La dictature de l’immédiateté
“Il n’y a pas d’acquis sans perte”, analyse Paul Virilio. Paul Morand avait décrit dans un livre prémonitoire, L’Homme pressé, les graves conséquences d’un individu incapable de faire le distingo entre l’important et l’urgent. Une course qui menait son héros à la mort, l’organisme cassé. Ecrit avant l’invention des nouvelles technologies, ce texte anticipait les rêves les plus fous du dieu du temps, Chronos.
Paul Virilio actualise l’approche. Sans renier “les acquis du progrès”, ce sociologue injoignable autrement que par courrier, n’ayant ni mail ni téléphone, sa façon à lui de freiner le mouvement, observe : “Les acquis de la vitesse, avec le développement des moyens de transport et de transmission, sont incontestables mais on vante surtout les bénéfices du progrès en masquant les dégâts qu’il implique.” Si “la rapidité de l’information réduit et abolit les distances géographiques, je crois que nous vivons une fièvre obsidionale, la fièvre de “l’enfermé vivant”. Sans décodeur : le dirigeant, disponible à chaque minute depuis toutes les villes de la terre, devient addict au “réflexe conditionné au détriment de la réflexion”. “En l’espace d’une génération, notre capacité d’attention et de concentration s’est réduite, l’immédiateté et l’improvisation se développent au détriment de la prévision et de l’organisation”, diagnostique le docteur JLSS, pour qui “beaucoup de dirigeants aiment se noyer dans les détails ou ne savent pas apprécier la durée nécessaire à la réalisation des tâches, d’autres encore aiment s’occuper de tâches immédiates non importantes.” Maintenant, le résultat l’emporte sur les moyens utilisés pour l’obtenir. D’où une nécessité absolue : savoir que “l’immédiateté l’emporte sur la prévision et l’organisation”, dixit Servan-Schreiber. Qui image son propos : “A l’image des jeux vidéo, où celui qui tire le plus vite gagne et où celui qui réfléchit perd.”
Maîtriser son temps
Pour cela, il existe des outils techniques, physiques et sociaux qui permettent de trier la dictature de l’urgence de la culture de l’important. Il ne s’agit pas d’être contre le progrès mais de faire en sorte de lui permettre de subsister. “Nous sommes nos propres interrupteurs”, constate avec simplicité Jean-Louis Servan-Schreiber, qui consacra dès 1974 un livre clef sur L’Art du temps. Les solutions sont multiples et appellent surtout une pédagogie de l’usage que l’on fait de son temps. Désormais, plus personne ne “se rendra au travail au même horaire”. Une lapalissade ? “Pour maîtriser son temps, il faut d’abord se maîtriser soi-même”, juge le professeur Servan-Schreiber.Aux recettes toutes faites des ouvrages sur la gestion du temps, style “Gagner une heure par jour”, qui sont dans toutes les listes de best-sellers, le dirigeant de haut niveau doit commencer par repenser son rapport au temps et se fixer des priorités. En baptisant son agence de médias "Pourquoi tu cours ?", Jérémy Dumont entend interpeller ses clients sur la question du sens de leur action. Préalable avant d’examiner précisément et lucidement ce qui, dans son propre comportement, l’empêche de respecter ses proches échéances et de maîtriser son agenda. “A partir de ce diagnostic nous pourrons changer nos habitudes”, poursuit l’auteur de L’Art du temps. Et d’enfoncer le clou : “Ne jamais oublier que, dans une économie marchande, le temps est encore la ressource la moins chère.” “Mais si vous l’utilisez mal, le rattrapage risque de coûter fort cher.” Michel Rouger lui emboîte le pas, jugeant que “le temps c’est de l’argent, mais pas au point de perdre le temps de la réflexion, pour faire le maximum d’argent dans le minimum de temps”. “La régulation dont on nous rebat les oreilles doit commencer par celle du temps.” “Actionnaires, pensionnés et assurés de tous les pays, il serait temps de faire graver dans les salles de marché le vieil adage : le temps ne respecte jamais ce qu’il n’a pas contribué à établir”, conclut, philosophe, cet ancien président du tribunal de commerce de Paris qui a vu bon nombre d’entrepreneurs trébucher sur une mauvaise gestion des échéances et donc du temps multiple. Aux dirigeants de montrer le chemin de cette sagesse indispensable. Et de faire un usage raisonné du “Blackberry management”, ce concept qui fait fureur au sein des élites. Doit-on enseigner dès l’école la meilleure façon de gérer son temps en fonction de sa personnalité ? L’école à la française, avec ses horaires rigides, n’est pas un modèle à suivre. Quand les Allemands peuvent user de leur après-midi à la carte - sports, arts... -, nos chères têtes blondes doivent endurer stoïquement, assis, six à sept heures de cours chaque jour. Si un ministre de l’Education nationale avait l’audace de proposer aux lycéens un module “gestion du temps”, il aiderait une génération à se former à plus d’autonomie, à une culture du résultat. Voeu pieux ? Le problème reste entier. Mais la boîte à outils est disponible.
Crédit:
Le nouvel économiste
Pourquoi tu cours
Coursedingler
Source: le nouvel économiste
Auteur: Benoît Delmas
Publié par Loïc MERCATI
Publié sur le vide poche