Ci dessous un extrait de la note sur le Vivant. Lire la note complète (ici)
Les imaginaires au coeur de la fabrique de la société
L’imaginaire désigne l’ensemble des images, langagières (métaphores) et visuelles (pictoriales) qui permettent une relation au monde. (Durand, 1994 et 2003).
Ce « réservoir » d'images produites par l'individu, les groupes et la société a deux visées projectives fondamentales : la première de conservation de la mémoire, lorsqu'on évoque des images du passé la deuxième d'anticipation de l'avenir, lorsqu'on produit des images qui n'ont pas de référent dans le réel mais qui donnent une vision possible du futur.
L’imaginaire participe ainsi à la construction du futur et a donc une dimension performative en ce que les contenus imaginaires donnent du sens à nos actions et ce faisant influencent les modes de vie et incitent à l'adoption de nouveaux comportements. A ce titre, l’imaginaire n’est pas l’opposé de la réalité, il est la part invisible du réel! La circulation des images. Médiation des cultures, Sous la direction de Richard Bégin.
L’ambition de la Fresque des Imaginaires c'est de faire (re)émerger des imaginaires écologiques positifs, responsables et désirables. En effet, la transition écologique, si nous voulons la mener collectivement, suppose de donner véritablement envie à chacun d'adopter volontairement de nouvelles façons d'être au monde, de vivre et d'habiter sur terre et l'adhésion à de nouvelles valeurs ou des valeurs plus profondément ancrées en nous pour réorienter les comportements. Elle nécessite une transformation culturelle portée par des récits et des imaginaires qui agissent sur les représentions mentales de nous même et les représentations collectives inconscientes de ce qui fait société.
La culture est chargée d’imaginaires. Chaque imaginaire étant un monde à part entière, c’est à dire un ensemble fermé de significations, un univers de sens, fruit de l’interprétation concrète, à la fois pratique et théorique, de ce qui est.
Chaque imaginaire est marqué par des archétypes, des modèles élémentaires de comportements et de représentations issus de l'expérience humaine à toutes les époques de l'histoire, on les retrouve dans les mythes.
La culture est elle même une construction. Pour les Anciens, la Nature était à la fois un modèle et un obstacle. Pour les Modernes qui pensent l’univers comme une perfection que l’on peut ou que l’on est condamné à devoir atteindre, la culture sera donc cet outil et ce moniteur du contrôle de l’humain sur son environnement.
La fresque des imaginaires pour repenser la relation de l’humain à la nature qui structure nos représentations du réél et par conséquent nos modes de vie #noussommesvivants
Nous assistons à l'effondrement des représentations de la société causé par l'épuisement de l'imaginaire du progrès
Depuis la fin du XXème siècle ce n'est plus l'imaginaire de la modernité et du progrès qui lui est associé qui est dominant en occident et plus particulièrement en France, c’est plutôt le récit de la crise de la modernité : l’horizon du « progrès » laisse place à un présent submergé par les « dégâts du progrès ».
Aujourd’hui on constate l’émergence d’une forme de binarité inconciliable causée par cette polarisation modernité & progrès VS. nature & ralentissement : ville vs. campagne, tech vs. low tech, humain vs. non humain, croissance vs. décroissance. Une binarité qui est source d’éco-anxiété et nous limitant à des perspectives sans nuances et obstruant la projection dans un futur enviable.
L'humanité n’a plus en face d’elle une « nature » dont il faudrait s’émanciper par la connaissance afin de la domestiquer au service de la croissance et de l’abondance : elle a en face d’elle les conséquences négatives de son propre développement qui met en péril toute forme de vie sur terre. Eric Macé
La source de cette crise de liens remonte au « Grand Partage » (la séparation « Nature-Culture ») qui a commencé en Europe à la Renaissance avec l’émergence de l’individualité avant de s’imposer auprès des modes de pensée des élites au XVIIe siècle et d’atteindre ensuite le reste de la population. La fin d’un grand partage Nature et société, de Durkheim à Descola
La crise écologique nous invite à nous interroger sur ce partage, et à revenir sur le sens de ce clivage. Elle pose clairement la question de l’habitabilité de cette planète dans un futur proche. Comment nous situer dans le monde, dans un contexte dont nous faisons partie, mais au centre duquel nous ne sommes pas nécessairement situés, et où nous découvrons la multiplicité des réseaux d’interdépendance qui lient humains et non-humains ?
