A l’heure où les enjeux écologiques imposent des changements de comportements, osons explorer des changements de comportements profond au delà des petits gestes. La source de la disparition du vivant réside dans les relations que nous les humains entretenons avec la nature. La prédation sur les ressources naturelles détruit les écosystèmes naturels et humains. Un lien peut être fait entre stress environnemental (réduction des ressources) et stress social (réduction des capacités d'adaptation). Le stress étant un facteur explicatif des rapports de prédation au sein d'un groupe social dans son environnement. Nous devons prendre conscience des rapports de prédation que nous entretenons. En prendre conscience pour pouvoir mieux vivre ensemble sur terre. Face à la nécessité de poser la régénération du vivant comme priorité des activités humaines, face à la nécessité de coopérer pour réussir dans un temps court...la prédation doit appartenir au monde d'avant !
Selon Jared Diamond, la géographie – ou pour mieux dire l’environnement – est la cause fondamentale de la différenciation du destin des sociétés (son livre : De l’inégalité parmi les sociétés), de même qu’une mauvaise gestion des ressources naturelles est un élément déterminant dans l’effondrement de certaines civilisations et dans la détérioration de leurs relations avec les autres (son livre : Collapse). Ainsi la civilisation européenne a pu conquérir le monde et coloniser l'Afrique et les Amériques parce qu’elle a bénéficié d’un environnement privilégié riche en ressources naturelles – animales et végétales –nourrissantes et mobilisables pour la production. source
Toujours selon Jared Diamond, les sociétés les plus favorisées d’un point de vue biologique (faune, plantes) et géographique (espace permettant la diffusion des espèces) ont pu développer des techniques qui ont assuré leur suprématie : l’agriculture, la métallurgie, l’écriture, les Etats, etc. Elles ont également été confrontées à un plus grand nombre de maladies, notamment du fait de l’urbanisation et du contact quotidien avec des animaux domestiques. Les hommes qui les composent ont ainsi pu développer une gamme de défenses immunitaires contre des maladies mortelles qui les protégèrent du choc de la rencontre avec d’autres civilisations – à l’inverse, les peuples indigènes du continent américain ont subi de plein fouet les maladies des conquérants contre lesquelles ils n’étaient pas immunisées par les échanges quotidiens, qu’ils soient interhumains ou avec les animaux. Les armes, les virus et l’acier qui ont permis la destruction d’un Empire par les quelques centaines de soldats qui accompagnaient Hernan Cortès, sont le produit d’un développement plurimillénaire des sociétés européennes qui repose en dernière instance sur la dotation environnementale.
En France aussi il existe des inégalités environnementales. Sur les 30 dernières années, une étude constate une aggravation des écarts d'espérance de vie entre départements ruraux et départements urbains, pour atteindre près de deux ans d'espérance de vie en moins pour les hommes et un an pour les femmes. Alors qu'en 1990, la différence était quasiment nulle. "Le plus surprenant est la régularité extrême du lien entre types de départements et espérance de vie", note l'étude. Pour obtenir une appréciation plus fine de la mortalité, à l'échelle infradépartementale, l'étude établit un "indicateur comparatif de mortalité", avec un score pour chaque bassin de vie. Cet indicateur permet ainsi d'établir une carte des "écarts à la mortalité moyenne". Résultat : "ce qui frappe d'abord", c'est "une géographie régionale", avec des écarts plus importants dans le nord et l'est, le centre ou la pointe de la Bretagne, ainsi que dans les territoires d'outre-mer." source
Depuis les années 1990, la recherche du lien entre les comportements humains et l’environnement dans les conflits armés est un sujet d'étude qui pose le contexte environnemental comme élément déterminant dans l’émergence de violences armées. Les scientifiques ont démontré que la dégradation et la diminution des terres agricoles, des forêts, des ressources en eau ou encore des stocks de poissons contribuent à l’apparition de conflits armés. Le stress sur les ressources au sens large est donc un élément décisif du rapport de prédation sur la nature (surexploitation) et entre les humains (esclavage, violences, domination...). Un État détenteur de ressources en hydrocarbures a neuf fois plus de risques d’être le théâtre de conflits armés qu’un État non pourvu (ici)
T. Homer-Dixon décrit très précisément la façon dont le stress environnemental conduit à un climat d’insécurité et d’instabilité au sein de la société au travers de la notion de rareté environnementale qui se compose de trois dimensions, conduisant à de lourdes conséquences. source
