Orelsan l'odeur de l'essence : https://youtu.be/zFknl7OAV0c
La catastrophe, mode de l'évolution humaine?
Pourquoi vouloir « être à l’avant dans un avion qui va droit vers le crash » comme le suggère Orelsan dans sa dernière chanson « L’odeur de l’essence » ? Serions-nous irrémédiablement attirés par la catastrophe ? Si tel est le cas, celle-ci serait notre mode d’évolution, c’est-à-dire que nous ne pourrions évoluer qu’à son contact : la catastrophe nous permettrait de progresser, alors même qu’elle nous menace. Comment expliquer une telle attitude ?
En effet, nous pouvons constater notre inertie individuelle et collective devant la situation environnementale actuelle. Le GIEC parle de « retombées cataclysmiques », et pourtant nos comportements n’évoluent pas suffisamment. Comment se fait-il que nous soyons à la fois conscients des enjeux écologiques et souvent incapables d’agir ? Comment se fait-il que malgré toute ma bonne volonté, je ne parvienne pas toujours à changer mes habitudes, alors même que j’en ai pris la décision ? Comment changer cet état d’impuissance et retrouver le moteur de notre action ?
Même si les comportements des Français ont déjà sensiblement évolué (étude IPSOS pour l’université du facteur humain).
Le besoin de la contrainte pour agir ?
On pourrait en effet se dire que la prise de décision consciente est suffisante et devrait nous permettre d’agir dans le sens choisi. Si nous décidons de diminuer notre empreinte carbone, il suffit de le faire.
Pourtant, force est de constater que notre choix n’est pas nécessairement suivi par une action, comme si quelque chose manquait pour faire le lien entre les deux. Nous avons envie de changer, pourtant nous n’arrivons pas à réaliser cette envie. Est-ce parce que l’envie de changer (i.e., motivation positive) n’est pas aussi forte pour nous que le besoin de changer (i.e., motivation négative émergeant d’inquiétudes, préoccupations) ?
Le type de motivation conditionnerait notre engagement dans l’action : étonnamment, une motivation négative aura plus d’impact sur notre action qu’une motivation positive (e.g., il se peut
que je m’engage plus rapidement et facilement dans un régime si j’ai besoin de perdre du poids pour pouvoir participer à une compétition en sport à catégories de poids, que si j’ai envie de perdre du poids pour me sentir mieux dans mon corps). Car une motivation négative est le résultat d’une contrainte : il s’agit d’un moteur externe à mon envie, qui me pousse malgré moi à l’action. Quand la contrainte s’impose à moi, mon action est en quelque sorte conditionnée par une cause extérieure. Je ne suis pas l’instigateur de mon action, celle-ci est amorcée par autre chose que moi. Il peut alors me sembler que l’action ainsi causée est nécessaire, qu’elle n’aurait pas pu ne pas se produire, puisque je n’ai pas eu à choisir de la réaliser ou non.
En revanche, une motivation positive va créer en moi de l’envie : j’ai ainsi la liberté de choisir ce que je veux accomplir. Serait-ce alors le vertige des possibilités d’action qui m’empêche de m’engager dans l’action ? Car si le désir d’amorcer un changement ne signifie pas que je vais effectivement changer, qu’est-ce qui manque à mon envie pour qu’elle se concrétise ? Devons-nous la transformer en contrainte ?
L’absence d’impact de notre envie
Malgré la difficulté à transformer notre envie en action, le fait d’agir sous la contrainte nous retire tout pouvoir décisionnaire, et donc toute motivation positive. Notre décision peut alors ne pas nous sembler importante.
Inversement, nous pouvons avoir l’impression que le passage à l’action n’aura pas d’impact, précisément parce que je suis seul à décider. Si je suis le seul à agir, je peux douter du bien fondé de ma décision. Ce doute peut être le résultat du biais d'imitation selon lequel nous avons tendance à reproduire les comportements des autres. Or, si personne autour de moi n’agit contre le dérèglement climatique, je vais avoir des difficultés à passer à l’action. L’importance des actions à mener pour impacter durablement la situation environnementale peut me paraître insurmontable, précisément parce que cette situation exige une action collective, et non individuelle.
Aussi la prise de décision ne suffit pas. J’ai beau être sensibilisé au dérèglement climatique, je ne passe pas pour autant immédiatement à l’action pour améliorer mon rapport au vivant.
Qu’est-ce qui fait qu’on ne change pas ?
Qu’est-ce qui nous plonge dans l’inertie et nous culpabilise de ne pas être capable de respecter nos engagements ?
Ce qui tend à freiner notre action, ce sont nos automatismes. Ces derniers ne demandent pas d’effort, n’exigent pas de réflexion de notre part, nous permettant ainsi de nous concentrer sur d’autres choses. Ils ont donc du bon et sont d’ailleurs indispensables, car si nous étions sans cesse en position de mise à distance de nos habitudes déjà contractées ou de chaque décision que nous prenons, cela entraînerait des temps de réaction augmentés, mais aussi une dépense énergétique forte, et de la fatigue mentale. C’est pourquoi nos manières d’être sont majoritairement ancrées dans des automatismes, des schémas spontanés.
