Qu’y a-t-il de commun entre le berger David, l’esclave Spartacus, l’auteur de l’attentat de Sarajevo, Mohammed Atta et le trader de la Générale ?
En apparence, rien. En réalité, beaucoup : dans tous ces
cas, ce sont des hommes qui, presque à mains nus, ont fait vacillé un
pouvoir infiniment puissant : David tuant Goliath et gagnant la guerre
, Spartacus ébranlant l’empire romain , l’assassin de l’archiduc
d’Autriche mettant fin à la vieille Europe ; les terroristes des Twin
Towers défiant la toute puissance de Wall Street.
Ces obscurs ont réussi, d’un geste minuscule, à abattre un système, ou
en tout cas à le menacer très sérieusement ; ils fascinent et
inquiètent toujours, dans tous les pays, de tout temps. Et dans tous
les cas, la stabilité ultérieure du système se mesure alors à sa
redondance, c'est-à-dire à sa capacité à ne pas être détruit par une
agression minuscule.
Le jeune trader de la Défense, mettant à bas une des premières banques
d’Europe, s’inscrit dans la même veine. Il montre à sa façon que le
système financier mondial est comme un ballon gonflé de vent ; qu’un
coup d’épingle peut le faire exploser : un trader trop audacieux ; un
patron protégé par un conseil d’administration où certains sont
suspectés de délais d’initiés et il devient clair que tout le système
bancaire peut être balayé par le discrédit qui, au-delà d’une banque,
concerne toute la classe dirigeante.
Comme dans les autres cas, la force de l’impact de cette crise se
jugera à la capacité du système à compenser ailleurs ce qui vient
d’être perdu là. Et il n’est pas évident qu’il y parvienne. Car la
crise ouverte par l’affaire de la Générale remet en cause le fondement
même du système financier mondial . Elle rend très difficile à
justifier un ordre où les performances sont entre les mains de milliers
de joueurs incontrôlés. Elle discrédite un système capitaliste où les
patrons sont rémunérés de façon exorbitante, sous prétexte des risques
qu’ils encourent, et qui s’accrochent à leurs fauteuils malgré des
erreurs qui les auraient conduits à licencier en dix minutes n’importe
lequel de leurs subordonnés.
Si certains systèmes tiennent par la peur, l’économie de marché tient
par la confiance. Et ce que les avions du 11 septembre n’ont pu
accomplir par la violence, il est fort possible qu’un petit trader y
réussisse par le ridicule.
Après les subprimes, les cartes de crédit…
La crise des subprimes est pour l’instant colmatée à coup de centaines
de milliards , fournis par les banques centrales et les fonds
souverains : en un jour, la BCE a mis sur le marché deux fois ses fonds
propres et 25 % de ses actifs. Cela tiendra sans doute jusqu’à la
clôture annuelle des comptes. Par ailleurs, les fonds souverains
interviennent en exigeant 11% de rendement garanti, ce qui organise une
énorme grande concentration de richesses à leur profit et une
accélération de l’entrée dans l’histoire des pays d’Asie.
Mais ce n’est qu’un début !
En Amérique, chacun, et en particulier les ménages les plus fragiles,
utilisent au maximum des cartes de crédits "pre-approved" reçues dans
les boites aux lettres . Et cela conduit à un niveau d'endettement en
cartes de crédit des ménages américains gigantesque : environ 2 500
milliards de dollars, ce qui est très largement supérieur aux dettes
pour le logement et aux subprimes. De plus, ce sont les mêmes qui sont
endettés pour l’un et pour l’autre , car ceux qui risquaient de perdre
leurs maisons ont tiré au maximum sur toutes leurs cartes de crédit
("maxing out on credit cards") avant de se résoudre à habiter sous des
tentes . L'ensemble de ces créances en carte de crédit a été ensuite
regroupé , comme pour les subprimes, en titres spécifiques, revendus de
banque en banque ; nul ne sait exactement, pour le moment, où se
trouvent tous ces titres. Autrement dit : les crises bancaires ne font
que commencer.