Selon, Raz Godelnik, Professeur adjoint à la Parsons School of Design, l’heure est aux modèles économiques régénératifs, du moins si l’on en juge par l’intérêt qu’un nombre croissant d’entreprises manifestent pour l'approche régénérative et la profusion des initiatives régénératrices. Il cite des entreprises comme Nestlé, Danone, Walmart, Unilever, Prada, Gucci ou Stella McCartney qui font valoir qu'à travers leurs engagements en faveur de l'agriculture régénérative, elles prennent au sérieux leur impact sur l'environnement et la société. Mais selon lui, le problème c'est que si les projets corporate présentés par les entreprises sur leur engagement en faveur de la régénération sont très convaincants (voir ici et ici par exemple), la régénération pourrait être utilisée par ces entreprises pour masquer le fait qu’elles sont principalement impliquées dans des activités dégénératives, sans modifier leur modèle économique.
En France, Elisabeth Laville (Utopies) a contribué récemment à une tribune dans Le Monde intitulée « Si tout le monde utilise le mot “régénératif”, le risque est qu’il se banalise et se vide de son sens ». Elle y souligne, qu'au départ, le terme ‘’régénératif’’ vient de militants, notamment le Rodale Institute, pionnier américain du bio, ou l’activiste indienne Vandana Shiva, qui se battent contre le détournement des systèmes de production bio par l’agro-industrie. Vandana Shiva s'appuie sur le mouvement Chipko né en 1973 en Inde. Et les travaux du Rodale Institute ont commencé en 1981 sur la base des travaux de Bill Mollison sur la permaculture en 1978. Elisabeth Laville a été une des premières à porter en France le label Bcorp, et par conviction, elle préfère une transformation profonde de l'entreprise aux effets d'annonce.
Il faut dire qu’entre temps, les groupes de l'agroalimentaire, du textile, des cosmétiques et du luxe ont découvert que l’amont agricole pèse 75 % de leur empreinte carbone et que l’agriculture intensive fatigue les terres, menaçant les rendements. Ils développent donc des programmes d’« agriculture régénératrice » pour encourager les producteurs à réduire leurs impacts environnementaux, sans pour autant poser de business model régénératifs qui incluent la biodiversité et plus largement la santé humaine, en partenriat avec leurs fournisseurs de blé, lait, cuir, laine....(source)
Mais faut il pour autant condamner un mouvement régénératif profondément ancré dans l'écologie ? Un mouvement porté justement par des entreprises Bcorp aux USA ayant souhaité modifier leur business model ? Et donc par défaut, collectivement rester dans un développement durable systématiquement en faveur du profit économique au détriment des investissements en faveur des ressources naturelles et humaines ! De la vie !
La vie est en danger. Depuis les années 1970, la taille des populations d’espèces vertébrées a diminué de près de 70 % (WWF, 2020). Entre 1990 et 2020, la superficie forestière mondiale a diminué de 178 millions d’hectares, soit une superficie équivalente à la Libye (FAO et PNUE, 2020). Un rapport du WWF de 2022 a révélé que dans certaines régions, la taille des populations d’espèces a chuté de plus de 90 % en raison de la surexploitation, de la pollution, du changement climatique et de la perte d’habitat, exacerbées par la déforestation (WWF, 2022). Les impacts du changement climatique se font également sentir à l’échelle mondiale, puisque plus de 1,4 milliard de personnes vivent dans des zones très vulnérables à l’eau (ONU, 2020) et plus de 25 % de la population mondiale vit dans une insécurité alimentaire modérée à sévère (UNICEF, 2021). Il est également clair que ces impacts sont d’origine humaine (GIEC, 2022) et que les entreprises sont au premier rang des responsables (et coupables).