Selon Callicott, c’est uniquement en nous détournant du seul point de vue de la communauté interhumaine et en adoptant le point de vue de « la terre comme une communauté biotique » qu’une éthique environnementale peut voir le jour. Cette prise de conscience est décisive dans la remise en cause de l’anthropocentrisme et dans la possibilité de réinscrire l’être humain dans la communauté terrestre à laquelle il appartient comme toutes les autres espèces. L’enjeu d’un tel décentrement est non seulement d’étendre la question éthique au-delà des seuls animaux qui nous ressemblent le plus, mais aussi de poser la question de la morale au niveau des écosystèmes et non plus des individus pris isolément.
Et si il s'agissait de refaire société entre nous, les vivants - humains et non-humains. Pour bien vivre tous ensemble sur terre ? Baptiste Morizot, philosophe et naturaliste dit que « nous sommes des vivants parmi les vivants », que nous devons apprendre à cohabiter avec les autres espèces, comprendre le fonctionnement des écosystèmes, s’en inspirer et en respecter l’équilibre.
Ce qui est en jeu c'est d'ouvrir des perspectives au delà de l'imaginaire Anthropocentrique.
Avec l'anthropocène l’histoire de la Terre entre en collision avec celle des hommes et des femmes qui l’habitent, re-dessinant ainsi les contours d’une nouvelle géopolitique : une politique de la Terre, qui reste à inventer. Car le désordre engendré par les effets de l’activité humaine sur le climat ne porte pas que sur la Terre. Il porte aussi sur le monde et diverses facettes de l’activité humaine : sécurité alimentaire, accès aux ressources vitales, migrations forcées et soudaines, précarité énergétique.
Le « moment anthropocène » est ainsi le stade ultime d’une modernité qui conduit à menacer l’existence même des humains en raison de l’augmentation exponentielle d’une pression anthropique qui se niche dans la totalité de nos activités de production et de consommation, de nos modes de vie, des inégalités sociales et mondiales et d’un rapport instrumental à la « nature ».
Le point de départ de l’éthique environnementale de Callicott est le constat d’un biais anthropocentriste dans les philosophies morales traditionnelles, aussi bien du côté de la morale utilitariste (Mill, Bentham) que du côté de la morale déontologique (Kant) (Callicott, 2021). La philosophie morale traditionnelle a principalement réfléchi à ce qui est utile aux êtres humains, ou bien aux devoirs qu’entretiennent les êtres humains les uns envers les autres. (source)
Pour Philippe Descola, il faut combattre l’humanisme au sens de l’anthropocentrisme. C'est à dire la domination des humains sur la nature. Comprendre que la nature n'existe pas comme concept séparé de l'humanité. Déconstruire le principe du cogito ergo sum de Descartes, selon lequel seul l’humain un sujet car il est doté de rationalité et de sensibilité, et la nature un objet.
Dans l'anthropocène les activités humaines sont réduites à leurs impacts négatifs. La détresse psychique ou existentielle causée par les changements environnementaux passés, actuels ou attendus ne nous met pas en mouvement pour améliorer les condition des vies des générations futures et encore moins d'améliorer l'habitabilité de la terre pour tous les êtres vivants. Impossible de se projeter dans le futur, l'humanité n'a pas d'avenir sur terre.
Ainsi de l'anthropocène n'émanent que des futurs dystopiques, aucune place pour les utopies. L’Anthropocène est intimement reliée au fantasme d'effondrement de la civilisation occidentale dans un futur proche. L'effondrement étant un concept créé par Pablo Servigne qui dit dans son livre que « l’effondrement, c’est le processus à l’issue duquel les besoins de base (eau, alimentation, logement, habillement, énergie, etc.) ne sont plus fournis à une majorité de la population par des services encadrés par la loi ». Dans sa lignée, la collapsologie est l’étude de l’effondrement de la civilisation industrielle, qui propose une approche systémique à partir de scénarios et prévisions scientifiques (Anthropocène et effondrement : approches de la « civilisation industrielle »ici).
Quels imaginaires pour dépasser l’Anthropocentrisme ?
