L’œuvre culte de James Cameron n’est pas le premier film de science-fiction à atteindre des sommets au box-office, mais il est le premier blockbuster écologique. La première superproduction hollywoodienne à délivrer frontalement un message politique environnementaliste.
Ce deuxième opus, tout comme le premier, se veut presque lanceur d'alerte, avec une véritable apologie du vivant, de la biodiversité, et de la nécessité de ralentir sa destruction. « Le film contribue à conscientiser la population sur les dégâts écologiques », indique Yannick Rumpala, directeur de l’Équipe de recherche sur les mutations de l’Europe et de ses sociétés (ERMES).
En proposant une vision non-occidentale de la nature, Avatar rejoint les travaux de l’anthropologue Philippe Descola, qui mettent en lumière l’unité spirituelle entre tous les êtres vivants chez les peuples autochtones d’Amazonie.
Les travaux de Eric LANDOWSKI permettent de tisser des liens entre Avatar et les 4 ontologies de Philippe Descola "par delà nature / culture" - et les 4 courants de l'éthique environnementale au coeur de la fresque des imaginaires #noussommesvivants a découvrir ici.
L’idée du film c'est de comprendre les modes de vie au contact de la nature et du vivant en général
« Tout ce que l'on montre dans le film existe sur Terre. Partout dans le monde, les peuples indigènes sont sous pression, les terres sur lesquelles ils vivent sont captées par des industries polluantes ou victimes de la déforestation. C'est le cas au Brésil, où l'on coupe des arbres pour planter du soja que mangeront des bovins. On perd toute cette richesse culturelle, cette biodiversité, pour quoi ? Une vache de plus ? C'est aberrant. Si un film peut ouvrir les esprits, alerter les consciences et nous inspirer à changer... Il y aura peut-être un petit effet sur des spectateurs. Avatar attire les gens avec l'histoire, la beauté des images, l'action et l'aventure et au passage vous invite à réfléchir sur votre mode de vie. » (source)
Avatar plaide en faveur d’une reconnexion avec la nature, d’une meilleure conservation de l’environnement et d’un plus grand respect des droits des peuples premiers… Toute société est spontanément confrontée à la naissance et à la mort, à la santé et à la maladie, à la croissance et au développement des êtres vivants. L’enjeu est aussi d’analyser ce que ces différentes représentations impliquent en termes d’organisation sociale et politique, de rapport à la nature et à l’innovation technologique… Source
En particulier l'imaginaire des Na'vis qui ont su développer une culture complexe basée sur une profonde connexion spirituelle entre eux, avec leur lune, ainsi qu'avec la divinité Eywa. Les Na’vis vivent en symbiose parfaite avec tous les être vivants et non-vivants de leur Planète. Non seulement ils s’excusent
(comme les Indiens pré-colombiens d’Amérique du Nord) lorsqu’ils doivent tuer un animal mais ils ont des relations très particulières avec les animaux qu’ils « domestiquent ». Les Na’vis sont en communication avec leur montures terrestres et ailées grâce à l’entrelacement des fibrilles qui se trouvent au bout de leurs tresses et d’organes semblables diversement situés chez les vivants de Pandora. Cette communication biologique visible se fait aussi avec les plantes, elles-mêmes en communication via leurs racines, en un réseau global qui forme l’esprit de Pandora. Ils célèbrent l'interconnexion de la nature à travers des contes, des chants, des danses et l'artisanat. En savoir plus sur les Na'vis (ici)
Avatar nous plonge dans 2 mondes dans lesquels les rapports nature / culture sont en tension
Centrer le récit sur le point de vue des Na’vis permet par contraste à James Cameron de présenter l’humanité comme incapable d’un autre rapport au monde que sa domination. Avatar 2 affirme ainsi une position face à l’Anthropocène : il rejette le sacre de l’humain en tant qu’entité supérieure au sein d’un écosystème.