- La rareté environnementale induite par l’offre, par l’approvisionnement : les ressources diminuent et sont dégradées plus rapidement qu’elles ne sont renouvelées (la probabilité de l’émergence de violents conflits serait plus grande dans les États où l’on constate une dégradation des terres, de la déforestation, ou encore où les ressources en eau disponibles par habitant sont faibles)
- La rareté environnementale induite par la demande, due à l’augmentation de la population ou l’augmentation de la consommation par habitant (la probabilité de l’existence de conflits armés est plus importante dans les pays faisant face à une forte densité de population)
- La rareté environnementale structurelle : les ressources sont distribuées de manière non équitable, elles peuvent être concentrées entre les mains d’une poignée d’hommes alors que le reste de la population souffre de pénuries pour ces mêmes ressources (les États présentant une inégalité de revenus élevée paraissent plus exposés au risque de conflit).
C’est ainsi que des conflits déclenchés par la compétition sur des ressources environnementales peuvent se manifester et apparaître sous la forme de conflits ethniques, ou de conflits entre classes sociales. Un stress environnemental brutal peut donc devenir, sous certaines conditions sociales, un catalyseur creusant une segmentation sociale existante et intensifiant la compétition et les conflits entre les différents groupes d'après Jean Clement Martin, historien français. Les dimensions environnementale, sociale, politique et économique, sont à prendre en compte. Leur corrélation est nécessaire pour donner une explication complète des situations conflictuelles liées à l’environnement.
Le stress est couramment entendu comme réaction humaine provoquée par la perception négative de ses capacités d'adaptation dans son environnement. Ainsi "le stress naît de la perception du manque de ressources disponibles pour accomplir une tâche", d'après le docteur Phil Birch, chercheur britannique en psychologie à l'Université de Chichester. Richard Lazarus (en) et Susan Folkman, 1984 : le stress est selon eux défini comme une « transaction entre la personne et l’environnement » dans laquelle la situation est évaluée par l’individu comme débordant ses ressources et pouvant mettre en danger son bien-être. Selon eux, l’adaptation est « la mise en place d’efforts cognitifs et comportementaux destinés à gérer des demandes spécifiques évaluées comme étant ardues ou dépassant les capacités d’une personne » (ici).
Comment les humains se comportent dans une situation de stress ? Le professeur Henri LABORIT, célèbre neurobiologiste a montré que les humains réagissent au stress sous 3 modalités : la fuite (état d’anxiété), la lutte (état de colère) et l’inhibition (état d’abattement). Les personnes qui ont tendance à réagir en stress de fuite ont peur d’être agressées en étant enfermées, elles privilégient les comportements leur permettant soit d’éviter le danger soit de s’échapper face à ce qu’elle perçoive comme une agression potentielle. Les personnes qui ont tendance à réagir en stress de lutte considèrent « instinctivement » que la meilleure défense, c’est l’attaque : elles privilégient l’attaque de ce qu’elles perçoivent comme un danger. Elles adoptent un comportement d’« agressivité défensive ». source
D'autre part, pour survivre, l'humain a besoin de s’insérer dans un groupe (tribu, organisation, société…) et d’y trouver « sa » place, ce qui lui procure stabilité et protection. On parle ainsi d’instinct grégaire pour désigner de tels regroupements d’individus dont le seul but est de réduire le stress. Le grégarisme participe à la défense, à la protection du groupe ; il renforce ses chances de survie. Au sein d'un groupe (qui peut aller de la cellule familiale à un pays) chacun adopte un positionnement spécifique. On parle de Positionnement Grégaire (PG) et il comprend quatre polarités réparties sur deux dimensions : la dimension Dominance/Soumission (PGD/PGS) et la dimension Marginalité/Intégration (PGM/PGI). En général, les phénomènes de dominance via la manifestation d'un excès ou un défaut de confiance en soi et/ou en l’autre sont à l'origine des conflits ou ralentissent leur résolution. Au travers du concept de positionnement grégaire et de la dominance source
Jacques Fradin met en lumière certaines des clés mécanismes d'une crise de l'humanité (guerres de religion où la religion devient un alibi pour un pouvoir inféodé au système de PG, mais aussi sexisme, harcèlement scolaire et professionnel, etc.) et comment celle-ci peut être maintenue, aggravée, en raison d'un simple système archaïque de régulation grégaire. De même, la perspective du changement climatique et des inégalités socio-économico-géographiques associées (épuisement des ressources en eau, en nourriture, en espaces de vie) peuvent apparaître comme de puissants catalyseurs de ces comportements (cf. Hendrix & Brinkman, 2013 ; Reno, 2011), qui contribueraient eux-mêmes au maintien des inégalités, à la négligence des signaux d'alerte environnementaux, etc.