Dans L’EXTINCTION D'ESPÈCE, Histoire d'un concept & enjeux éthiques Julien Delord dresse un panorama des courants majeurs de l’éthique environnementale.
John Baird Callicott distingue quatre théories différentes parmi les éthiques non-anthropocentriques :
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La théorie néo-kantienne (ou biocentrique stricte) dont les représentants principaux sont Paul Taylor, Robin Attfield et Holmes Rolston.
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La théorie des défenseurs de la « libération animale » (ou pathocentrisme) avec pour leaders Peter Singer ou encore Tom Regan.
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La théorie leopoldienne (ou écocentrique) dont la figure emblématique est Aldo Leopold et dont John Baird Callicott est le représentant essentiel avec aussi W. Godfrey-Smith, Richard et Val Routley.
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La théorie de l’auto-réalisation (Self-realized ou encore Deep Ecology) fondée par Arne Naess, avec pour disciples Georges Sessions, Michael Zimmerman, Warwick Fox.
On les retrouve ci dessous dans un classification des diverses perspectives théoriques pouvant être adoptées en éthique de l’environnement selon les axes de distinction individualisme/holisme et anthropocentrisme/non-anthropocentrisme par Antoine Corriveau-Dussault
Sur cette même base Nicole Huybens psychosociologue, M.A. et Ph. D. en théologie pratique de l'Université de Montréal propose cette articulation. Dans l’ouvrage issu de sa thèse, La forêt boréale, l’éco-conseil et la pensée complexe. Comprendre les humains et leurs natures pour agir dans la complexité, elle distingue quatre représentations possibles. Les théories sont discriminées en fonction de l’entité naturelle valorisée (source)
- L’anthropocentrisme - L’HOMME hors nature : la vision anthropocentrique sépare l’humain de la nature, en fait le maître incontesté.
- Le biocentrisme - Hom-mort NATURE : la vision biocentrique sépare l’humain de la nature, et reconnaît une valeur sacrée à toute vie.
- L'écocentrisme - HOMNATURE : la vision écocentrique fait de la nature un tout dans lequel l’humain est un élément parmi les autres.
- Le multicentrisme - HOMME dans/avec la NATURE : la vision multicentrique voit l’humain comme un partenaire de la nature dans la continuité de l’évolution de l’univers. REGENERATION
Ces 4 « visions de la relation homme-nature » sont utilisées dans la Fresque des imaginaires selon le sens que leur attribue la psychosociologue Nicole Huybens : les humains comme individus exploitant la nature pour les anthropocentristes, la vie et l'ensemble des espèces menacées par les humains pour les biocentristes, la communauté biotique pour les écocentristes dont les humains font partie et les êtres vivants comme individus en interaction dans un lieu donné pour le multicentrisme.
Ces 4 « visions de la relation homme-nature » sont alignées avec la typologie de l'IPBES et ses 4 valeurs de la nature en fonction des relations possibles avec la nature: « vivre de la nature », « vivre avec la nature », « vivre dans la nature » ou encore « vivre et comme la nature ». L’IPBES explique cette nouvelle typologie. « Vivre de la nature » se réfère à toutes les ressources fournies par la nature « pour assurer les moyens de subsistance, les besoins et les désirs des êtres humains comme la nourriture et les biens matériels. La famille de valeurs « vivre avec la nature » concerne la vie des « êtres vivants non humains » , par exemple « le droit intrinsèque d’un poisson à vivre librement dans une rivière ». Enfin, « vivre dans la nature renvoie à l’importance de la nature en tant que cadre contribuant à forger un sentiment d’appartenance et l’identité des personnes ». Et« vivre comme la nature illustre la connexion physique, mentale et spirituelle des êtres humains avec la nature".
L’anthropocentrisme, c'est "la vue selon laquelle la Terre et tout ce qu’elle contient de non-humains existent ou sont disponibles pour le bénéfice de l’homme et pour servir ses intérêts" d'après Richard et Val Routley.
L’anthropocentrisme s’enracine dans la tradition judéo-chrétienne mais aussi dans la pensée grecque et dans la pensée humaniste. Parce que toutes trois considèrent l’homme comme la mesure de toute chose, elles cherchent son épanouissement en prônant le développement des facultés proprement humaines. Dans l’anthropocentrisme, la considération morale ou le respect vise les individus humains exclusivement.
