Le concept de politique active est issu d’une critique de l’État providence et de son fonctionnement
bureaucratique. Face à un problème, l’État providence identifie un groupe à assister, crée des
prestations, une administration pour les gérer, des conseils pour piloter et contrôler. Les politiques
actives visent à concentrer les moyens disponibles sur les bénéficiaires finaux et sont utilisées dans
plusieurs pays en matière d’emploi et d’activité. Les travaillistes britanniques en ont fait une des clés
de leur action. Le RMI aurait pu constituer l’exemple d’une politique active à la française.
Le but des politiques d’activité est de convaincre les individus, par tous les moyens,
d’augmenter le nombre d’heures qu’ils consacrent à une activité rémunérée – faiblement ou non –
pour améliorer leur pouvoir d’achat et leur insertion dans la vie sociale. Cette logique est à l’inverse
d’une administration d’ensemble du marché du travail, souvent malthusienne d’inspiration (freiner
le travail des uns pour conserver celui des autres) et bureaucratique dans sa pratique.
Les premières statistiques de dépenses comparant politiques actives et politiques administratives
pour l’emploi, publiées en 1990 par l’OCDE, ont montré que les mesures actives représentaient
moins de la moitié des dépenses consacrées aux mesures administratives. Pour réduire des taux
de chômage élevés, de nombreux pays occidentaux se sont tournés dans les années 1990 vers des
politiques actives en faveur de l’emploi et de l’activité des individus dans quatre domaines :
- amélioration des compétences des chômeurs par des formations et des stages ;
- rénovation des services publics de l’emploi (SPE), avec un suivi personnalisé des demandeurs
d’emploi ;
- incitations financières et légales à la reprise du travail ;
- programmes nationaux destinés à mettre davantage de jeunes, de femmes et de seniors
au travail.
Les politiques d’activation appliquent la méthode des « politiques actives au profit direct des
individus » aux politiques d’activité (« quelques heures de travail en plus pour chacun feront une grande
différence pour tous » disait Carl Bildt, alors Premier ministre suédois). L’idée d’« activation » est
parfois difficile à comprendre en France, où les politiques actives ont été moins populaires qu’ailleurs
en Europe et où les politiques d’activité sont longtemps restées suspectes (pourquoi augmenter
l’activité des femmes ou des travailleurs âgés alors qu’il y a 10 % de chômage ?).
L’idée d’activation est parfois devenue un fourre-tout. Symptomatique de la confusion régnant
autour du concept, la formation ne correspond pas à un accompagnement actif selon l’ANPE, alors
qu’elle est considérée comme une mesure active par l’UNEDIC. L’objectif des politiques d’activation
n’en est pas moins clair : mettre plus de personnes au travail, plus tôt et plus longtemps.
Plusieurs politiques actives mises en place dans d’autres pays ont montré des résultats
importants.
Les politiques d’activation par la refonte du SPE
La principale difficulté à laquelle les pays occidentaux ont dû faire face réside dans l’organisation,
à partir d’anciennes administrations, d’un service public de l’emploi (SPE) efficace au service direct
des demandeurs d’emploi, afin de rendre le retour à l’emploi plus rapide.
Plusieurs principes fondamentaux des politiques actives visant les demandeurs n’ont pas été
introduits en France, alors que leur efficacité est avérée :
- Un changement de philosophie assurant la promotion de la condition active de « chercheur
d’emploi » par rapport au statut dévalorisé de chômeur ou à la situation passive de
« demandeur d’emploi ». Chercher un emploi peut être présenté comme une occasion de
progrès personnel.
- L’agent unique comme interlocuteur du demandeur d’emploi, principe central dans
l’accueil des Job Centres britanniques et des ANPE scandinaves. Cette relation personnelle
entre un agent unique et le demandeur d’emploi a été très peu respectée en France, avec
moins de 40 000 demandeurs d’emploi bénéficiaires d’un « accompagnement interne » en
2004, selon le vocabulaire de l’ANPE.
- L’établissement d’un « contrat » entre le demandeur d’emploi et son agent
unique, précisant les droits et les devoirs de chacun. Les réformes du SPE menées au
Royaume-Uni, en Allemagne et dans l’Europe du Nord permettent une continuité de la
relation contractuelle pour le demandeur d’emploi, qui passe d’un contrat avec son ancien
employeur à un contrat avec le SPE. Les demandeurs ont ainsi des droits et des devoirs :
obligation d’une recherche active (avec une définition de « l’emploi convenable ») en
contrepartie d’une indemnité et une palette d’aides sous forme de stages et de formations.
