Alban Martin
Auteur, blogueur et chargé de cours au Celsa sur la musique en ligne
De quoi parle votre livre ?
Alban Martin.
Il s'agit d'un nouveau modèle économique pour l'industrie du
divertissement à l'heure du gratuit, du P2P et du "Web 2.0". On y
apprend comment ne pas avoir peur de la concurrence, du gratuit
notamment, en co-créant de la valeur avec les internautes, les fans, le
public les amateurs avertis, ou encore les joueurs. Cette co-création
de valeur est fondée sur une relation donnant-donnant, qui commence
souvent pas donner accès à une partie du contenu, pour que les clients
de l'industrie du divertissement puissent s'impliquer dans l'univers
artistique.
Pensez vous que le Web 2.0 va contribuer à cela, va-t-il vraiment se développer ?
Par Web 2.0 tout d'abord j'entends "outils participatifs", barrière à
l'entrée de plus en plus basse ("services de plus en plus gratuits"),
et Web communautaire. Si on part de ce principe, il s'agit d'outils au
coeur des usages d'Internet et qui sont facilités par le haut débit et
les interfaces riches. Pas de rupture donc, mais une adoption de ces
usages par la foule. Donc oui, on va vers des masses critiques
d'internautes (MySpace compte deux fois la population française) et à
mon avis, ce n'est pas prêt de s'arrêter.
Le modèle de la co-création est censé profiter à tous
pour créer plus de valeur : pourriez-vous donner un exemple chiffré de
modèle gagnant-gagnant-gagnant ?
Prenez les success stories musicales les plus récentes, par exemple,
Kamini avec Marly Gomont ou Laplage avec coup de boule, on ne juge pas
la qualité artistique (libre à chacun de se faire son avis), seulement
les chiffres. Et bien Laplage a connu un succès foudroyant avec coup de
boule cet été en commençant par le donner gratuitement à des blogueurs
influenceurs, puis lorsque le buzz a pris (les blogueurs ont
gratuitement supporté les coûts de promotion en proposant le morceau à
leurs lecteurs) Laplage a demandé de retirer le MP3 des blogs, le temps
que le single sorte en sonnerie et CD. Pareil pour Marly Gomont.
Pourtant, dans la presse, le modèle gratuit a porté un sérieux coup à l'édition traditionnelle ?
Ca dépend comment on pense son métier. Lemonde.fr complète bien la
version grâce à la somme de minis revenus tirés des archives
(introuvables en version papier pour la plupart). On arrive donc à un
modèle de longue traîne ou le Net permet de vendre une multitude
d'archives. Bien sûr, c'est complété par les revenus publicitaires et
autres, et puis les journaux comme Libération ou Lemonde.fr cooptent
les internautes pour enrichir leur contenu (blogs de lecteurs) à
moindre frais.
Le disque est-il mort ?
Il s'agit de l'annonce faite par le PDG d'EMI monde il y a deux
semaines. Il est parti du constat que 60 % des clients d'EMI achètent
un CD et le numérisent. A partir de ce moment là, une remise en
question du rôle de la maison de disque est possible, pour évoluer vers
une maison de "musique" (cf Thierry Chassagne, PDG de Warner France).
Si on part du principe que ce qui intéresse un fan ou amateur averti
est l'émotion (une musique suscite une émotion, ou sinon, on ne
l'écoute pas) alors, il apparaît que le format n'est pas si important
et que le client de la filière musicale n'est pas forcément attaché à
un support particulier. Comparons avec les places de concert : qu'est
ce qui fait que la personne au premier rang d'un concert dépense 400
euros, alors que la personne au dernier rang paye 10 euros ? Pourtant
ces deux personnes écoutent la même musique (on dirait "consomment le
même produit"), ce qui montre bien que ce n'est pas "que" ça qui est
valorisé. Ce qui rentre dans la valorisation est l'expérience musicale
plus que l'œuvre, c'est à dire qu'on paye pour l'unicité du concert, la
relation de proximité avec l'artiste (au sens propre comme au sens
figuré) et en partant de ce constat, on peut alors inventer de nouveaux
objets dérivés qui viendront compléter le CD
Mais
le disque est durable. En cas de crash de mon disque dur, je perds mes
données et ma musique... un modèle de téléchargement de musique avec
droit à vie n'est-il pas plus pertinent ?... et rassurant... une
révolution presque.
Effectivement, le problème
rencontré aussi avec la vente de musique en ligne est le fait qu'on ne
puisse pas la revendre, ce qui vient abaisser la propension à payer. On
ne peut pas l'offrir non plus. Sans doute peut-on trouver d'autres
solutions permettant par exemple de faire un vrai cadeau avec la
musique numérique. Dans tous les cas, le modèle de droit à vie est à
considérer, tant la durée de vie d'un ordinateur est limitée alors que
l'objet physique est pérenne.
Donc
du gratuit pour mieux vendre par la suite ? Ce sera viable d'après vous
? Si cela ce généralise, il y aura une abondance de gratuit, donc
l'intérêt de vendre par la suite sera limité ?
En
fait, le gratuit serait un point de départ pour trouver plus facilement
son public en abaissant ce qu'on appelle les coûts de recherche. La
vraie question est "y a t il un public pour tous les morceaux ou toutes
les vidéos" ? J'ai posé la question à Denis Ladegaillerie de la
plate-forme Believe.fr. Sur les 42.000 morceaux proposés à la vente sur
sa plate-forme musicale (principalement de l'autoproduction et des
indépendants), tous ont au moins été vendus une fois. Pareil pour les
800.000 morceaux disponibles à la location sur Rhapsody. Il y a donc
une audience pour tout, ce qui ne veut pas dire que tout aura un grand
succès.
