L’ampleur prise par la grève des scénaristes souligne le manque de
renouvellement du
cinéma et de nos cultures en général.
http://img219.imageshack.us/img219/4131/light4hw0.jpg
Dans notre société de consommation et de loisirs, les sources
d’inspiration sont nombreuses. On ne compte plus les adaptations de
comics, de best-seller littéraires, de faits-divers ou même de séries.
Mais pour beaucoup de ces œuvres, le terme « adaptation » est inapproprié. Il serait plus juste de parler de transcription.
La plupart sont des illustrations serviles de livres à succès, la série
des « Harry Potter » notamment (à l’exception du film de Cuaron), se
contentant d'élaguer dans le texte plutôt que de faire un vrai travail
d'adaptation. Mais ce n’est pas si facile de conserver l’esprit qui a
présidé à l’oeuvre. Si Sam Raimi a su déjouer admirablement tous les
pièges en mettant tout le monde d’accord avec sa vision de Spiderman,
il en est autrement pour les ¾ des films basés sur des comics. Les
puristes (dit aussi fans hardcore voire intégristes) ne supportant pas
que leur livre ou bd de chevet ne soit pas retranscrite à la virgule ou
la case près. Ainsi « Sin City », pourtant révolutionnaire en terme
d’image, n’arrive jamais à dépasser son simple statut d’adaptation
fidèle. De belles images animées aussi dénuées d’émotion que trop
statiques.
Sont également adaptés les jeux vidéos à succès. Et plutôt que de
s’appuyer sur un travail d’écriture qui transcenderait le concept de
départ, le film est entièrement basé sur un gameplay autant jouissif à
jouer qu’il est aussi saugrenu et intrinsèquement voué à l’échec à
regarder. Le bien nommé « Doom ».
Mais cette tendance figure une préférence accrue pour de belles images
vides de sens. En édulcorant des personnages anticonformistes (John Mc
Clane dans « Live free or die hard ») ou en faisant des succédanés de
caractères ambigus et charismatique (Benjamin Gates étant la pâle
photocopie du pilleur de tombe Indianan Jones), l'implication du
spectateur lambda est largement facilité.
Toute charge politique ou critique véhiculée par le scénario sera
d’autant plus facilement évacué qu’ainsi les images deviennent
inoffensives donc plus vendables car politiquement correctes.
« The island » de Michael Bay est d’autant plus intéressant que cette
transformation se fait à l’écran. Au départ fable science-fictionnelle
ayant pour sujet le clonage, le film se mue peu à peu en un actioner
pétaradant et une course-poursuite effrénée où toute implication
éthique et morale sont balayées en même temps que le décor.
Mais le véritable signe d’un essoufflement certain est le recours de plus en plus prononcé aux remakes
S’ils sont une pratique courante utilisée depuis toujours, leur nombre
s’est considérablement accru. Entre ceux déjà mis en boîte et ceux à
venir (en vrac, « l’âge de cristal », « la montagne ensorcelée », « le
magicien d’Oz »…), Hollywood recycle à tour de manivelle. Outre qu'ils
sont emblématiques d'un tarissement de création, ils représentent une
manière de se réapproprier les oeuvres originales.
Miser sur l’aura et la reconnaissance d’un classique est un bon moyen
de faire du fric à peu de frais. Si encore cela permettait à un
réalisateur d’apporter sa vision, de transcender l’œuvre originale pour
en livrer une version à la fois différente et respectueuse. Comme a pu
le faire Carpenter et son remake (« The thing ») de la « La chose venue
d’ailleurs » de Nyby et Hawks ou récemment ce qu’à réussi à faire Rob
Zombie avec sa relecture du « Halloween » de Carpenter justement.
Un big John assez ambivalent puisqu’on l’a vu défendre des purges
infâmes comme les remakes de « the fog » et « assault sur le central 13
» ! Ou quand l’amour et le besoin d’argent fait faire n’importe quoi.
Ces deux remakes en question sont parfaitement emblématiques du système
à l’œuvre actuellement. Plus aucune place à l’interprétation, à
l’imagination et au mystère, les motivations et autres justifications
des divers personnages sont abondamment explicitées.
D’un western à la lisière du fantastique et de l’horreur avec « Assault
» on passe à un vulgaire thriller d’action grâce au remake. Quant à «
the fog », d’un film à l’ambiance délétère et à la tension palpable on
obtient un produit promotionnel pour jeunes acteurs à la mode. C’est
aussi le cas de la nouvelle version de « Hitcher » qui n’a absolument
rien compris au chef d’œuvre de Mark Harmond.