Le demandeur d’emploi reste connecté avec la vie active (nouveaux contacts grâce aux
activités proposées/imposées, gestion du temps, etc.). Ce sujet oppose, en France, les
partenaires sociaux qui s’inquiètent d’un renforcement des contrôles sur les demandeurs
d’emploi qui se désintéressent de la recherche de leur emploi (seulement 2 % à 3 % des
chômeurs ont été radiés au-delà de la simple absence lors de la convocation).
- Rompre avec la politique du wait and see, qui consiste à ne proposer des mesures
(stages, formation, démarches) qu’après un certain nombre de mois afin de laisser le
chômeur libre d’organiser sa recherche d’emploi – comme on peut le voir en France.
Cette pratique est remise en cause dans un grand nombre de politiques d’activation en
Europe. Le cas hollandais est intéressant : lors de l’inscription d’un demandeur d’emploi, le
risque de chômage de longue durée fait l’objet d’un diagnostic statistique. Cet outil permet
de déterminer les personnes qui doivent être soutenues et activées dès l’inscription au
chômage.
Les politiques d’activation par les incitations financières
Mesure la plus répandue de la politique active, les incitations financières pour rendre la reprise
et le maintien du travail plus attractifs sont en vigueur dans tous les pays européens et peuvent
prendre des formes différentes.
La dégressivité ou l’arrêt du versement des indemnités sont souvent efficaces (aux Pays-Bas et
au Danemark, on a enregistré un taux élevé de sorties de chômage peu de temps avant l’arrêt de
versement des indemnités : le demandeur d’emploi est alors plus motivé pour chercher et accepter
un emploi). La dégressivité de l’allocation au-dessus d’un certain plafond décourage les travailleurs
qualifiés les plus facilement employables d’une utilisation « sabbatique » de l’allocation chômage.
Les incitations financières positives peuvent se décliner en 3 catégories :
- Incitations financières directes à reprendre une activité : le crédit d’impôt aux
États-Unis, le revenu familial supplémentaire en Irlande, les bénéfices familiaux en Italie,
le Working Tax Credit au Royaume-Uni, la Prime pour l’emploi (PPE) en France. Le cas
britannique illustre bien l’intérêt de telles incitations : le Working Tax Credit (WTC), doublé
d’un crédit d’impôt pour le demandeur d’emploi ayant des enfants à charge, a été introduit
en avril 2003. Sont concernées les personnes de plus de 25 ans et qui travaillent plus de 30
heures par semaine, ainsi que les travailleurs handicapés ou âgés. Des effets positifs ont
été observés, notamment chez les parents seuls, les couples où les deux personnes sont
au chômage et les femmes vivant en couple avec un demandeur d’emploi. Le dispositif
est d’autant plus efficace qu’il est concentré et que les primes sont substantielles. La
Fondation pour l’innovation politique s’est prononcée en faveur d’une augmentation de la
PPE – qui pourrait être doublée et versée pendant 6 mois au salarié qui reprend un travail
– et d’une concentration sur un nombre restreint de bénéficiaires.
D’autres formes d’incitations se développent aujourd’hui, dans le but d’élargir
le nombre des bénéficiaires susceptibles d’être intéressés :
- Cumul plus durable aide sociale/emploi, afin de soutenir les faibles salaires liés aux
emplois de faible qualité ou de temps très partiel. Cette piste, que l’on peut retrouver dans
certaines politiques en France (par exemple par le maintien du RMI avec une activité à
temps très partiel afin de ne pas pénaliser ceux qui choisissent de travailler), est souvent
moins prioritaire en dehors de nos frontières, où les politiques encouragent avant tout le
travail à plein temps.
- Stabilisation de la couverture sociale par le maintien temporaire des allocations et
de l’ensemble des avantages fiscaux (hors allocation chômage) au moment du démarrage
d’un emploi : le salaire vient se substituer à l’allocation chômage, tout le reste demeure
identique. Ce système est d’autant plus efficace qu’il est couplé à une dégressivité de
l’allocation chômage. Les lois Hartz en Allemagne introduisent ce type d’activation, par le
maintien de la nouvelle allocation chômage II en parallèle d’un mini job et ou d’un 1-euro-
job (travaux occasionnels d’utilité publique). La situation financière tend à être meilleure
pour les salariés concernés que dans l’ancien système d’aide social antérieur aux lois
Hartz.