La relation des humains à la nature est fondée sur la domination des humains sur les animaux, végétaux, eaux, sols et air…Tout se doit d’être discipliné : depuis le découpage uniforme du paysage jusqu’aux ruisseaux rectifiés pour irriguer. C’est une relation de prédation. Il existe plusieurs « versions » de l’anthropocentrisme (Arsene) : dur (strong), mou (weak), illuminé (enlighten), cynique (cynical)… Au-delà de la société extractiviste représentative d’une vision anthropocentrée à l’extrême, il peut exister des positions anthropocentriques considérée comme « modérées ». Pour elles, il s’agit d’« utiliser mais non d’abuser », selon des éthiques utilitariste/conséquentialiste et pragamatique (Arsene).
L’anthropocentrisme correspond au fait de considérer l’Homme comme étant situé en dehors de la nature. Notre espèce serait alors différente des autres : il existerait une sorte d’exceptionnalisme de l’humain. La « nature » — terme en lui-même révélateur de ce mode de pensée — est alors divisée en « ressources naturelles », évaluées et exploitées en fonction de leur valeur pour l’humain (et donc par leur fonction et non leur essence). La nature, aussi appelée « environnement » a une valeur instrumentale tandis que l’Homme est le seul à posséder une valeur intrinsèque. La nature est un objet parce que seul l’humain est un sujet. La nature n'a donc pas de valeur propre. Elle est exploitée pour les besoins exclusifs des humains.
Ce qui compte c’est la capacité de faire - faire toujours plus (on arrête pas le progrès). Tout est ressources pour agir. Le risque c’est de ne plus pouvoir agir, ce qui est apparenté à une perte de contrôle. Un pouvoir à l’image de Prométhée qui a symboliquement apporté la technique aux hommes, pour devenir la seule espèce libre de se réinventer en permanence.Les humains tentent de dominer la nature pour apporter le « progrès » aux mêmes humains.
L'imaginaire anthropocentrique est marqué par la prédation. Extraire des minéraux, travailler les sols avec des machines, exploiter les êtres humains - non humains - pour produire toujours plus. Imaginaire marqué par la puissance technique pour le tout contrôle, et le règne de l’ingénieur qui trouve une solution à tous les problèmes. Dans une lettre à Schiller, Alexandre de Humboldt définissait l’objet de sa recherche comme l’étude de « l’habitabilité progressive de la surface du globe », qu’il entendait comme la façon dont les humains avaient peu à peu transformé leurs environnements pour les plier à leurs usages et former des écosystèmes au sein desquels ils étaient devenus des forces décisives. Humain, trop humain ? Philippe Descola.
Le biocentrisme s'exprime dans le respect de toute forme de vie. "Selon l’égalitarisme biocentrique, tous les êtres vivants ont la même valeur, et cette valeur nous impose le respect". (Paul Taylor)
L'approche biocentrique est une approche holistique selon laquelle chaque être vivant, quel qu’il soit, humain ou non-humain, possède en soi une valeur intrinsèque, c'est à dire inhérente et non instrumentale. D'après Paul Taylor, tout être vivant est un "centre téléologique de vie", les organismes vivants ont leur finalité, ils possèdent un bien qui leur est propre, l’accomplissement de leurs fonctions biologiques, qu’ils poursuivent par leurs propres moyens.
La nature est à protéger parce qu'elle a une valeur en elle- même, quelque soit son usage par les humains. Les êtres humains ont le devoir moral de la respecter. C'est ce que propose le philosophe Hans Jonas dans son oeuvre Une Ethique pour la Nature. L'évolution humaine implique, selon lui, de nouvelles responsabilités c'est-à-dire qu'il faut répondre à de nouvelles exigences envers les êtres vivants et la nature en général. Cette approche pose ou repose donc la question des droits et devoirs des humains vis-à-vis des espèces. D'ou le développement de parcs et réservent naturelles,"à coté "des activités humaines. La nature est un patrimoine à conserver, pour le présent et les générations futures. Et le développement des droits de la nature. Les droits de la Nature sont un champ juridique nouveau qui reconnaît les écosystèmes et entités du Vivant comme sujets de droits et membres de la communauté interdépendante de la vie : la Communauté de la Terre. Cette approche va se traduire essentiellement par des interdictions pour protéger les animaux non humain au nom de la souffrance animale par exemple et considérer comme « personnalité juridique dotée de droits » des écosystèmes comme un fleuve, un glaciers, un lacs, une forêt, une cascade, une prairie...
