Certains répondent «non». Pour des raisons de principe : ils
rejettent la présidentialisation et la personnification de la vie
politique française. Et pour les défauts concrets qu’a révélés
l’expérience de 2006 : division du camp socialiste, désorganisation et
impréparation de la campagne présidentielle, doute sur la capacité de
la procédure à sélectionner le «meilleur» candidat. Une primaire serait
à la limite valable pour investir un candidat connu d’avance (comme
Prodi puis Veltroni en Italie), mais pas pour départager des candidats
compétitifs.
La primaire nous semble pourtant incontournable : elle fait passer
le choix du candidat à la présidentielle de l’appareil à la base, une
telle démocratisation du parti est irréversible. Et la primaire est
utile : elle apporte une légitimation au candidat et une modernité à
son parti.
Dès lors, l’enjeu est celui du choix et de la codification d’un
système de primaire, tant il en existe de différents. Celle de 2006 a
été improvisée «à chaud». Dans une réflexion «à froid», quelle serait
la «primaire à la française» la plus efficace ? Quatre questions
principales se posent.
1. Le champ des primaires : le PS ou toute la gauche ?
Une primaire pour toute la gauche, sur le modèle italien, aurait
deux vertus : une unification des partis de gauche, éloignant le
spectre d’une élimination au premier tour ; une mobilisation du «peuple
de gauche» autour d’un candidat unique, réglant le problème des reports
de voix au second. Une telle primaire ne nous semble pas praticable.
L’extrême gauche refuserait de rentrer dans un tel processus. Cette
primaire cliverait la gauche entre gauche de gouvernement et gauche
radicale, libérant ainsi un espace politique considérable pour cette
dernière. Des partis de l’ex-gauche plurielle (PCF, Verts) pourraient
ne pas jouer le jeu non plus, tant il est difficile de renoncer à la
visibilité politique qu’offre la participation au premier tour de
l’élection présidentielle.
2. La date : quand vote-t-on ?
Deux réponses s’opposent : en fin ou en début de mandature.
Choisir son candidat en fin de mandature, juste avant la
présidentielle, est la solution naturelle dans un régime
présidentialiste comme la France. A l’instar des Etats-Unis, elle
permet de vérifier l’adéquation du candidat avec l’électorat.
Mais elle pose deux difficultés sérieuses. Elle provoque une
division de son camp juste avant l’échéance : DSK et Fabius se
battaient contre Ségolène Royal pour l’investiture, comment
pouvaient-ils un instant de raison plus tard la soutenir sans réserve ?
L’exemple américain montre cependant que c’est possible. Plusieurs
éléments pour y parvenir. Une grande messe unitaire symbolique à
l’issue des primaires, sur le modèle de la convention démocrate. La
capacité à offrir un lot de consolation au principal battu, par exemple
un «ticket» Président-Premier ministre. Un peu de temps : novembre 2006
était trop tardif, juin 2011 offrirait la trêve estivale pour panser
les plaies.
Un tel vote pose aussi la question du rôle du parti. Fragmenté en
écuries présidentielles, le parti n’exerce plus ses fonctions
traditionnelles : porte-parole de l’opposition, travail programmatique
collectif. Par ailleurs, la légitimité résiduelle que conserve le
premier secrétaire comme chef du parti perturbe la bonne organisation
des primaires. Dès lors, un tel système nécessite une refonte profonde
du fonctionnement du parti, qui doit entrer dans un mode présidentiel.
Par exemple : un premier secrétaire limité au rôle de «secrétaire
général» organisant le bon déroulement des primaires, et dont la bonne
foi est garantie par l’interdiction statutaire de candidater pour la
primaire ; un leadership de l’opposition exercé par le président du
groupe socialiste à l’Assemblée nationale ; le renforcement des think tanks politiques
liés au PS, pour réfléchir collectivement à l’abri des enjeux de
leadership. Autre modèle, le parlementaire : dès le début de la
mandature, la défaite électorale consommée, on choisit un nouveau
leader de l’opposition, candidat, sauf accident, pour la prochaine
échéance. Pour être légitime, ce leader ne peut plus être désigné par
le jeu habituel des motions de courants lors du congrès. Il doit être
investi par une primaire, un vote direct préalable au vote des motions.