Pour Murray Bookchin, autodidacte américain, l’exploitation de la nature découle directement des rapports de domination au sein des sociétés humaines. Dans un premier texte, datant de 1964, Bookchin met au jour un mécanisme anthropologique essentiel : la domination de l’homme sur la nature est articulée à la domination de l’homme sur l’homme. C’est la concurrence, matrice capitaliste de la dégradation de la nature et de la violence des rapports sociaux, qu’il faut viser dans le déploiement d’un contre-projet politique. Bookchin pousse plus loin encore son raisonnement. Il montre comment nous simplifions notre environnement : nous organisons « le remplacement de stimuli variés quant à leur nature et à leur origine par des stimuli grossiers et élémentaires ». C’est la « conception de masse » qui contraint à imaginer des systèmes et des organisations peu élaborés, incapables de prendre en compte le divers. La multiplication de communautés humaines écologiquement équilibrées devrait permettre d’assister à une diversification des formes de vie et d’organisation sociale. En quelque sorte, les diversités humaine et biologique ont un fondement politique commun. (source)
Les rapports de prédation posent des enjeux de co existence des humains avec les autres êtres vivants au sein d'un même territoire aux ressources partagées. L’Humain a tendance à oublier que la Nature n’est pas un simple environnement, et qu’il dépend au quotidien de ce qu’elle est. D'autant plus que nous humain, nous coévoluons avec l’ensemble des organismes d'après Pascal Picq notamment les micro-organismes qui nous entourent (ici). « La sixième extinction est en cours. Elle est causée par l’humain et elle est extrêmement rapide, des milliers d’espèces disparaissant chaque année. Enki Bilal pense que l’Homme est l’accident le plus tragique qui ne soit jamais arrivé à notre planète Terre. La destruction écologique semble inévitable et, avec elle, c’est l’extinction de notre espèce qui est en jeu à brève échéance. ici Pourtant, l’interdépendance de tous les systèmes de la Planète signifie que la survie des uns dépend de celle des autres et réciproquement », assène Olivier Barrière, chercheur IRD à l’UMR ESPACE-DEV spécialisé en anthropologie juridique de l’environnement. Face à la dégradation des écosystèmes entraînant perte de biodiversité et d’habitats, il propose – au nom de toute une équipe - un nouveau concept, la « coviabilité socio-écologique » (ici)
Maxime Caron, Anthropocène, Philosophie, Education "Dépasser les rapports de prédation dans les relations humaines pour permettre une coopération véritable à l'ère de l'anthropocène", partage avec nous que l'intuition de Baptiste Morizot est qu’il existerait un parallélisme entre le rapport de domination, que l’on exerce tantôt sur autrui, et parfois justifiés de différentes façons et notre rapport à nous-même. Se retrouver maître et possesseur de la nature, c’est en un sens se retrouver également maître et possesseur de soi, de son comportement. C’est une sorte de maîtrise et de contrôle paradoxalement déchainé où l’on tente de réduire le vivant à ce que l’on veut en faire (ici). Le philosophe du vivant contemporain Baptiste Morizot établit dans Manières d’être vivant un lien entre notre rapport à nous-même, en tant qu’individu, et notre rapport aux autres vivants, humains comme non-humains.
