La (vraie) recette du planning à l'anglaise Le planning stratégique est au publicitaire anglais ce que le foot est au Brésilien : culturel et incontournable. Un collectif de planneurs français en poste à Londres nous en livrent la recette quasi alchimique.
«Vive le planning libre !»
L'appel lancé il y a quelques jours par Corentin Monot avait de quoi intriguer. D'autant qu'il venait de Londres. Qu'on se rassure : la démarche de ce planneur stratégique n'a rien des accents indépendantistes du général de Gaulle. Installé à Londres depuis 2005, ancien des agences Duke London et AKQA, Corentin Monot est aujourd'hui salarié de The Brooklyn Brothers.
Son objectif : faire partager aux «Frenchies» son expérience de planneur «exilé» volontaire, qu'il partage avec cinq acolytes : Jérôme Courtial (Wieden & Kennedy Amsterdam et bientôt chez Faint, à Londres), Amandine Greiner (Lean Mean Fighting Machine), Vincent Thome (DDB Tribal), Agathe Guerrier (Mother) et Julien Veillon (free-lance).
Ce collectif, qui n'en est pas un stricto sensu, s'est constitué autour de Corentin Monot et de Vincent Thome. Depuis, les troupes ont grossi. En témoigne le blog du premier (http://organic-frog.com), qui sert de «meeting room», et le groupe créé sur Facebook, French planners in London (and beyond !). Fort de vingt-sept membres, celui-ci sert de portail pour les planneurs français - apparemment de plus en plus nombreux - candidats à la traversée de la Manche.
Pourquoi un tel exode ? Parce que depuis plus de quarante ans (lire l'encadré), le planning stratégique «à l'anglaise» est une référence mondiale. Souvent copié, jamais imité. Pour Corentin Monot, il n'y a pas photo : «Apprendre le planning en Angleterre, c'est comme apprendre le foot au Brésil.»
Première différence de taille entre la France et l'Angleterre : l'accueil. «En France, mon métier me paraissait un peu confus et il me manquait quelque chose», confie Julien Veillon, parti à Londres après six ans à Paris, chez BETC. Corentin Monot lui aussi a enchaîné stages et petits boulots avant le grand saut : «Ici, passée la courte phase de test, on nous fait confiance très vite». Jérôme Courtial est plus catégorique : après huit ans chez Sid Lee à Montréal, il s'est dit «maltraité en France où l'on m'a ri au nez» avant de filer directement à Londres chez Glue et BBH. Vincent Thome, lui, a été attiré par «le dynamisme, la diversité et le nombre des agences».
Seconde différence : la variété des profils. «A Londres, on trouve toutes sortes de gens. Il y a même un trapéziste dans l'agence», explique Amandine Greiner. Des anciens de Cambridge et d'Oxford, certes, mais aussi «des entrepreneurs, des anthropologues», constate Vincent Thome.
So british, aussi : le nombre de planneurs stratégiques. «Trois planneurs pour quinze personnes, en gros, le ratio est celui-là», explique Corentin Monot. Amandine Greiner approuve : «Même dans de petites agences comme la mienne, il y a cinq planneurs pour vingt-cinq personnes, dont certains affectés à un seul client.»
Le vieux credo «one account, one planer», selon lequel il y a en Angleterre un planneur derrière chaque client aurait donc perduré. «Disons que nous avons une relation très proche avec les clients et nous suivons les marques au quotidien», tempère Julien Veillon. «Un atout pour les pousser à aller plus loin», selon Corentin Monot.
Autre grande force du planneur anglais : il ne se prend pas pour un penseur, encore moins pour un gourou. Il n'a nulle «vision» sur la marque. «La fonction est bien moins sacralisée qu'en France», raconte Corentin Monot. Ses terrains de prédilection : l'«open space», qu'il partage avec les créatifs, ou alors dans une entreprise, avec des artistes, à la bibliothèque municipale ou dans les rayons de Sainsbury's. Quand ils n'écrivent pas pour les journaux. En tout cas «loin de son bureau», tranche Vincent Thome.
Au départ était l'idée
Trop souvent pris en tenaille en France entre créatifs et commerciaux, le planneur a outre-Manche une vraie place : «Très en amont de la création», résume Corentin Monot. Associé à tous les stades du processus, y compris le développement commercial («new biz»), «il a une vraie influence sur la création et le respect des commerciaux», affirme Julien Veillon.
Une cheville ouvrière, en somme, dont le rôle a été renforcé par le numérique. Impossible, en effet, de survivre dans les agences en Angleterre si l'on n'est pas, comme eux, des férus d'interactif, ou mieux, des «digital natives».