En faisant de l'humain le destinataire d'une injonction morale, le respect de la nature, les biocentriques s’adressent à la raison et à la volonté, et non au cœur ou aux affects (bien qu’elles tentent de plus en plus de les intégrer également, comme dans l’écocentrisme par exemple). Ce faisant, elles n’aident pas à comprendre comment nous rendre disponibles à ce que notre responsabilité envers les autres vivants, présents et futurs, exige de nous. La défense des « intérêts moraux » des êtres sensibles de Palmer, restent, en dépit des intentions altruistes de leurs auteurs, « anthropocentrées ». Notre manière même de concevoir l’ordre, en général et dans la nature, est humaine, tout comme nos façons de raisonner, de modéliser et de théoriser, nos langages et nos langues dites « naturelles ».
La coupure entre l’humain et la nature est maintenue comme dans la vision anthropocentrique, mais il y a inversion du lien de subordination : c’est la nature qui est "supérieure" aux humains. Dans cette vision, les activités humaines bouleversent l’équilibre et dégradent la nature. L’humain est donc le parasite de la Terre, son ennemi. « Entre la terre et l’homme, ils optent pour la terre contre l’homme. L’être humain est la menace de la terre, sa déchéance, son cancer » (Beauchamps, 1993). De ce fait, la vision biocentrique est souvent qualifiée d’« anti-humaniste ». L’humain est considéré comme un élément extérieur à la nature, particulièrement destructeur, et ce qui est à protéger c'est avant tout une nature menacée.
En éthique environnementale biocentrique l’animal comme individu ne figure pas au premier plan des préoccupations d’un environnementaliste ou d’un écologiste. Ce qui importe à ces derniers, c’est avant tout une population animale dans un écosystème déterminé ou une espèce menacée. Ce sont elles qu’il convient de protéger. Les pathocentrismes, Gérald Hess. Une forme de protection de la biodiversité qui s’intéresse surtout à des entités supra-individuelles, comme les espèces ou les écosystèmes. Le bien de l’espèce ne coïncide pas nécessairement avec celui des individus qui la composent et ne se réduit pas à la somme des biens individuels. Philosophie de la biodiversité de Virginie Maris.
L'imaginaire biocentrique est donc marqué par la protection des autres être vivants. Emprunt de romantisme. Par exemple le romantisme américain (particulièrement chez Thoreau et Emerson) celui d'un amour d’une nature sauvage (wilderness) qu’il faut respecter et préserver. Double mouvement. D'un coté, la prise de conscience de la beauté du monde et de sa disparition imminente. Ainsi la création de zones protégées, un paradis vierge de toute activité humaine… mais aussi le rêve d'une forêt primaire en France...créé de toutes pièces. Ou la réintroduction des ours, loups… Et de l'autre, la nostalgie d’un monde qui n’est plus. La planète a perdu en moyenne près de 70% de ses populations d'animaux sauvages en une cinquantaine d'années, selon l'évaluation de référence du Fonds mondial pour la nature (WWF), qui pointe le lien de plus en plus marqué entre perte de biodiversité et réchauffement climatique.
L’écocentrisme met l’accent sur l’interdépendance des formes de vie à leur milieu au sein d’un tout pensé à l'équilibre. Ce qui a de la valeur c'est l'écosystème. Ce concept a été créé par Transley et Lindeman en 1935. L’écosystème c’est « l’unité écologique de base en laquelle peuvent se réduire les systèmes écologiques plus complexes (…) C'est une approche holiste qui inclut des entités globales : les espèces, les communautés d’êtres vivants. Dans les écosystèmes, les éléments biotiques (êtres vivants) interagissent avec les ressources a-biotiques (ressources nécessaires à la vie et matières premières) dans un biotope (lieu) pour former un tout qui a sa cohérence propre.
