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Homère, Shakespeare et Spielberg ont fait leur temps."
C'est ce qu'affirme un article récent du New York Times (17
novembre 2008) qui annonce la création d'un nouveau
laboratoire au Massachusetts Institute of Technology (MIT) consacré
à la narration du futur (Center for Future Storytelling).
Objectif : adapter les formes classiques de la narration aux nouveaux
médias, à Internet et à l'hypercommunication.
Car le monde du cinéma est inquiet : il ne cache plus ses
craintes de voir son fameux modèle industriel atteint de
péremption, faute de savoir se restructurer à temps, au
même titre qu'une vulgaire industrie sidérurgique.
Après
la fin du star-system tant de fois annoncée, c'est une autre
composante de son succès qui serait vouée à la
casse : la "story". La bonne vieille histoire, avec un
début un milieu et une fin, sans laquelle il n'y aurait tout
simplement pas de cinéma hollywoodien. Depuis l'aube de
l'humanité jusqu'à Hollywood, le récit écrit
a connu de multiples métamorphoses au gré des
transformations techniques d'impression et de reproduction. Cependant
il s'est transmis à travers un format plus ou moins stable,
celui du livre ou du film, qui, dans sa forme achevée, raconte
à un lecteur contraint la trajectoire d'une vie humaine ou les
étapes d'un voyage du héros dont le chercheur Michael
Bakhtine avait identifié l'une des formes dans le "chronotope"
de la route. Ce modèle d'écriture et de transmission
des récits serait sérieusement en danger, menacé
par l'explosion de la communication numérique, l'apparition de
médias interactifs (téléphones, iPhones,
micro-ordinateurs), la multiplication d'univers immersifs nouveaux
(jeux vidéo, Second Life, "reality shows"...) et
l'apparition de nouveaux formats de narration (hypertextes,
multimédias).
L'audience se détournerait de plus en plus des longs
tunnels narratifs de la production hollywoodienne pour se consacrer à
d'autres formes et supports de lectures et d'écritures, comme
les écrans et les téléphones portables. La
capacité d'Hollywood à raconter une histoire serait
progressivement grignotée par l'expansion des messages et des
microrécits dans la médiasphère. Le récit
traditionnel avec suspense, conflit et résolution serait en
passe d'être noyé dans le bruit universel et le désordre
visuel. Une nouvelle version de la fable du lion hollywoodien mis en
échec par les moustiques de la Toile. "J'ai même vu
un écran plasma au-dessus d'un urinoir", a déclaré
le producteur Peter Guber (Midnight Express, The Color Purple, Rain
Man, Batman...) qui donne à l'université de Californie
un cours intitulé "Naviguer dans un monde narratif"...
Le
Centre pour le storytelling du futur, qui ouvrira ses portes à
Plymouth en 2010, répond à cette nouvelle donne. "Notre
idée, explique David Kirkpatrick, président de Plymouth
Rock Studios et ancien président de Paramount, qui a investi
25 millions de dollars dans le projet, est de relever le défi
des nouvelles technologies et d'essayer de maintenir vivant l'art du
récit alors que nous abordons le XXIe siècle du
storytelling." Nous devons "protéger l'histoire"
et pour cela être à la pointe de la technologie dans dix
ou vingt ans. "C'est une chance extraordinaire de mettre les
capacités d'innovation, qui ont fait la réputation du
MIT, au service des nouvelles technologies du storytelling,
poursuit-il. Cette collaboration va transformer le modèle de
fabrication des films et réduire les barrières
technologiques qui enferment la forme narrative."
Le MIT
travaille déjà sur la robotisation de la production
d'images, mais le nouveau centre devra orienter ses efforts
technologiques vers l'industrie du spectacle. Selon le MIT, les
nouvelles technologies peuvent apporter de nouvelles manières
de raconter des histoires et révolutionner le storytelling qui
devra s'adapter aux nouveaux supports multimédias. Les
histoires doivent être plus attractives, plus ouvertes,
interactives et adaptées aux nouveaux réseaux sociaux.
Les chercheurs espèrent transformer l'audience en un
partenaire actif, capable de créer des ponts entre les mondes
réel et virtuel, en intervenant au cours même du
processus de narration.
Les nouvelles technologies expérimentées
au MIT, qui permettent à des dispositifs digitaux de
comprendre les gens à un niveau émotionnel et même
à des caméras de capter les intentions du réalisateur,
devraient mettre au monde une nouvelle génération de
personnages digitaux : performers synthétiques ou robots
hautement expressifs et interactifs.
L'idée est de passer
d'un film achevé, enfermé dans un livre ou un film, à
des formes ouvertes de narration dans lesquelles des acteurs virtuels
et des projecteurs "morphables" peuvent changer en temps
réel l'apparence physique d'une scène...
Des
perspectives technologiques qui, malgré l'investissement
consenti, ne calment pas les inquiétudes de David Kirkpatrick.
Il a avoué récemment qu'il pourrait bien suivre
l'exemple d'Al Gore, dont le film Une vérité qui
dérange a sensibilisé l'opinion aux dangers du
réchauffement climatique. Son film attirerait l'attention sur
un danger moins visible que la fonte des glaciers mais tout aussi
pernicieux : la disparition des histoires. Son titre : World Without
Story. Un monde sans histoire.
Chronique de Christian Salmon, écrivain
Posté par : Nicolas Marronnier
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