Les politiques d’activation des travailleurs âgés et des femmes
C’est à l’égard des travailleurs âgés que le basculement d’une logique malthusienne d’administration
du marché de l’emploi à une logique pragmatique de renforcement du pouvoir d’achat et de
l’intégration sociale des personnes est la plus sensible. Il ne s’agit plus d’éviter que les femmes
entrent sur le marché du travail et de faire en sorte que les travailleurs âgés en sortent afin de
conserver les emplois disponibles pour les hommes de 20 à 55 ans. Il s’agit désormais de permettre
que chacun, sans distinction, puisse avoir le droit de mieux gagner sa vie et de mieux participer à
la vie sociale. Ce changement de philosophie n’est pas motivé par le changement démographique
ou par un nouveau modèle économique d’ensemble, mais par une revendication de justice entre les
sexes, les âges et les conditions. Le sort des demandeurs d’emploi ne doit pas prévaloir sur l’exercice
de la liberté professionnelle de chacun.
Pour les travailleurs âgés : les politiques actives sont venues remplacer les politiques
traditionnelles de préretraite dans la plupart des pays occidentaux, par des incitations financières à
maintenir ou à reprendre le travail, même au-delà de l’âge légal de la retraite.
Le Royaume-Uni, le Japon ou encore la Suède n’imposent plus de limite au cumul
de la retraite et de l’activité salariale : les seniors ont une réelle incitation financière à ne
pas quitter la vie active. Le travail non déclaré des catégories concernées y est également moins
répandu.
Au-delà des incitations financières, plusieurs pays, dont la Suède, ont cherché à réconcilier les
entreprises avec les seniors par une amélioration des conditions de travail (avec la création
d’une agence de l’ergonomie), par une plus grande souplesse du temps de travail et du contrat
du travail, ou encore par une attention particulière portée au transfert des connaissances des
seniors vers les salariés plus jeunes.
Les mesures françaises d’activation des seniors paraissent très timides comparées à celles de nos
voisins, aussi bien en matière de cumul emploi-retraite qu’en matière d’adaptation des conditions
de travail pour le salarié âgé.
Pour les femmes : dans la majorité des pays occidentaux, le taux d’activité des femmes a
donné naissance à une politique active renforcée destinée aux femmes en âge de travailler. Les pays
scandinaves appliquent une politique de dé-familiarisation (le transfert des tâches familiales des
femmes vers la société – qu’il s’agisse de personnes âgées ou d’enfants – par la création de centres
d’accueil, de crèches, de daycares ou d’autres services à proximité du travail ou de la résidence) ou
de Work Life Balance (WLB) : ces pays connaissent le taux d’activité des femmes le plus élevé au
monde.
Par cette politique active de dé-familiarisation, les pays scandinaves ont changé l’attitude des
femmes et de la société envers le travail : la charge des enfants ou des personnes âgées constituent
rarement un frein à l’activité salariale. Tandis que 50 % des femmes en Allemagne, aux Pays-Bas
ou au Royaume-Uni déclarent que la première raison de leur éloignement du marché du travail est
la naissance d’un enfant, loin devant le non renouvellement d’un contrat de travail ou la maladie, la
naissance d’un enfant n’est presque jamais mentionné comme la raison d’une cessation d’activité
dans les pays nordiques.
Les politiques d’activation nécessitent parfois un changement des mentalités
Des campagnes nationales de sensibilisation, telles que l’on a pu en voir en Suède concernant
la place des femmes dans la société, et au Royaume-Uni ou en Finlande autour du vieillissement,
illustrent une activation appuyée par un travail très complet, où l’État a réuni de nombreux acteurs
afin de changer les mentalités de la société tout entière.
L’exemple des nombreuses campagnes finlandaises, dont la dernière se poursuivra jusqu’en 2007,
nous donne un éclairage sur l’élaboration, la mise en œuvre et les résultats d’une politique active
pour l’emploi utilisant plusieurs moyens de communication. La crise que la Finlande a traversée
dans les années 1990 a suscité une dizaine de campagnes nationales de sensibilisation dans le
but de changer les mentalités envers le travail des seniors : « pour le respect du vieillissement »,
« pour la forme à tout âge », et surtout, en 1996, le « programme national pour les travailleurs
âgés », un programme complet en 40 points mis en œuvre entre 1998 et 2002. Les ministères de
l’Éducation, de la Santé et du Travail ont conjointement accordé 4,2 millions d’euros à la campagne.
La première étape, la plus originale, était destinée à toute la population, et notamment aux seniors
et aux entreprises, pour montrer que l’expérience des seniors est un atout pour toute la nation.
La télévision, les journaux, la radio et Internet ont été utilisés comme supports pour la campagne.
Plusieurs évaluations, dont un baromètre ad hoc (Workplace Health Promotion) et une importante
évaluation européenne, n’ont pas permis d’isoler les résultats obtenus par le programme et de tirer
des conclusions définitives. Néanmoins, on a pu noter une amélioration du taux d’emploi et un recul
du chômage de la population des 55-59 ans et des 60-64 ans.
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