C’est ce qui se passe au Royaume-Uni. C’est la proposition, logique, de
Gaëtan Gorce.
Avantages : le parti fonctionne normalement sous la houlette de son
leader, les divisions sont atténuées avec le temps. Mais ce modèle ne
garantit pas de dynamique électorale. Surtout, le lien entre la
personnalité du leader et l’électorat n’est plus testé.
3. Le corps électoral : qui peut voter ?
Le débat oppose les partisans de la tradition (primaire réservée aux
adhérents) à ceux de l’innovation (primaire ouverte aux sympathisants).
Plusieurs arguments forts militent pour une primaire ouverte. La
légitimation : la force de l’investiture de Prodi par 4 millions de
citoyens, ou d’Obama par 35, est incomparable à la désignation par 200
000 socialistes français. Le renforcement de la démocratie : des
chercheurs américains ont montré que plus une primaire mobilise, plus
l’abstention à l’élection baisse. Le désir de participation citoyenne :
l’exemple de la primaire Veltroni - 3,5 millions de votants pour une
élection sans enjeu réel - est révélateur de cette jubilation
participative.
La primaire ouverte pose toutefois des problèmes sérieux.
D’organisation : en l’absence de listes d’électeurs préétablies, le
risque de bourrage des urnes est réel. De financement : la primaire
coûte cher, et d’avenir du parti : quel rôle pour l’adhérent et
l’organisation partisane elle-même ?
La distinction entre primaires ouvertes et fermées est en réalité
plus limitée qu’il n’y paraît, dès lors qu’il s’agit en pratique de
primaires fermées «élargies». Le système retenu en 2006 des «nouveaux
adhérents» à tarif réduit (20 euros) a permis de faire voter près de
100 000 sympathisants. En descendant le tarif au niveau italien, à
5 voire 1 euro, on aurait certainement obtenu des afflux massifs de
votants. Cela renvoie à la transformation du PS en un parti plus ouvert.
4. La campagne : comment organise-t-on la compétition ?
C’est un enjeu clé. La primaire socialiste de 2006, courte et aseptisée, n’a pas permis de juger les candidats.
Une vraie primaire compétitive, comme aux Etats-Unis, permet la mise
à l’épreuve des candidats : on connaît tout de leur personnalité, de
leurs équipes, de leur programme ; s’il y a des failles, on les
découvre avant la présidentielle. Elle permet aussi le renouvellement :
les nouveaux candidats ont le temps de se faire connaître et de
démontrer leurs compétences - typiquement, Carter, Clinton ou Obama. Le
secret des primaires américaines, c’est leur séquençage. Le vote Etat
par Etat, dans le cadre d’une course-poursuite par élimination
progressive, tient les électeurs en haleine et démultiplie l’attention
médiatique. Le système est-il transposable chez nous, dans le cadre
d’un «tour de France électoral des régions» ? MM. Baylet et
Schwartzenberg avaient déposé, en 2006, une proposition de loi
organisant une primaire à la française selon ce modèle.
Que tirer de ce tour d’horizon ? Trois conclusions.
A. Une primaire de toute la gauche n’est pas une piste réaliste.
B. Contrairement à une idée reçue, le débat entre primaires ouverte ou fermée n’est pas essentiel.
C. Les vrais enjeux sont ailleurs. D’abord, la date : elle détermine
le type de leadership - leader de l’opposition ou leader présidentiel.
Ensuite, la campagne : elle doit devenir réellement compétitive, afin
de sélectionner le meilleur candidat.
Il est temps d’inventer et de codifier une primaire à la française.
C’est le principal mandat que le congrès de Reims doit donner à la
future direction du PS. C’est une condition du succès de la gauche en
2012 et, au-delà, une responsabilité historique pour notre vie
politique.