C'est une approche holiste qui inclut des entités globales : les espèces, les communautés d’êtres vivants, les écosystèmes. La vision écocentrique s’appuie sur les découvertes systémiques de l’écologie scientifique : les éléments vivants (biotiques), et non vivants (a-biotiques) interagissent pour former un tout qui a sa cohérence propre. L'écocentrisme est basé sur le modèle odumien et ses notions de climat, de nature à l’état d’équilibre. Après un premier texte de John Baird Callicott qui pose quelques bases de cette éthique, c’est surtout Aldo Léopold qui en dessine les fondements via son Almanach d’un comté des sables de 1949. Le propre de l’éthique leopoldienne est d’être holiste et écocentrée, par différence avec les éthiques environnementales individualistes et biocentrées.
D'après l'auteur de "La Terre est un être vivant - L’hypothèse Gaïa " (James Lovelock, 1993) l'atmosphère n’est pas donnée mais produite par tous les êtres qui peuplent la Terre. La théorie Gaïa explique que tous les organismes de la planète sont interdépendants et forment un seul grand organisme. Chaque élément de cet organisme complexe agit pour l’autorégulation. Gaïa, forme un écosystème autorégulé, un « quasi-être vivant». Ainsi les écosystèmes ont une valeur au delà de la sommes des éléments vivants / non vivant qui les composent. De plus leur valeur réside dans leur capacité à résister aux perturbations, de toujours revenir à l'équilibre. Ainsi le climax est un état ultime, d’équilibre, vers lequel tend un écosystème. Clements est arrivé à cette théorie après avoir mis en évidence que la végétation a « une tendance constante à devenir statique » malgré son caractère dynamique.
Penser la nature comme un tout et harmoniser les conduites humaines aux lois de la nature sont les piliers de la vision écocentrique. D'une part les connaissances scientifiques permettent de comprendre et se conformer aux lois de la nature. Les lois de la nature deviennent des règles éthiques pour réguler les décisions humaines sur la nature. D'autre part, la beauté ou l’équilibre de la nature indiquent ce qu’il convient de faire et de ne pas faire. Enfin, les écocentristes font souvent appel au principe de précaution dans son sens restrictif : quand on ne connaît pas avec exactitude les conséquences d’une décision, il importe de ne pas la mettre en œuvre tant que les conséquences pour l'environnement ou la santé humaine sont incertaines et que les enjeux sont importants.
L’écocentrisme s’efforce de maintenir la composition et l’intégrité des écosystèmes et des processus écologiques, y compris si cela nécessite de sacrifier quelques individus (Booth, 1992). Ainsi, pour Aldo Léopold (2000), « une action est juste, quand elle a pour but de préserver l’intégrité, la stabilité et la beauté de la communauté biotique. Elle est répréhensible quand elle a un autre but ». L’écocentrisme prône ainsi l’existence d’une « valeur systémique » des écosystèmes naturels. Ces entités globales ont une valeur intrinsèque, non pas en tant qu’elles contiennent une somme d’êtres vivants possédant chacun leur propre valeur (comme cela est le cas pour le biocentrisme), mais en tant qu’elles sont une matrice pour les organismes vivants.
Les humains font partie des autres êtres vivants mais ils ne sont pas tout a fait des êtres vivants comme les autres. D'après le botaniste anglais Pour A.G. Tansley, à l'origine du concept d’écosystème en 1935, les écosystèmes sont « les unités de base de la nature à la surface de la terre », donc des entités réelles et spatialisées, susceptibles d’être transformées par l’homme. Ce qui amène Bryan Norton à se positionner en fervent anti-écocentrique : le holisme moniste de l’écocentrisme conduirait à ne valoriser les individus humains que dans la mesure où ceux-ci contribueraient au fonctionnement harmonieux de l’écosystème? Norton propose de se tourner vers une théorie holiste pluraliste, attribuant aussi bien une valeur aux individus qu’aux entités supérieures. "Les courants majeurs de l’éthique environnementale"
Les humains n'étant toujours pas les bienvenus, la seule manière qu'ils ont d’aborder la nature est de la percevoir via le mental de façon spirituelle. D’après le philosophe américain Holmes Rolston, « la vue de la Terre depuis l’espace délivre en tant que telle un impératif éthique, et elle est apparentée, en ce sens, à une expérience épiphanique, c’est-à-dire la révélation d’une transcendance qui inspire un sentiment de crainte respectueuse mêlée d’admiration – ce sentiment paralysant d’être dépassé par une puissance créatrice supérieure, qui nous enveloppe en nous assignant une position au sein de la création ».