C'est peut-être un bon modèle pour le portail, mais pas vraiment pour l'artiste, non ?
En fait, un artiste peut trouver un intérêt dans le gratuit si une
partie uniquement de son univers artistique est disponible librement
(en licence Creative Commons par exemple). Regardez l'exemple de
MySpace, jusqu'au mois de décembre, sur chaque page d'artistes, 4
morceaux sont disponibles en écoute intégrale et souvent en
téléchargement intégral. Après 3 ans d'existence, de nombreux groupes
inconnus on pu constituer une base de fans (d'amis) conséquentes, et
plus rapidement car le gratuit à abaisser les coûts de recherche. A
partir de décembre, les mêmes groupes vont pouvoir proposer à la vente,
à leur public tout trouvé et déjà conquis qui sans doute à envie de
plus de 4 morceaux, leurs 12 morceaux restant. Par exemple, les
Barenaked Ladies ont testé la fonctionnalité "vente" sur MySpace (Bêta
testé cet été) et leur dernier album a engrangé un million de dollars
en une semaine.
Comment
voyez vous l'évolution des "droits" que nous payons lorsque nous
achetons de la musique (ou des films d'ailleurs) ? Jusqu'à présent, ces
droits n'ont jamais été clairement communiqués. Or, la montée en
puissance des boutiques en ligne fait naître beaucoup de droits
différents ?
Effectivement, le régime du droit
d'auteur à l'heure du numérique est en pleine mutation. On pourrait
avoir l'impression d'une complexification, disons plutôt qu'il se
diversifie pour coller à de nouveaux usages. Les licences libres type
Creative Commons (qui autorisent le remix et l'échange libre des
oeuvres) ont été transposés en droit français il n'y a que deux ans et
on compte plus d'un million d'oeuvres protégées par ce régime de droit
d'auteurs en France en seulement 24 mois. La diversification des
protections des auteurs poussent donc à plus de transparence sur le
sujet
Le DRM est-il un mal nécessaire ?
En
fait, économiquement, il restreint les usages donc limite la propension
à payer. En outre, il ne faut pas oublier la "concurrence" du gratuit.
Enfin se pose le risque d'un assèchement du Net avec des Mesures
Techniques de Protections (MTP ou DRM), alors que se développe les
licences libres ou les oeuvres sont compatibles avec tous les lecteurs
MP3 ou vidéo, et sont encouragées à être diffusées, notamment sur les
radios en ligne type Bnflower ou Radio.blog et en plus, pas de risque
juridique. Donc je n'encourage pas l'utilisation de ce type de
protection qui replacent le fan ou le simple consommateur dans une
position passive en bout de chaîne, et donc s'oppose à toute
co-création de valeur.
"Industrie culturelle" : ces deux termes ne sont-ils pas paradoxaux ?
Effectivement, on peut plutôt préférer le terme de filière musicale ou
cinématographique. Cependant, à partir du moment où des artistes ou des
cinéastes fixent un prix sur leurs oeuvres, ils rentrent dans le
système marchand, et donc dans une industrie, et n'oublions pas que les
licences libres autorisent une utilisation commerciale. Ce n'est pas
incompatible avec le statut d'artistes.
Votre bouquin s'appelle " L'Âge de Peer "
mais tous les sites peer-to-peer se font interdire ! Après l'âge de
peer , l'âge de faire... payer ?
En effet, les
choses ne sont pas si simples pour le P2P aujourd'hui cependant, les
acteurs "institutionnels" copient de plus en plus.
Nous
dirigeons nous vers une musique sponsorisés par de grands groupes
industriels (Renault, Airbus...) à l'image de certains artistes
peintres ?
Et bien, en fait, la musique possède une
certaine image et est chargée de valeurs, et elle peut avoir des
"retombées" intéressantes pour certaines marques. A l'inverse, de
grands groupes ont profité de passages pub télé, on peut citer Daft
Punk ou Gorillaz avec iPod. Pour ce qui est des automobiles, Toyota a
monté un label, et la Twingo concept de Renault pour 2007 devrait
posséder un support pour deux iPod en même temps. Voiture et musique
font partie de ce qu'on appelle l'environnement expérientiel. Après,
libre à chaque artiste de s'associer avec une marque ou pas. Mais
effectivement, si le client final n'est plus prêt à payer pour un
certain type de musiques (digital par exemple, et encore), les marques
elles peuvent toujours y voir un intérêt pour leur image.
Ne
pensez-vous pas que la co-création pourrait être une activité
chronophage à laquelle les gens n'auront pas envie de souscrire ?
Le bon côté, c'est qu'elle abaisse souvent les coûts d'accès aux
services car l'utilisateur supporte une partie des coûts et la
personnalisation (esprit Web 2.0) et il suffit d'une partie des
utilisateurs aient du temps (souvent bénévolement) à consacrer à
l'amélioration d'un service (ou à faire la promo d'un artiste), pour
que ça serve à toute la communauté. C'est la fameuse loi des 1 % du
Guardian Unlimited Technology : sur le Net une personne crée un contenu
et le met à disposition, 10 le commentent et le remixent, et les 89
restant ne font que le consommer. On retrouve à peu prêt ce ratio sur
MySpace (3 millions de page d'artistes pour 130 millions d'inscrits) ;
sur YouTube avec 0,5 % d'uploadeurs de vidéo pour 99,5 % de pur
download ; sur les Yahoo Lists avec 10 % de contributeurs aux listes de
diffusion pour 100 % qui lisent les e-mails ; sur Wikipedia avec 0,5 %
des contributeurs qui ont crée 70 % de l'encyclopédie ; sur les réseaux
P2P pour 5 % de seeders et 95 % de free riders qui ne font que
télécharger sans rien mettre à disposition.