Avatar met en scène deux formes d’écologie radicalement différentes d'après Fabien Trécourt journaliste. En effet 2 représentations du vivant se cachent derrière le message écologique du film. Dans son interview de Perig Pitrou anthropologue CNRS elles sont décrites ainsi :
Du côté des humains l’ordre social est très hiérarchisé, souvent dominé par des hommes virils ; tout repose sur la capacité de quelques individus à accaparer des ressources matérielles – notamment un précieux minerai qu’on ne trouve que sur Pandora… Avatar met ainsi en scène l’extraction d’importantes quantités de ressources naturelles sur un territoire colonisé, afin de répondre aux besoins d’un pays colonisateur. L’une des premières scènes du film est par exemple un survol de l’activité qui se déploie autour de mines, avec leurs immenses cratères et des camions de plusieurs étages transportant des marchandises".
De l'autre, on découvre l’écologie de la planète imaginaire Pandora, notamment l’existence de systèmes de communication entre différentes espèces qui ne ressemblent à rien de ce que l’on connaît sur Terre. Le film montre ce que cette communication implique d’un point de vue politique et social : les espèces vivent en communion les unes avec les autres, des cavaliers humanoïdes nouent un lien éternel et organique avec leur monture, les arbres parlent aux vivants et même aux morts… La diversité des formes de vie est un prétexte pour nous plonger dans un univers animiste, radicalement différent des schémas de pensée occidentaux depuis Descartes
Deux mondes imaginaires inspirés des imaginaires ontologiques de Philippe Descola : naturalisme et animisme
Selon Philippe Descola « tout humain se perçoit comme une unité mixte d’intériorité et de physicalité, état nécessaire pour reconnaître ou dénier à autrui des caractères distinctifs dérivés des siens propres ». Une lecture de "Par delà nature et culture de Philippe Descola" Raphaël Bessis
Les humains perçoivent les non-humains en fonction de apparence externe non-humaine. Les corps se distinguent non pas tant par l’anatomie nue (nature) que par les dispositions qui y sont logées (culture), comme par la façon dont ils se présentent en action au regard d’autrui, c’est-à-dire par les multiples manières de faire usage des corps, de les donner à voir et d’en prolonger les fonctions.
Par intériorité, il faut certes entendre la gamme des propriétés ordinairement associées à l’esprit, à l’âme ou à la conscience — intentionnalité, subjectivité, réflexivité, affects, aptitude à signifier ou à rêver —, mais aussi les principes immatériels supposés causer l’animation, tels le souffle ou l’énergie vitale, en même temps que des notions plus abstraites comme l’idée que je partage avec autrui une même essence, un même principe d’action ou une même origine.
Les 2 imaginaires d'Avatar se dessinent tels que décrits par Arnaud Fossier « Par-delà nature et culture »
- L’ontologie naturaliste – celle de la civilisation occidentale – considère que les humains et les non-humains sont identiques par leur corps, par leur physicalité (les humains comme les chiens ou les cochons ont des yeux, ils ont des cellules comme tous les vivants), mais qu’ils diffèrent par leur intériorité – les humains seuls étant dotés d’une âme ou d’une conscience.
- L’ontologie animiste, elle, part des présupposés inverses : humains et non--humains sont identiques dans la mesure où ils ont tous une âme – le chasseur comme le jaguar ou le pécari –, mais celles-ci sont enveloppées dans des corps différents.
Ainsi, dans l’animisme, très présent en Amazonie et pas seulement chez les Achuar, humains et non-humains se rapprochent par une même intériorité, mais diffèrent par leur physicalité. L’animisme est « l’imputation par des humains à des non-humains d’une intériorité identique à la leur ». « La similitude des intériorités autorise donc une extension de l’état de culture aux non-humains ». Si bien que pour les Makuna d’Amazonie colombienne par exemple, les animaux et les plantes ont une « essence spirituelle » commune. La culture n’est pas le propre des humains, puisque les animaux et les plantes la possèdent aussi.
En présentant à la verticale les 4 ontologies de Philippe Descola on établit un correspondance avec les 4 courants de l'éthique environnementale identifiés par Nicole Huybens et ceux posés dans le dernier rapport de l'IPBS sur les relations humains - non humains
Pour saisir la portée de ce postulat, il faut lire L’EXTINCTION D'ESPÈCE, Histoire d'un concept & enjeux éthiques de Julien Delord qui dresse un panorama des courants majeurs de l’éthique environnementale et les classe en 4 catégories. Une correspondance peut être établie entre ces 4 catégories ci dessous et les 4 ontologies de Philippe Descola sans pour autant trancher sans demander l'avis de l'intéressé.