Refaire le même film est aussi le meilleur moyen de s’approprier l’original. C’est ce que démontre la vague de remake de films asiatiques qui ne sortiront sur le territoire américain que dans leur version américanisée. Une manière de faire d’autant plus déplorable que face à l’emprise économique mondiale des Etats-Unis, les auteurs n’ont guère d’autre alternative, mais cela dénote d’un total irrespect et méconnaissance d’autres cultures. Les œuvres en question sont définitivement ancrées dans un contexte historique, politique, social et culturel totalement étranger à une audience américaine. N’en garder que le décorum et ses éléments les plus représentatifs dénature et vide de toute signification ces films. « Ring », « Dark water », « Kaïro » bientôt « the host », autant de chef-d’œuvres devenu totalement insipides et exsangue de toute résonance. Le plus tragique est le cas de Takashi Shimizu qui depuis le succès de son premier film « Ju-on » (sorte de rip-off du « Ring » de Nakata) est condamné à refaire (ad vitan eternam ?) le même film. « Ju-on » a été refait 2 fois au japon et autant aux Etats-Unis sous le tire de « the grudge ».
Le remake est également un bon moyen de relancer une franchise en perte
de vitesse. Ainsi, malgré un numéro X assez jouissif et fendard, c’est
au tour de Jason Voorhes d’être revu et corrigé, le remake de «
vendredi 13 » étant prévu pour l’année prochaine. Vous pouvez être sûr
que notre bon Freddy Krueger ne sera pas oublié.
Bien plus qu’un enjeu commercial ou une volonté soi-disant
désintéressée de moderniser une œuvre pour une audience contemporaine,
on assiste, comme le soulevait Julien Pechenot il y a quelques temps
déjà (le numéro 4 de votre revue favorite), à une régurgitation de la
contestation.
La société de consommation actuelle absorbe les brûlots anarchistes et
nihilistes au possible issus de la période faste des années 60-70.
Le cas de John Carpenter est vraiment significatif puisque l’œuvre de
ce contestataire se retrouve véritablement pillée pour mieux être
absorbée.
Voir également le remake datant de 2003 du légendaire "massacre à la
tronçonneuse"par le clipeur Marcus Nispel. S’il s’avère assez flippant
par endroits, force est de constater que l'image est complètement
aseptisée. Disparus le grain et les teintes jaunâtres véritables
symboles de la putréfaction d'une Amérique encore secouée par le
conflit au viet-nam et la désillusion des institutions politiques. Ce
qui faisait la force de l'original étant bien son sous-texte politique
qui donnait à cette farce macabre ses allures de pamphlet contestataire.
Les conditions de tournage et le budget serré ont certes largement
contribué à l’énergie radicale imprégnant le film, il n’empêche que le
contexte socio-politique de l’époque est fortement ancré.
Si les années 90 nous ont offert une version remixée et colorisé du
génial "la nuit des morts-vivants" de Roméro ce n'est rien comparé au
remake de "Zombie" du même Roméro."Dawn of the dead" est un pur produit
de la génération des seventies qui s'attaquait à la société de
consommation dans son ensemble. Si c'est pour livrer une attaque
identique au consumérisme, pourquoi en faire un remake ? Qu'est-ce que
cela apporterait de plus ? Le problème, c'est que justement ce remake
ne prétend pas s'inscrire en digne hommage ou prolongement de
l'original mais bien à asseoir définitivement la main-mise des studios
sur les classiques qui ont inspirés toute une génération de cinéastes,
de journalistes, d'écrivains actuels dont la fibre contestataire est
mal acceptée voir rejetée.
C'est bien pour étouffer dans l'oeuf toute émergence d'une nouvelle
génération plus critique envers la société que ces remakes sont faits.
Ils ne sont là que pour satisfaire cette génération nourrie à MTV et
Jackass en leur proposant des films non plus basés sur une histoire aux
résonances actuelles mais sur les vedettes qu'ont leur vend à longueur
de clips et d'émissions trash.
Finalement, c'est faux de dire que ces remakes n'ont aucune
signification contemporaine. Car malheureusement, ils sont les dignes
rejetons d'une société de consommation toujours plus avide de recycler
les mêmes idées pour en faire des produits toujours plus attractifs
mais sans véritable essence.
Peut être pire. Le succès public du remake de « massacre à la
tronçonneuse » a engendré une préquelle solennellement intitulée « the
beginning ». Outre que de commencement il n’en a que le titre, cela
traduit une certaine forme de révisionnisme. Fonder une préquelle sur
un remake à tout d’une tentative de faire oublier qu’il existait un
film de 1974 à la base du mythe.
Sevrés à des films toujours plus lénifiants, les spectateurs
recherchent désormais un simple divertissement. Mais on s'achemine de
plus en plus vers un divertissement simpliste.
Cette grève va bien au-delà du désir de reconnaissance et
d’augmentation des droits d’auteurs. Elle oppose deux conceptions bien
distinctes du médium. Les producteurs ne pensant désormais qu'en terme
d'images et plus au discours qu'elles se doivent d'illustrer et de
véhiculer.
Bien plus qu'un enjeu financier, c'est un véritable enjeu idéologique dont il est question.