Berkes and Folkes ont posé les bases d'une approche par les systèmes socio-écologiques qui a ouvert la perspective de la contribution des humains à la régénération du vivant.
Toutes les ressources utilisées par les sociétés humaines sont extraites d'écosystèmes naturels analysés séparément. En effet, les sciences du social et les sciences de l’environnement se sont développées séparément et ne se recombinent pas aisément pour une compréhension globale des interactions entre acteurs humain et non humain d'un même écosystème. Accueillir les Non-Humains dans les Communs ».
A partir des années 90, Berkes and Folkes dénoncent l’aspect totalement arbitraire et artificiel du cloisonnement entre sciences sociales et sciences écologiques, constatant que dans les faits rien ne les sépare. Leurs travaux vont poser les bases d'une approche par les systèmes socio-écologiques qui permet dans l’absolu de dresser une cartographie du réseau des relations entre les acteurs humains et non-humains formant un Commons Pool Resource (Elinor Ostrom).
Ainsi, dans un article scientifique portant sur une méthode d’élevage de coquilles Saint-Jacques importée du Japon dans la baie de Saint-Brieuc, Michel Callon décrit trois groupes impliqués – les scientifiques, les pêcheurs et les coquilles – comme les membres à part entière d’un « collectif hybride » formant un réseau d’acteurs humains et non-humains impliqués dans l’action. L’analyse s’attarde sur les opérations de « médiation » ou de « traduction » opérées par certains des acteurs pour « intéresser » et « enrôler » d’autres membres du réseau en vue de participer à la réalisation d’un but commun. Avec un« dilemme bio-social » dans lequel sont aussi impliqués des Non-Humains (source)
Berkes and Folkes mettent en lumière les capacités d'adaptation (ou de non adaptation) d'un écosystème. Ils couplent les concepts de socio-écosystèmes et de résilience pour parler de « systèmes socio-écologiques résilient » : c’est-à-dire des systèmes capables de résister à de grands changements et aux perturbations permettant une durabilité à la fois écologique, sociale et économique. Le concept de socio-écosystème (SES) : Jacques de Chauvelin
Pour les auteurs, la résilience n’est pas seulement la capacité d’un système à absorber des chocs et à se maintenir, c’est aussi la capacité à se renouveler, à se réorganiser et se développer (Holling 2001). Et la durabilité est vue comme un process dynamique qui nécessite une capacité adaptative des systèmes vivants (d’après Berkes & Folke – Navigating socialecological systems. 2003). Le défi est donc de mettre en place des systèmes de gouvernance qui permettent de lier l’usage de l’environnement et le développement sécurisé sur le long terme des sociétés.
La notion de socio-écosystème fait se croiser deux approches contemporaines qui s'enrichissent mutuellement: les communs latents et l'acteur réseau.
De son côté, l’anthropologue Anna Tsing cherche à « élargir le concept de communs » pour « inclure humains et non-humains en tant que contributeurs à un écosystème». Elle propose pour ce faire le concept de « Communs latents » qui vise à mettre l’accent sur les relations d’interdépendance se tissant entre les acteurs humains et non-humains et dont elle souligne la dimension politique (un sujet pris dans un réseau de relations réciproques à négocier, continuellement et imparfaitement).
Et du coté de Philippe Descola, il est nécessaire d'adopter une perspective symétrique qui consiste à ne plus seulement « expliquer la vie des humains par l’influence des non-humains » pour « rendre compte de la composition d’un monde où les uns comme les autres prennent part en tant qu’acteurs ». Dans la théorie de l'acteur réseau, les faits « sociaux » sont d’emblée compris comme des « associations » entre des acteurs humains et des acteurs non-humains. De même Anna Tsing recommande d’accorder de l’attention aux « agencements » entre entre acteurs humains et non-humains et d'en faire le récit en « activant les enchevêtrements » (entanglements en anglais).
La notion de socio-écosystème ouvre la perspective de la contribution des humains à la régénération du vivant
Selon Edgar Morin, entrer dans la complexité du monde, c’est entrer dans le tissu d’une diversité d’éléments hétérogènes associés, « d’évènements, actions, interactions, rétroactions, déterminations, aléas, qui constituent notre monde phénoménal » (La solidarité écologique, lien de droit d’une interdépendance au vivant Olivier Barrière ). Ce tissu entre non seulement en interaction, mais s’insère aussi dans des relations de dépendance et d’interdépendance, générant une solidarité (écologique) plus ou moins exprimée entre entités vivantes formant un réseau (Bapteste, 2017).