Nous devons prendre conscience des rapports de prédation que nous entretenons. En prendre conscience pour pouvoir mieux vivre ensemble sur terre. Ce « vivre ensemble » qui s’appuie sur une reconnaissance de l'appartenance de l'homme au vivant et de la dépendance de l’humain aux autres composantes du vivant. Le vivre ensemble entre êtres vivants (et non vivants) comme entre êtres humains étant un enjeu politique au sens de la gestion de l'habitat partagé. "Chaque composante de la communauté de la Terre dispose de trois droits : le droit à l’existence, le droit à l’habitat, et le droit de remplir son rôle dans les processus sans cesse renouvelés de la communauté de la Terre". Thomas Berry, prêtre catholique passioniste américain, théologien, écologiste.
Il faut changer notre rapport au monde. C’est cela, l’hominisation : une prise de conscience permanente. Comme le rappelait Michel Serres : « L’hominisation, cela commence maintenant et cela ne s’arrête jamais » (ici). L'hominescence est un processus qui, par des écarts répétés, renouvelle l'hominisation. En s'exerçant, l'humain construit chaque fois une nouvelle maison sur un nouvel équilibre. Il habite le monde autrement. Il évolue.
Pablo Servigne et Gauthier Chapelle, ont écrit un ouvrage dans le prolongement de ces thèses L’Entraide, l'autre loi de la jungle. Alain Caillé préface ainsi leur livre :"Après les livres de Matthieu Ricard ou de Jacques Lecomte, qui avaient ouvert une première brèche, L’Entraide vient à point pour nous aider à déconstruire la croyance hégémonique selon laquelle nous ne serions que des Homo œconomicus, « mutuellement indifférents », comme le disait par exemple le philosophe star de la fin du XX e siècle, John Rawls. Rien n’est plus urgent désormais que de combattre la démesure, l’hubris, la soif de toute-puissance qu’alimente le néolibéralisme et qui conduit l’humanité à sa perte. Jusqu’ici, une des principales raisons de notre incapacité à sortir du néolibéralisme planétaire a été un certain déficit de ressources théoriques. Mais c’est aussi le manque d’une philosophie politique, largo sensu, qui nous permette d’aller au-delà des grandes idéologies de la modernité – libéralisme, socialisme, anarchisme ou communisme. C’est cette élaboration doctrinale qu’amorcent les auteurs mondialement connus qui se reconnaissent sous la bannière du convivialisme. P. Servigne (qui compte parmi eux) et G. Chapelle y contribuent de manière décisive. Un bel exemple d’entraide". https://larevolutiondusourire.net/wp-content/uploads/2019/11/L_entraide.-L_autre-loi-de-la-j-Pablo-Servigne.pdf
Jérémy Dumont, fondateur de Nous Sommes Vivants
Comme je rappelais dans cette note, j'ai créé Nous Sommes Vivants suite à l'appel de Baptiste Morizot "nous sommes le vivant qui se défend". Le sujet de la prédation des humains sur le vivant m'a beaucoup apporté. Ci dessous deux notes de réflexion et LE REPLAY des 2 ans de l'association qui a porté sur cet enjeu.
- Les rapports de prédation, un jeu périlleux de domination entre les humains et envers la nature https://lnkd.in/gvPK2tnr
- Quand la peur de l'autre s'installe, la guerre de tous contre tous s'enclenche et la société se paralyse sans perspectives d'évolution heureuse https://lnkd.in/gkjNKWFy
L'association Nous Sommes Vivants porte la transition écologique dans les entreprises via un réseau de consultants en innovation & transformation. Notre approche pour porter la transition écologique dans les entreprises, c'est la régénération. De l'agriculture régénérative au business model canvas de la régénération.
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