Sur cette même base Nicole Huybens psychosociologue (2011), M.A. et Ph. D. en théologie pratique de l'Université de Montréal propose cette articulation ci dessous. N. Huybens a mis ses pas dans ceux d’Edgar Morin en se servant de la pensée complexe pour aborder la relation hom-nat. Dans son ouvrage issu de sa thèse «La forêt boréale… », elle distingue 4 représentations possibles entre les humains et les nons humains (pour ne pas dire homme nature) (source)
- L’anthropocentrisme - L’HOMME hors nature : la vision anthropocentrique sépare l’humain de la nature, en fait le maître incontesté.
- Le biocentrisme - Hom-mort NATURE : la vision biocentrique sépare l’humain de la nature, et reconnaît une valeur sacrée à toute vie.
- L'écocentrisme - HOMNATURE : la vision écocentrique fait de la nature un tout dans lequel l’humain est un élément parmi les autres.
- Le multicentrisme - HOMME dans/avec la NATURE : la vision multicentrique voit l’humain comme un partenaire de la nature dans la continuité de l’évolution de l’univers. REGENERATION
Les relations ci dessus sont discriminées en fonction de l’entité naturelle valorisée humains vs/. non humains et leurs relations. Il existe des chevauchements à l'intérieur et entre elles. C'est ce que l'IPBES clarifie pour un plus grand degré d'exactitude dans dans son rapport sur les relations humains - non humains
- Les visions du monde anthropocentriques donnent la priorité aux humains, allant d'une emphase humaine étroite/forte à des perspectives faibles/relationnelles qui ne nient pas les autres non humains (Hargrove, 1992 ; Norton, 1984).
- Les visions du monde bio et écocentriques mettent toutes deux l'accent sur la valeur inhérente ou intrinsèque de la nature surtout d'un point des espèces et un peu moins des individus au sein de chaque espèce. Ces visions du monde considèrent tous les êtres vivants comme dignes de respect et importants dans la prise de décision (Callicott, 1989 ; Taylor et al., 2020). -
- Les visions du monde pluricentriques, reflétent une conception émergente qui s'aligne sur les valeurs relationnelles, se concentrent sur les relations entre les humains et les êtres autres qu'humains, ainsi que sur les éléments de la nature et les processus systémiques, conçus comme réciproques,interdépendants, entrelacés et intégrés (Gould et al., 2019 ; Matthews, 1994 ; Saxena et al., 2018).
Ces 4 « visions de la relation homme-nature » sont au coeur de la Fresque des imaginaires selon le sens que leur attribue la psychosociologue Nicole Huybens : les humains comme individus exploitant la nature pour les anthropocentristes, la vie et l'ensemble des espèces menacées par les humains pour les biocentristes, la communauté biotique pour les écocentristes dont les humains font partie et les êtres vivants comme individus en interaction dans un lieu donné pour le multicentrisme .
On retrouve les imaginaires d'Avatar dans la fresque des imaginaires même si l'articulation corps esprit n'y est pas fondamentale
L’anthropocentrisme (proche du naturalisme) correspond au fait de considérer l’Homme comme étant situé en dehors de la nature. Notre espèce serait alors différente des autres : il existerait une sorte d’exceptionnalisme de l’humain. La « nature » — terme en lui-même révélateur de ce mode de pensée — est alors divisée en « ressources naturelles », évaluées et exploitées en fonction de leur valeur pour l’humain (et donc par leur fonction et non leur essence). La nature, aussi appelée « environnement » a ainsi une valeur instrumentale tandis que l’Homme est le seul à posséder une valeur intrinsèque. « La nature est un objet parce que seul l’humain est un sujet » (Huybens).
La nature n'a pas de valeur propre. Les activités des humains qui exploitent les ressources naturelles ont une valeur. Les raisonnements qui s’appuient sur une logique des coûts et des bénéfices ou sur la gestion des risques permettent d’éluder une discussion sur les valeurs.
Il existe plusieurs « versions » de l’anthropocentrisme (Arsene) : dur (strong), mou (weak), illuminé (enlighten), cynique (cynical)… Au-delà de la société extractiviste représentative d’une vision anthropocentrée à l’extrême, il peut exister des positions anthropocentriques considérée comme « modérées ». Pour elles, il s’agit d’« utiliser mais non d’abuser », selon des éthiques utilitariste/conséquentialiste et pragamatique (Arsene).