Ainsi, se détacher de ses automatismes identifiés comme délétères au profit de nouveaux comportements demande un réel effort, car la simple volonté de l’individu ne suffit pas pour changer. Or, l’effort n’est pas une manière d’être spontanée : il est plus confortable de l’éviter afin d’économiser de l’énergie corporelle et cérébrale. Et c’est en effet l’une des caractéristiques de notre cerveau que de chercher à dépenser le moins d’énergie possible, en évaluant constamment le coût d’une action en fonction de la récompense, du bénéfice escomptés. Et si le bénéfice est jugé trop faible et la récompense trop lointaine, peu de chance que le cerveau s’engage dans le changement.
Sommes-nous prisonniers de nos réflexes cognitifs ou pouvons-nous malgré tout agir dès à présent pour transformer nos manières d’être ?
Si le besoin de changer prime sur l’envie de changer, comment expliquer que la nécessité écologique n’agisse pas sur nous comme une contrainte ?
Avons-nous peur de ne pas être à la hauteur des transformations à venir ? L’inertie serait-elle le résultat d’une résignation acquise, c’est-à-dire du sentiment de n’avoir aucun pouvoir sur une situation ? (Lire l’article « L’impuissance acquise, envers de la motivation » de Stéphanie de Chalvron) La nécessité de changer pourrait être empêchée par cette impuissance acquise qui annihile toute motivation, et donc toute action.
La prise de décision serait alors influencée par nos biais cognitifs, et notamment par le biais du statu quo selon lequel nous avons tendance à nous réfugier dans l’état que nous connaissons plutôt que nous aventurer vers un état inconnu. Ce biais comportemental nous incite à résister au changement et à refuser la nouveauté. Dès lors, malgré la conscience des enjeux écologiques, nous pouvons considérer les actions à mener comme étant à la fois incertaines et comme présentant plus de risques que d’avantages, dans la mesure où il nous faut encore les expérimenter. Or, le biais du statu quo nous conduit à privilégier la connaissance déjà acquise sur l'expérience non encore réalisée.
Aussi, comment réussir à nous défaire de nos biais cognitifs pour réconcilier la prise de décision et le passage à l’action ? Si la seule décision consciente ne suffit pas à influencer durablement nos comportements, la contrainte ne peut non plus apparaître comme un moyen de passer à l’action. Car elle ne permet pas aux individus de se sentir acteurs du changement, ce qui ne peut par la suite transformer durablement les comportements. La décision doit donc être accompagnée, soutenue par une approche réflexive plus profonde, que permet la cognition.
Reprendre le contrôle de sa cognition pour faire évoluer ses comportements
La métacognition, c’est l’ensemble des processus par lesquels nous apprenons à prendre conscience de notre fonctionnement cognitif et des facteurs qui l’influencent. Elle permet d'accroître la connaissance que nous avons de nous-mêmes et du monde. Dans ce travail de compréhension de soi, de ce qui peut influencer la transformation de nos comportements, l’attention, la mémoire et l’émotion jouent un rôle primordial (Damasio). Mais comment renforcer notre métacognition pour agir ?
L’attention.
Cela passe notamment par un recentrement de nos attentions — individuelles et collectives — pour créer du sens aspirant au changement : “Qu’est-ce que ce changement m’apportera de positif ?”Il convient en outre de se questionner sur nos manières d’être dans le monde, sur nos impacts et sur les raisons et bénéfices à changer. Cette approche réflexive semble essentielle pour évoluer
La mémoire.
Une fois le sens cerné, la mémoire peut intervenir en guidant notre action. Je peux par exemple me souvenir d’une action qui a été positive pour moi et pour les autres, tout en ayant des difficultés à la reproduire. Je peux alors tenter de piocher dans ce que ma mémoire a conservé — tout en sachant que ce qui est conservé est aussi influencé par les biais cognitifs — et ainsi orienter ma conduite. Je vais en effet tenter d’éviter les situations qui m’ont causé des désagréments, et recréer les conditions des vécus qui m’ont au contraire apporté des bénéfices. Aussi, si j’ai apprécié effectuer une action qui, même si elle ne change pas le monde à elle seule, apporte tout de même un gain, je peux me rappeler de ce souvenir positif pour m’encourager à agir et influencer mes comportements à venir.
Dès lors, ma mémoire peut être considérée comme le fondement de ma motivation positive, que nous recherchions plus haut, et va générer de l’envie. Celle-ci pourrait se substituer à la contrainte, et amorcer un engagement durable dans l’action, car je me rends alors compte que je suis en mesure de décider en fonction de ce sur quoi mon attention s’est portée, et que cette décision n’est pas vaine.
Les émotions.
Nous voyons alors que l’émotion joue un rôle prépondérant. Elle semble faire le lien entre notre cognition et notre comportement. Car si je pose mon attention sur les souvenirs positifs, c’est que je ressens des émotions capables d’orienter mon attitude vers une certaine voie. Ainsi entendue, l’émotion peut être considérée comme le déclencheur de notre action, ou du moins comme ce qui va orienter notre action. Une émotion positive facilitera le passage à l’action, alors qu’une émotion négative aura tendance à nous empêcher d’agir (Lazarus).
Aussi, c’est par l’émotion que nous pouvons guider notre cognition, et retrouver notre capacité à évoluer, non plus sur le mode de la catastrophe, mais sur une réappropriation de nos capacités à évoluer, notamment par une connaissance de nous-mêmes plus adéquate.
La fresque du facteur humain
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