Pour Corentin Monot, «le “digital”, ce n'est pas de la com, c'est de l'expérience». Avec le numérique, le planning anglais a créé de subtiles fonctions à l'intitulé intraduisible en français : «senior planer», «account planer», «engagement planer», «creative technologist», «planer developper», «user experience planer», «account planer»… Vincent Thome, lui, s'est trouvé un nouveau nom : «captologue» ! Du nom du laboratoire des technologies de la persuasion (sic) à l'université de Stanford (http://captology.stanford.edu).
Au final, peu importe d'où vient l'idée. «Tout le monde s'en fout, le planneur ne travaille pas seul, surtout sur le numérique», explique Vincent Thome. Foin d'ego et de présentations interminables : «Il s'agit moins de savoir ce que l'on va pouvoir raconter d'intelligent pour vendre l'idée au client que de trouver l'idée elle-même», confirme Agathe Guerrier. Amandine Greiner fait chorus : «On part du principe que si l'idée est bonne, “the client will get it”. “No fluss”, pas de bla-bla, cinq mots, une idée, une image, ils sont “straight to the point”», résume Julien Veillon.
Mais la grande force du planning anglais, c'est une formation continue des équipes via, entre autres, l'Account Planing Group (http://www.apg.org.uk). «Toutes les agences de Londres envoient leurs “junior planers” en formation une fois par semaine», raconte Corentin Monot. Julien Veillon, lui, évoque les sessions hebdomadaires à l'intitulé mathématique, les «5-3-1» de réflexion créative. «Ici, on est dans un creuset, on peut y croiser les “tycoons” du métier», ajoute Corentin Monot. Comme Russell Davies, le premier planneur à avoir créé son blog en 2003 (http://russelldavies.typepad.com), à l'origine d'un collectif de planning international, de «coffee mornings» à Soho et de conférences «interesting». Que du bonheur, en somme…
Partis à Londres apprendre leur métier, nos six planneurs stratégiques français n'ont pas l'air déçus du voyage. Carrière intéressante, progression rapide, environnement porteur… Rentrer ? Naannn…
De ce côté-ci de la Manche…
Méconnu, confus, nébuleux… Le planning stratégique en France reste assez mal compris et le planneur, pris en tenaille entre les créatifs et les commerciaux, ne trouve pas toujours sa place. Il est aussi moins corporatiste que son homologue anglais. Seule initiative à signaler ces dernières années : la création, en 2005, du collectif Pourquoi tu cours (http://www.pourquoitucours.fr). Celui-ci réunit dix-huit planneurs indépendants autour de Jérémy Dumont (ex-Lowe) et se présente comme une «agence de planning stratégique spécialisée dans l'interactivité 2.0».
Plus corporate et plus ancienne (2000), l'initiative de Luc Basier, l'actuel directeur du planning stratégique d'Euro RSCG C & O, avec la création de l'APG France, antenne française de l'Account Planning Group britannique. «L'idée, à l'époque, était de mieux faire connaître notre métier, mais surtout de l'organiser et de former les juniors», raconte Luc Basier.
Aujourd'hui, l'APG France (http://[email protected]) «fait une petite sieste», confesse-t-il. Elle gagnerait, ajoute-t-il, à être réactivée, ce qui mobilise certaines «pointures» du métier, tel Luc Wise, le directeur associé de V, qui explique : «Même si la fonction s'est propagée partout, le planning anglais reste un cas unique au monde. C'est une école spécifique, mais aussi une question de moyens alloués par les agences.»
«En Angleterre, le planning, c'est totalement culturel», confirme Elizabeth Bootby Foord, nouvelle planneuse stratégique senior chez CLM BBDO Paris. Après sept ans chez BBDO New York, elle constate que «peu d'agences en France sont organisées réellement autour du planning», mais note une «évolution sensible» par rapport à son premier passage chez CLM BBDO, il y a dix ans. Luc Wise, lui, se dit confiant dans l'avenir du métier en France : «Le planning est la seule réponse aux problématiques 360°. On a besoin de stratèges. Et il n'y a pas tant de planneurs que cela en France.»
Brève histoire du planning stratégique
C'est en 1964 qu'est né le planning stratégique. En Angleterre, of course. A Londres et plus précisément à l'agence J. Walter Thompson où Stephen King invente le «target plan», qui combine étude du consommateur et «insight» (1). Quatre ans plus tard, Tony Stead donne naissance au terme «account planning», mélange de «mediaplaning» et d'«account person». De son côté, Stanley Pollitt, chef de publicité chez Pritchard Wood Partners, est convaincu de la nécessité d'une fonction de recherche consommateurs, indépendante du client et de la création. Une idée qu'il met en place en 1968 chez Boase Massimi Pollitt, ancêtre de DDB, reprenant le terme de Stephen King.
(1) Un insight consommateur est «un point de vue, une croyance, une façon de faire partagés par de nombreux consommateurs, que l'on utilise pour définir une offre et construire une promesse publicitaire». (source : Mercator-Publicitor)
SUR SOURCE : strategies
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