Dans le multicentrisme (proche de l'animisme) ce qui est mit en lumière c'est le partenariat que l’humain peut imaginer avec la nature et les autres êtres vivants dans une idée de co évolution.
C'est une approche intégrative (vs. ségrégative) dans laquelle les humains font partie de la nature. La vision multicentrique est individualiste dans le sens ou chaque être vivant est pensé comme entité agissante. D'ailleurs l'impact des activités humaines et non humaines est central dans l'approche, comme dans l'anthropocentrisme. Toutefois les humains comme les non humains peuvent aussi un impact positif sur les écosystèmes. C'est la seule approche dans laquelle les humains peuvent être des auxiliaires de la biodiversité. On parle de régénération assistée par les humains. Et de services écosystèmiques de la nature pour les humains et les autres êtres vivants. Le tout de façon participative avec les habitants d'un lieu, entre les espèces, en symbiose.
En raison du développement de sa conscience, l’humain est conscient de ses actes; responsable de ses impacts. Dans la vision multicentrique, la responsabilité humaine s’exerce dans le cadre d’un partenariat et d’une « communauté de destin » sur la planète. Cette écologie réinscrit les finalités humaines dans une perspective plus large, celle du vivant afin de prendre en compte les besoins de l’ensemble des biotopes et biosphères.
S’il faut résumer, ce bouleversement de notre pensée est que nous avons (re)pris conscience que nous sommes vivants parmi les vivants et que nous allons donc co évoluer sur terre.
La notion d'ajustement au coeur du 4ème imaginaire - animiste et/ou multicentrique- réconcilie les différentes approches.
Eric LANDOWSKI pose au coeur de l'animisme de P. Descola le concept d'ajustement en passant en revue les travaux de Descola au prisme de la sémiologie. Ses travaux n'ont pas d'impact sur les 3 autres imaginaires. Son apport sur l'imaginaire de Descola est majeur dans le sens ou les individus dans l'imaginaire animiste peuvent être dans l'action en pleine conscience.
Désastre concernant la bio-diversité, catastrophe climatique, stérilisation des sols, etc., tels sont les dramatiques problèmes que désormais l’auteur place visiblement au premier rang de ses préoccupations — et, chose pour nous remarquable, face auxquels, à sa manière, dans diverses prises de position et interventions touchant l’actualité, il semble admettre qu’un des seuls remèdes à notre portée (si insuffisant et si tardif soit-il) serait — précisément — l’adoption de pratiques mieux ajustées à l’Autre sous toutes ses formes62.
Philippe Descola montre comment, pour rendre vivable et tant soit peu intelligible le tohu-bohu des singularités éclatées qui les entourent, les individus ou les cultures relevant de cette ontologie établissent des corrélations, des liens de similitude, des correspondances ou des rapports de résonnance, de jumelage ou de connexité entre éléments disparates. De même, côté socio-sémiotique, parmi les diverses attitudes possibles face à l’aléatoire et plus spécialement parmi les pratiques de conjuration du sort que la syntaxe interactionnelle de l’Accident permet de prévoir, les rituels jouant sur les similitudes occupent une place importante10
Un pas majeur pour la pensée complexe. Dans son premier chapitre Leticia Glocer-Fiorini, « La position féminine, une construction hétérogène » nous rappelle que la pensée complexe consiste à garder deux propositions reconnues comme vraies, mais qui semblent s’exclure mutuellement, à les soutenir comme les deux visages d’une vérité complexe, en relation d’interdépendance. La pensée complexe affirme la coexistence de deux notions hétérogènes : ordre et désordre, chaque ordre trouvant dans la limite de son organisation la pression du désordre du fonctionnement d’un autre ordre. Le Féminin et la Pensée complexe de Leticia Glocer-Fiorini [1] Juan Eduardo Tesone
Nous Sommes Vivants a développé une fresque des imaginaires qui questionne nos rapports au vivant afin d'imaginer collectivement d'autres modes de vie
La fresque des imaginaires permet de se projeter dans des modes de vie responsables et désirables en s'inspirant de 4 « visions de la relation homme-nature ». Elle est thématique, par exemple : habiter sur terre en 2030 ou 2050.
Découvrir les 4 imaginaires au coeur de la fresque des imaginaires ICI
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