Le fondement du concept de solidarité se situe dans la réconciliation humains/non-humains par une symbiose avec la biosphère dont l’humanité est partie intégrante. Ce lien matérialise la coviabilité socio-écologique définie comme une propriété de dépendance des interactions entre humains et non-humains qui se situent dans une relation contenue par des régulations et des contraintes. (Barrière et al., 2019).
Ainsi, le « convivialisme » est un concept politique qui accorde une place centrale à la convivialité. Étymologiquement, « convivialité » relie con (avec) et vivere (les vivres, ou vivre, habiter). C’est le partage des vivres (donc des ressources) qui fonde le partage de l’existence avec les autres, accordant un primat à la coexistence. Vers un avenir convivialiste, Nathanaël Wallenhorst
Et donc la régénération pensée comme la contribution à un service écosystémique pour assister la nature dans sa capacité à se régénèrer. L'approche régénérative permet aux humains de co-évoluer avec les systèmes naturels qui les entourent et d’inverser les systèmes dégénératifs (Mang & Reed, 2013).
Des services socio écosystémiques à penser désormais dans des interactions mutuellement bénéfiques aux humains comme aux non humains.
Les notions d'évaluation (économique et parfois marchande) de la biodiversité et des services fournis par les écosystèmes, basées sur une vision anthropocentrée de la nature, ont émergé dans les années 1970-1990 avec notamment les travaux de Westman (1977)2, puis de Randall (1988)3, Pearce & Moran en 19944 et de Perrings (1995). Elles ont pris une ampleur internationale avec l'Évaluation des écosystèmes pour le millénaire (2005), puis les objectifs d’Aichi, et nationale, dont en France via une « expertise collective » pilotée par l'Institut national de la recherche agronomique sur le thème agriculture-biodiversité, dans la stratégie nationale pour la biodiversité, ou encore dans un travail d'«évaluation de la biodiversité et des services liés aux écosystèmes» animé par B. Chevassus-au-Louis au Centre d'analyse stratégique et de premiers travaux sur la « valeur sociale » des parcs nationaux (source)
Dans sa version actuelle, le concept de service écosystémique est défini comme « les avantages que les humains tirent des écosystèmes et qui contribuent à rendre la vie humaine à la fois possible et digne d’être vécue » ou encore comme « la contribution des écosystèmes au bien-être humain, qui découle de l’interaction des processus biotiques et abiotiques ». Selon la typologie du Millenium Ecosystem Assessment, les services écologiques se répartissent en 4 catégories : Services d'approvisionnement : nourriture, fibres, bois, ressources génétiques… Services de régulation : climat, qualité de l'eau et de l'air, protection contre les inondations… Services culturels : bien-être, activités récréatives, spiritualité…
Les services écosystémiques ont récemment été remis en question et se sont vus préférer le concept de « contributions de la nature aux humains », lors de la conférence de l’IPBES de 2018. Les contributions de la nature aux humains élargissent le concept de services, avec une vision plus systémique et des déclinaisons plus précises et locales des avantages, mais aussi des contraintes, à préserver la nature. Les services écosystémiques Par Maud Mouchet, Emmanuelle Porcher, Yoann Baulaz, Denis Couvet, Frédéric Ducarme, Laura Juillard, Jean-Baptiste Mihoub, François Sarrazin.
Cette approche des services écosystémiques est anthropocentrée. Dans nos travaux sur la fresque des imaginaires nous avons adopté l'approche relationnelle de l'PBES pour dépasser la relation anthropocentrique et faire émerger les relations écocentriques et multicentriques qui n'ont pas une approche utilitaire de la valeur. https://noussommesvivants.co/la-fresque-des-imaginaires/
Les services socio écosystémiques, en intégrant les besoins spécifiques des humains, dans des interactions mutuellement bénéfiques nous éloignent des dérives actuelles.
L'apport des imaginaires aux services socio écosystèmiques
Le multicentrisme est dans le prolongement de l'écocentrisme de Aldo Léopold quand il parle d’une « éthique de la terre » (land ethic), comme d’une relation responsable existant entre les êtres humains et les territoires qu’ils habitent, en état d’équilibre relatif et temporaire.