L'imaginaire écocentrique est marqué par l'équilibre des écosystèmes dans un état global à la fois cyclique et permanent. Les humains font partie d'un tout et font un avec la nature. Les recherches plus récentes ont exposé les similitudes existant entre le corps humain et la surface de la planète sont frappantes : Tous les deux sont constitués d’environ 70% d’eau, et l’eau des océans contiendraient les mêmes proportions de minéraux que le sang (si on exclut le sel). L'homéostasie de la nature est rassurante. Elle correspond à la capacité d'un système à se maintenir à l'équilibre quelles que soient les contraintes. "L'illustration la plus récente de la puissance biologique de la Nature est l'implantation rapide de formes de la vie sur Surtsey, une île nouvelle créée par l'éruption volcanique souterraine du 14 novembre 1963, au large des côtes de l'Islande. Moins de 10 ans après son apparition, Surtsey a acquis, des îles voisines et de l'Islande elle-même, un biotope complexe qui la rend pratiquement semblable aux différents éléments de l'écosphère islandaise." Source La science permet de créer des systèmes résilients en s’inspirant des cycles naturels.
Dans le multicentrisme ce qui est mit en lumière c'est le partenariat que l’humain peut imaginer avec la nature et les autres êtres vivants dans une idée de co évolution.
Le multicentrisme est dans le prolongement de l'écocentrisme de Aldo Léopold quand il parle d’une « éthique de la terre » (land ethic), comme d’une relation responsable existant entre les êtres humains et les territoires qu’ils habitent, en état d’équilibre relatif et temporaire.
C'est une approche intégrative (vs. ségrégative) dans laquelle les humains font partie de la nature. La vision multicentrique est individualiste dans le sens ou chaque être vivant est pensé comme entité agissante (un individu parmi d'autres avec ses spécificité propres). D'ailleurs l'impact des activités humaines et non humaines est central dans l'approche, comme dans l'anthropocentrisme. Toutefois les humains comme les non humains peuvent aussi avoir un impact positif sur les écosystèmes ...à leur niveau. C'est la seule approche dans laquelle les humains peuvent être des auxiliaires de la nature pour agir en faveur de la biodiversité sans se substituer à la nature. On parle de régénération assistée par les humains. Et de services écosystèmiques de la nature pour les humains et les autres êtres vivants. Le tout de façon participative avec les habitants d'un lieu, entre les espèces, en symbiose.
Dans la vision multicentrique, la responsabilité humaine s’exerce dans le cadre d’un partenariat et d’une « communauté de destin » sur la planète. Cette écologie réinscrit les finalités humaines dans une perspective plus large, celle du vivant. En raison du développement de sa conscience, l’humain est conscient de ses actes; responsable de ses impacts.
Si dans l'écocentrime la réflexion se porte sur des écosystèmes non localisables, dans le multicentrisme apparait le concept de biorégion, qui selon l’essayiste américain Kirkpatrick Sale, est « un lieu défini non par les diktats humains mais par les formes de vie, la topographie, le biotope ; une région gouvernée non par la législature mais par la nature ». Chaque biorégion est précisément située, unique et reconnaissable. On y retrouve des espèces animales et végétales spécifiques, un climat dominant, des types de sols caractéristiques autant que des modalités d’installations humaines particulières. « Parler de biorégion, c’est tenter de décrire un milieu de vie plus qu’humain, partagé et cohabité », explique à Reporterre le professeur d’architecture Mathias Rollot. Son échelle emblématique est le bassin-versant. Les biorégions suivent les torrents, les rivières et les fleuves qui apportent avec l’eau la vie et créent une première forme de communauté. (source)
Pour souligner la dimension locale de l'approche multicentrique, on utilise le terme d’écocomplexe qui désigne des systèmes écologiques interdépendants dans un territoire, représentant le résultat d'une histoire naturelle et d'une histoire humaine imbriquées. Il s’agit pour les humains de travailler à construire sur leurs territoires, une manière d’être, un éthos du lien à l’Autre, à la Nature, porteur de sens en investissant leur temps, leur énergie et leur affection dans le temps long de la localité. Le multi centrisme c'est l’habitant en nous, celui qui est capable de créer des liens non pas seulement économiques, mais affectifs, sinon affectueux avec l’altérité, c’est-à-dire le monde entier. Valérie JOUSSEAUME Institut de Géographie et d’Aménagement de l’Université de Nantes - CNRS ESO D'ailleurs, les collapsologues Pablo Servigne, Gauthier Chapelle et Raphaël Stevens appellent dans leur dernier ouvrage, Une autre fin du monde est possible (Seuil, 2018) à cultiver un « pluralisme ontologique » s’inspirant en Europe de nos propres traditions locales (folklore russe, breton, etc.).
