbre thérapie émotivo-rationnelle. L’une des bases de sa thérapie consiste à amener chaque personne à comprendre sa propre philosophie personnelle et notamment ses croyances qui sont souvent sources de difficultés ou de souffrances émotionnelles. L’idée est de modifier les croyances, notamment celles provoquant des émotions générant des comportements négatifs ou inadaptés.
Suite à une multitude de recherches, Albert Ellis constata que tous ou la plupart d’entre nous développons des pensées irrationnelles qui nous font voir la réalité d’une manière extrêmement négative. Il est parvenu à trouver plus de 200 types de pensées qui favorisaient cette vision négative, laquelle conduisit à des troubles de l’anxiété ou de la dépression. Nous pouvons actuellement regrouper ces formes de pensées irrationnelles en 4 types (source) :
- Demandes ou exigences : par exemple, “Si mon conjoint m’aimait, il m’aurait fait un cadeau”.
- Catastrophisme : par exemple, “Comme demain je vais me tromper lors de mon entretien, ce sera la fin de ma carrière professionnelle, je suis en train de mourir”.
- Une faible tolérance à la frustration : par exemple, “J’ai peur d’aller à cette fête parce que je suis sûr que tout le monde me rejettera, c’est très dur et je ne peux pas le supporter”.
- Dépréciation : par exemple, “Ma nourriture est brûlée, je suis inutile, je fais tout mal”.
Ces types de pensées sont considérés comme irrationnels parce qu’elles sont fausses, illogiques, extrêmes ou trop exigeantes. Ellis soutient qu’elles proviennent des croyances absolutistes de “devoirs” ou de “volontés” qui abondent dans notre dialogue interne. Pour sortir de la solastalgie il s'agirait donc d'identifier les pensées/croyances irrationnelles (se référant à sa capacité d'agir) et de les déconstruire (si celles ci ne sont pas fondées).
Aaron Beck est un psychiatre américain qui en est venu à s’intéresser à la perception des individus dépressifs. Il note que ces derniers ont une vision négative d'eux-mêmes, du monde et de l'avenir. Selon lui les distorsions cognitives contribuent à la triade de pensées négatives entrainant les individus dépressifs dans une spirale dépressive. Il s'agit de pensées négatives, résultant de biais cognitifs et manquant d'objectivité, qui ont tendance à être présentes dans la dépression et qui concernent l'évaluation de soi-même, de l'environnement et de l'avenir. C’est pourquoi l’approche cognitive qu'il a développé a comme objectif premier d’amener la personne à poser un regard différent sur elle-même et sur le monde qui l’entoure (Analyse de Louis Chaloult de la thérapie cognitive et comportementale de Beck). Sa grande limite est donc une approche cognitive qui donne la suprématie aux pensées sur les émotions dans la sortie d'une situation de stress qui dure dans le temps.
Retenons que selon la "triade de Beck" nos comportements (nos actions, nos conduites), nos pensées (nos croyances, nos représentations) et nos émotions (nos sentiments, nos affects) sont en interaction permanente. Pour sortir d’un stress, il s'agit de modifier l’un des éléments (émotion, pensée ou comportement) de la situation. De faire ce pas de coté pour observer le monde autrement. Une nouvelle piste à explorer pour développer son intelligence émotionnelle.
En effet, la mise en cohérence de ses pensées et de ses actes est un levier d’action dans le monde futur ouvert par la conscientisation des impacts du réchauffement. Ce besoin de « cohérence » nous incite à mettre en conformité nos convictions avec notre mode de vie et notre comportement quotidien. La connaissance du phénomène et des enjeux amène à s’interroger sur son impact et à établir une hiérarchie des comportements vertueux. Les changements de comportement tiennent parfois aux actes les plus simples, comme l’achat en circuit court ou une stricte attention au tri des déchets. Une modification de notre quotidien qui peut réorientant notre alimentation comme notre lieu de résidence et notre carrière. Ce nouveau quotidien, ce nouveau mode de vie se traduit dans des émotions agréables ou désagréables. Au fil des expériences l'objectif étant de trouver son bonheur dans un cadre contraint.
Découvrir le manège des émotions
Comment développer son intelligence émotionnelle ? Quelles émotions pour quelles réactions ? Quelles conséquences pour moi et les autres ? Comment mettre en cohérence mes émotions, pensées et actions ? C'est toute la promesse de cet atelier en 3h à expérimenter !
L'intelligence émotionnelle consiste à reconnaître ses émotions mais aussi comprendre les signaux que nous communiquent nos émotions pour pouvoir se mettre en mouvement en pleine conscience des phénomènes qui nous influencent et mieux communiquer au sein du collectif pour se mettre en mouvement ensemble.
Le manège des émotions c'est un atelier de 3h - 10 participants qui permet de partager individuellement son expérience et de bénéficier des retours d'expérience collectifs. En clôture, chacun est invité à poser ses émotions, pensées et actions et à les mettre en cohérence (ou pas). C'est un atelier thématique, l'éco anxiété est un thème parmi l'infinité des thèmes possibles. Les participants choisissent le thème.
Cet atelier permet de prendre conscience de son fonctionnement émotionnel dans une situation personnelle et/ou professionnelle. Voilà des thématiques telles que énoncées par des participants.
- "Convaincre un ami de devenir végane"
- "Mobiliser ses équipes sur un projet environnemental"
- "Apprendre d'autres façons de travailler"
- "Mieux communiquer avec ses collègues"
Les participants appliquent leur intelligence émotionnelle à plusieurs domaines comme par exemple
- La communication
- Le leadership
- L'apprentissage
- La prise de décision
Les étapes de l'atelier:
- Session d'inclusion
- Choisir un grand thème comme l'éco anxiété
- Partager un souvenir dans la sphère personnelle ou professionnelle
- Prendre du recul sur ce souvenir pour nommer les états émotionnels vécus
- Ressentir pleinement les sensations ressenties à ce moment là
- Prendre conscience des pensées liées à ces émotions et sensations
- Lister les réactions qu'elles entrainent avec leurs conséquences
- Creuser ses besoins inconscients en identifiant ses besoins primaires
- Comprendre ses zones de confort pour en sortir (ou pas)
- Poser son diagnostic : émotions - pensées - actions
- Le partager (ou pas) et faire un pas de coté (ou pas) pour se sentir mieux.
Jérémy Dumont
PS : Autre article à lire La biophilie pour lutter contre l'éco anxiété, via l'émerveillement, la gratitude et la joie que la nature procure.
En savoir plus sur le manège des émotions ICI
S'inscrire aux prochaines sessions de test https://www.helloasso.com/associations/nous-sommes-vivants/evenements/sessions-de-decouverte