C'est une approche intégrative (vs. ségrégative) dans laquelle les humains font partie de la nature. La vision multicentrique est individualiste dans le sens ou chaque être vivant est pensé comme entité agissante (un individu parmi d'autres avec ses spécificité propres). D'ailleurs l'impact des activités humaines et non humaines est central dans l'approche, comme dans l'anthropocentrisme. Toutefois les humains comme les non humains peuvent aussi avoir un impact positif sur les écosystèmes ...à leur niveau. C'est la seule approche dans laquelle les humains peuvent être des auxiliaires de la nature pour agir en faveur de la biodiversité sans se substituer à la nature. On parle de régénération assistée par les humains. Et de services écosystèmiques de la nature pour les humains et les autres êtres vivants. Le tout de façon participative avec les habitants d'un lieu, entre les espèces, en symbiose.
Dans la vision multicentrique, la responsabilité humaine s’exerce dans le cadre d’un partenariat et d’une « communauté de destin » sur la planète. Cette écologie réinscrit les finalités humaines dans une perspective plus large, celle du vivant. En raison du développement de sa conscience, l’humain est conscient de ses actes; responsable de ses impacts.
Si dans l'écocentrime la réflexion se porte sur des écosystèmes non localisables, dans le multicentrisme apparait le concept de biorégion, qui selon l’essayiste américain Kirkpatrick Sale, est « un lieu défini non par les diktats humains mais par les formes de vie, la topographie, le biotope ; une région gouvernée non par la législature mais par la nature ». Chaque biorégion est précisément située, unique et reconnaissable. On y retrouve des espèces animales et végétales spécifiques, un climat dominant, des types de sols caractéristiques autant que des modalités d’installations humaines particulières. « Parler de biorégion, c’est tenter de décrire un milieu de vie plus qu’humain, partagé et cohabité », explique à Reporterre le professeur d’architecture Mathias Rollot. Son échelle emblématique est le bassin-versant. Les biorégions suivent les torrents, les rivières et les fleuves qui apportent avec l’eau la vie et créent une première forme de communauté. (source)
Pour souligner la dimension locale de l'approche multicentrique, on utilise le terme d’écocomplexe qui désigne des systèmes écologiques interdépendants dans un territoire, représentant le résultat d'une histoire naturelle et d'une histoire humaine imbriquées. Il s’agit pour les humains de travailler à construire sur leurs territoires, une manière d’être, un éthos du lien à l’Autre, à la Nature, porteur de sens en investissant leur temps, leur énergie et leur affection dans le temps long de la localité. Le multi centrisme c'est l’habitant en nous, celui qui est capable de créer des liens non pas seulement économiques, mais affectifs, sinon affectueux avec l’altérité, c’est-à-dire le monde entier. Valérie JOUSSEAUME Institut de Géographie et d’Aménagement de l’Université de Nantes - CNRS ESO D'ailleurs, les collapsologues Pablo Servigne, Gauthier Chapelle et Raphaël Stevens appellent dans leur dernier ouvrage, Une autre fin du monde est possible (Seuil, 2018) à cultiver un « pluralisme ontologique » s’inspirant en Europe de nos propres traditions locales (folklore russe, breton, etc.).
Certains acteurs sociaux, à l’image du réseau de l’agriculture paysanne (FADEAR), sont porteurs d’une autre vision, dans laquelle les vivants (humains ou non) coexistent, coévoluent. Sur le plan des idées, il s’agit de développer une écologie de la réconciliation, qui à l’instar des cultures non européennes replace l’humanité au cœur d’une nature parcourue de dynamiques, plutôt que face à un stock inerte comme l’Occident se l’est trop longtemps représenté.
Le partenariat associe l’humanité et la nature dans une relation réciproque. Edgar Morin utilise l’image du co-pilote : « L’homme doit cesser de se concevoir comme maître et même berger de la nature. (…) il ne peut être le seul pilote. Il doit devenir le copilote de la nature qui elle-même doit devenir son copilote » (Edgar Morin). La mise en mots de ce partenariat appartient à l’espèce humaine parce qu’elle est la seule à être capable de participer à l’évolution de manière consciente ou délibérée, grâce au langage et aux idées. (La vision multicentrique : l’HOMME dans/avec la NATURE Interview de Nicole Huybens).
L'humain peut assister les efforts de la nature pour se régénérer. La régénération porte en elle la réparation, la force inhérente de la vie et la possibilité d’imaginer l’avenir. S’il faut résumer, ce bouleversement de notre pensée est que nous avons (re)pris conscience que nous sommes vivants parmi les vivants et que nous allons donc co-évoluer sur terre….avec des ressources communes qu’il convient de partager.
Pour aller plus loin : les 4 imaginaires de l'écologie
LE BUSINESS MODEL CANVAS DE L'ENTREPRISE REGENERATIVE (V4) …
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