Certains acteurs sociaux, à l’image du réseau de l’agriculture paysanne (FADEAR), sont porteurs d’une autre vision, dans laquelle les vivants (humains ou non) coexistent, coévoluent. Sur le plan des idées, il s’agit de développer une écologie de la réconciliation, qui à l’instar des cultures non européennes replace l’humanité au cœur d’une nature parcourue de dynamiques, plutôt que face à un stock inerte comme l’Occident se l’est trop longtemps représenté.
Le partenariat associe l’humanité et la nature dans une relation réciproque. Edgar Morin utilise l’image du co-pilote : « L’homme doit cesser de se concevoir comme maître et même berger de la nature. (…) il ne peut être le seul pilote. Il doit devenir le copilote de la nature qui elle-même doit devenir son copilote » (Edgar Morin). La mise en mots de ce partenariat appartient à l’espèce humaine parce qu’elle est la seule à être capable de participer à l’évolution de manière consciente ou délibérée, grâce au langage et aux idées. (La vision multicentrique : l’HOMME dans/avec la NATURE Interview de Nicole Huybens).
L'humain peut assister les efforts de la nature pour se régénérer. La régénération porte en elle la réparation, la force inhérente de la vie et la possibilité d’imaginer l’avenir. S’il faut résumer, ce bouleversement de notre pensée est que nous avons (re)pris conscience que nous sommes vivants parmi les vivants et que nous allons donc co-évoluer sur terre….avec des ressources communes qu’il convient de partager.
L'imaginaire multicentrique est marqué par le vivant et la régénération du vivant.
Par sa prise conscience du vivant, l'humain se rend capable de saisir le « tissu » du vivant dans ses interdépendances, et le « fleuve » du vivant dans sa continuité depuis l’apparition de la vie sur Terre. Or ce sont ce tissage et ces dynamiques qui rendent la Terre habitable pour nous et pour les autres, et on comprend par là que ce sont elles qu’il faut défendre, et dont il faut prendre soin, et pas seulement de chaque espèce séparée comme si elle était posée là sur un décor". Baptiste Morizot
Penser avec cette idée de « vivant » n’oppose plus nature et culture, puisque la culture est une manifestation du vivant dans l’humain, une faculté façonnée par l’évolution du vivant. Ce concept permet, par la force de la langue elle-même, de ne plus opposer humain et nature, puisque par définition, nous en sommes, des « vivants », nous sommes embarqués avec tout le vivant pensé comme aventure biotique, nous sommes tramés aux vivants d’un point de vue écologique. C’est pourquoi il est en train de prendre de l’ampleur dans le monde des idées. Berthomeau
La question du vivant conduit à la remise en cause de notre architecture mentale dans tous les domaines, la politique, les sciences, la culture, les affectes, l’économie, l’organisation sociale, la métaphysique. Ce travail est d’ordre culturel au sens qu’il s’agit de refonder un mode d’être au monde. Celui çi porte le nom de régénération en opposition à la dégénération qui caractérise l'anthropocentrisme.
Nous Sommes Vivants développe une fresque des imaginaires qui permet d'imaginer collectivement d'autre façons d'être au monde et l'habiter.
La fresque des imaginaires s'inspire de 4 « visions de la relation homme-nature » et permet un temps de réflection sur son rapport à soi, aux autres et à la nature. Elle est thématique, par exemple : habiter sur terre en 2050.
Voir la genèse du projet ICI #noussommesvivants #facteurhumain #imaginaires
Présentation de la Fresque des imaginaires #noussommesvivan…
C'est un formidable travail d'exploration que propose Jeremy. Nous sommes dans un moment de l'histoire où l'imaginaire institué qui nous portait ne répond plus aux contraintes du réel.
Rédigé par : JC CASALEGNO | 10/05/2024 à 11:03