Nous rentrons de vacances. Nous revenons là ou nous habitons le reste de l'année. Nous avons observé comment d'autres personnes habitent, nous avons marché dans la nature, plongé dans l'eau. Loin de chez nous, nous avons probablement réfléchi à ce dont nous avons besoin et envie, à comment organiser notre vie pour y parvenir. Et le temps est venu de rentrer là ou nous habitons.
Nous avons tous besoin d’un espace où s’ancrer, et se projeter. C'est le nid d’où l’on part pour mieux s’envoler, le refuge où se régénèrent les êtres par l’énergie positive qui y repose, l’espace qui rassure par sa familiarité. Il symbolise sécurité et confort, nourriture, maîtrise du milieu naturel, rencontre et partage humain.
Mais « habiter », qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire au juste ? Trop peu prennent le temps de considérer ce que voudrait justement montrer le philosophe Benoît Goetz, à savoir que « l’habitation » ne désigne pas uniquement un objet, physique ou non physique, qui serait fini ou réalisé une fois pour toutes (logement) ; mais qu’elle induit aussi un processus actif de la part d’un habitant, une énergie, une action infinie, voire même un état, une manière d’être, une condition. Habiter, c’est faire centre, c’est faire et être fait au fil de ses interactions avec le lieu et ses habitants. Mathias Rollot, déroule cette idée dans "Critique de l’habitabilité".
Dans le Larousse, l'habitat c'est la partie de l'environnement définie par un ensemble de facteurs physiques, et dans laquelle vit un individu, une population, une espèce ou un groupe d'espèces. Et habiter c'est "Avoir sa demeure. Habiter à la campagne, en ville". Un habitat c'est donc avant tout une zone d'habitation. Mais pour les humains, l'habitat est souvent réduit à l'habitation. Ainsi l'habitat de l'ours blanc se situe dans les zones polaires là ou l'humain s'abrite dans un logement pour en faire son foyer ? Pas tout à fait, la notion d’habiter recouvre bien plus que ce qui est désigné par le terme « logement ».
Précisons déjà que l’habitat est ce qui est habité par l’habitant et non uniquement là ou il habite. Chez les anthropologues, existe une tendance à insister alors simultanément sur les « différences culturelles », sur les « modes d’habiter ». On dira qu’on n’habite pas pareil à Paris intra-muros, à Marrakech et à Shanghai, parce que les logements de chacune de ces villes sont composés différemment. Suivant cette conception, si le logement est différent, c’est que l’habitant est différent – et vice versa.
Habiter, c’est aussi, plus largement, vivre. En géographie, on associe l’idée de « territoires habités » à l’étude des « lieux dans lesquels vit l’être humain » : là où celui-ci modifie le paysage, modèle la terre par l’agriculture, implante ses villes, etc. Par la pensée de l’œkoumène (de oikos : la maison – de là découle aussi l’écologie, la pensée de l’habitat), il est question de penser de l’état et la forme du territoire – maison de l’humain, son milieu de vie. De fait tout comme le milieu de vie de la grenouille comprend mare, berge, roseau, vase, etc., l’animal humain n’a pas pour habitat un unique logement-terrier.
Habiter c'est aussi exister sur terre. Martin Heidegger dans son article « Bâtir, habiter, penser » l’affirme : « être homme veut dire : être sur terre comme mortel, c’est-à-dire : l'habiter » ; « habiter est le trait fondamental de la condition humaine » ; « la condition humaine réside dans l’habitation, au sens du séjour sur terre des mortels ».
Ainsi donc habiter, c'est être au monde, c'est exister quelque part sur terre. Exister est un sentiment qui tient au rapport que nous entretenons avec le monde extérieur. Toute forme de relation humaine qui nous fait exister, nous rend existant. Mais dans l’habitation, l’existence se déploie par projection dans des spatialités représentées et donc fantasmées, abstraites, conceptualisées qui se traduiront dans des relations futures. C'est pourquoi, Chris Younès écrit que « la maison représente un paradigme de l’articulation du recueil et du déploiement de l’existence ».
Habiter enfin est fondamentalement pluriel, nous habitons toujours, nécessairement même, plusieurs lieux. Toute une série d’habitations vit en nous, à chaque instant. Habitations qui nous construisent en tant que ce que nous sommes, influencent nos humeurs et nos subjectivités, notre manière d’être à l’espace, notre ethos. Parce que nous sommes habités en permanence par l’entrelacs de notre mémoire habitante et de nos désirs habitants, nous insistons en permanence dans des spatio-temporalités différentes de celle où nous nous trouvons, et nous existons en permanence au travers de celles-ci.
Mathias Rollot nous invite à poursuivre au mieux ce dialogue sympathiquement engagé avec l’environnement vécu. S’imprégner de la légèreté des flammes dans l’âtre pour s’ouvrir à des rêveries bachelardiennes qui n’auront rien à envier à l’évanescence du foyer. S’immerger dans un bain chaleureux pour retrouver l’espace d’un instant, le cocon imaginaire de la première demeure, la douceur parentale. Ou regarder, derrière les goutes qui s’échappent sur la fenêtre, le paysage défiler ; pour se sentir soi-même s’échapper un peu aussi, au travers des vallons et des villages, et dans les forêts qu’il faut réapprendre à voir.
Parce que, en habitant chez soi, on habite sur terre.
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