Les impacts sont clairs sur l'économie. Les économistes estiment que la perte de biodiversité en Europe coûte à l’UE environ 3 % du PIB par an et que la perte mondiale de biodiversité est évaluée à environ 50 milliards d’euros (source). Le taux de postes vacants atteint un niveau record dans la zone euro. Selon les données d'Eurostat, 3,1 pour cent des emplois salariés n'étaient pas pourvus au troisième trimestre 2022, contre 2,6 pour cent au troisième trimestre 2021 et 2,2 pour cent à la même période en 2019, avant la crise sanitaire. "Signe que les tensions se multiplient sur le marché du travail : le débat sur la pénurie de main d'œuvre a remplacé le débat sur le chômage de masse", estime le chercheur belge Wouter Zwysen de l'Institut syndical européen (ETUI). (source)
Des chercheurs ont explicité ce que représente la régénération pour les activités économiques : "Les organisations dotées de modèles commerciaux régénératifs se concentrent sur la santé planétaire et le bien-être sociétal. Elles créent et fournissent de la valeur à plusieurs niveaux de parties prenantes – notamment la nature, les sociétés, les clients, les fournisseurs et partenaires, les actionnaires et investisseurs et les employés". (source)
Sur cette base d'autres chercheurs clarifient ce qui est attendu des acteurs du tourisme engagés dans un processus de régénération d'un territoire exploité à des fins touristiques. Leur vision étant que les autorités locales doivent s'engager aux côtés des organisations gouvernementales et non gouvernementales dans une grande coalition, en s'assurant que les résidents et les personnes marginalisées soient inclus dans les processus régénératifs (source). Pour favoriser l'implication sincère d'une coalition d'acteurs dont les actions sont à visée régénérative, la pensée des systèmes vivants est un facteur clé. Elle considère les humains comme faisant partie de la nature, alors que les visions anthropocentriques et biocentriques considèrent les humains comme coupables de sa destruction ou responsables de sa protection (source)
Dans l'architecture, Pamela Mang, a clarifié en 2020 que les partisans d’une approche régénérative de l’environnement bâti (et de presque toutes les autres activités humaines) est nécessaire. Et que les approches régénératives cherchent non seulement à inverser la dégénérescence des systèmes naturels de la terre, mais également à concevoir des systèmes humains capables de co-évoluer avec les systèmes naturels – évoluer d'une manière qui génère des bénéfices mutuels et une plus grande expression globale de la vie et de la résilience.
Sans oublier les projets menés par les collectivités territoriales qui contribuent à la qualité de vie des habitants dans de nouvelles relations mutuellement bénéfiques
Transformer son business model passe par le lancement de produits, services et projets issus de pratiques régénératives. Ces innovations transformeront à terme les organisations qui les portent sur la base des résultats économiques comme des impacts contributifs mesurés et communiqués en toute transparence. A lire ici
Certes, cette bascule nécessite un changement de model mental. Sortir de la prédation des ressources naturelles, humaines mais aussi financières. Adopter la régénération dans une logique de prendre soin du vivant. Et un changement de modèle économique pour adresser à la fois les enjeux courts termes et long termes. Elle demande enfin un ré-alignement des parties prenantes au niveau local pour délivrer ensemble des services socio écosystémiques avec un changement de gouvernance pour donner une voix à toutes les parties prenantes de la qualité de vie dans un territoire, y compris la nature et les générations futures puisque nous sommes tous vivants. La santé, le bien être et la justice sociale sont au coeur de la démarche.
Mais l'entreprise régénérative n'est pas un mythe. C'est une réalité depuis des années dans plusieurs secteurs économiques, portée par des pionniers de la régénération dans le monde et maintenant en France
En France : - Il s'agit d'entreprises innovantes "régénératives par design" comme Omie, Eclo, Alcools Vivants, Doublesens, Bellevilles, ...Il peut aussi s'agir d'une évolution progressive des pratiques écologiques sur certaines lignes de produits comme pour Patagonia, Véja, Dr Bronner. - Dans cette logique, certains grands groupes lancent des produits et des offres issues de pratiques régénératives comme Pernod Ricard ou Pierre et Vacances. Parfois comme pour les Laboratoires Expanscience, en abandonnant d'un coté un produit comme Mustela, pour lancer d'autre part un produit comme Gaïaline issu de pratiques régénératives.
Dans les collectivités locales, par exemple dans la Drôme, le projet Biovallée® explore les pistes de transformation possibles pour inventer un modèle rural pérenne, capable de s’adapter aux évolutions du climat, des usages, aux équilibres agroécologiques et aux enjeux de développement technologique. La résilience et l’adaptation au changement climatique et économique en faveur de la qualité de vie des populations sont au cœur de ce projet.
Les lauriers de la régénération du 28 mai 2024 visent à réunir l’écosystème des acteurs de la régénération du vivant Français. Nous souhaitons à cette occasion :
- Mettre en lumière les marques ayant mis sur le marché des produits et services issus de pratiques régénératives et les collectivités locales ayant mené à terme un projet régénératif en France via les lauriers de la régénération. La régénération est un chemin mais les pionniers de la régénération ont déjà bien avancé sur celui çi.
- Permettre l’échange de bonnes pratiques avec les organisations qui souhaitent se lancer dans la régénération et les pionniers de la régénération. En posant comme cadre la régénération du vivant et en proposant des outils permettant de réussir ses projets régénératifs
👋 Prendre son billet pour le 28 mai 2024 : https://lnkd.in/e78bfpHW
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