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Sa mission exacte demeure mystérieuse, mais il existe bel et bien. Un “bureau de l’innovation sociale”
est en cours de création à la Maison Blanche. Est-ce le signe que, pour
sortir de cette crise dont la gravité signe l’échec du système actuel,
Barack Obama compte s’appuyer sur ceux qui inventent de nouvelles
façons de travailler et d’agir dans la société ?
Sous l’appellation un peu fourre-tout d’”innovation sociale”, se
rencontrent depuis longtemps des mouvements issus de traditions très
différentes. Leur point commun: prôner l’innovation “par les gens, pour
les gens”. On y croise pèle-mêle des mouvements philanthropiques et des
entrepreneurs sociaux à l’anglo-saxonne, comme Ashoka, des acteurs du développement local qui promeuvent une démarche participative, telle Adels
(Association pour la démocratie et l’éducation locale et sociale) en
France, des associations qui restaurent un lien direct entre les
producteurs et les consommateurs, comme les Amap
(Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne), mais aussi
des sociétés et des think-tanks qui mobilisent l’innovation comme
technique d’ingénierie sociale, à l’image de la Young Foundation
au Royaume-Uni. Ces mouvements, qui trouvent parfois dans l’Internet un
formidable champ d’expérimentation et de déploiement, constituent une
dynamique qui, sortant des schémas d’action et de pensée traditionnels,
pourraient apporter des réponses valables à la crise et constituer des
solutions pragmatiques aux problèmes quotidiens des citoyens.
Aux Etats-Unis, le candidat démocrate avait multiplié les promesses
durant la campagne présidentielle : il ferait, par exemple, passer de
75 000 à 250 000 le nombre de volontaires de l’American Corps,
ce programme qui permet aux jeunes Américains de s’investir
bénévolement dans des domaines comme l’éducation, la santé ou
l’environnement. Mais, surtout, Barack Obama avait promis de poser les
bases d’une véritable politique publique de l’innovation sociale, en
créant un fonds d’investissement destiné à soutenir les initiatives
locales innovantes et leur diffusion, et en mettant en place une
structure destinée à les accompagner. Il répondait ainsi aux vœux
notamment exprimés par le Center for american progress, un think thank proche des Démocrates.
Pour
l’instant, le nombre de volontaires de l’American Corps n’a pas encore
été accru et le plan de relance de Barack Obama repose surtout sur des
bases keynésiennes classiques. Néanmoins, le vent tourne. Les
innovateurs sociaux ont longtemps été cantonnés dans le rôle de
pompiers dans le domaine du social, alors qu’ils peuvent concevoir des
réponses en amont, et à des défis plus larges, comme l’économie ou
l’environnement, ou plus simples, relevant de la vie quotidienne.
La crise, que les économistes peinent à penser, pourrait bien
accélérer cette tendance. La création du nouveau bureau à la Maison
Blanche constitue un signal fort, tout comme, de ce coté-ci de
l’Atlantique, l’appel lancé par José Manuel Barroso,
Président de la Commission Européenne, aux experts en innovation
sociale, le 20 janvier dernier. Lors de cette rencontre bruxelloise, le
Président de la Commission a déclaré que “la crise financière et
économique a encore accru l’importance de la créativité et de
l’innovation en général, et de l’innovation sociale en particulier”.
Depuis 2000 déjà, l’Europe soutient des expérimentations sociales, dans le cadre du programme Equal.
En Italie, le Ministère de la Fonction publique est également celui de
l’innovation. Dans le sud de l’Angleterre, le Comté du Kent s’est doté
d’un laboratoire d’innovation sociale, tout comme le ministère danois des Finances. L’Espagne n’est pas en reste: le Pays Basque lance une “Silicon Valley de l’innovation sociale“, et la Région Estremadure finance depuis 4 ans une agence de 35 personnes chargée de déployer une “société de l’imagination“, misant sur le changement et la mobilisation des jeunes pour favoriser son développement. A Londres, Bruxelles et Milan, des designers imaginent de nouvelles façons de répondre à des problèmes d’intérêt général.
Trois pistes pour l’innovation sociale à la française
La
France est depuis longtemps un terreau fécond en matière d’innovation
sociale. Il y a chez nous une longue pratique, souvent portée à bout de
bras par les associations, les acteurs du développement local, de
l’entrepreneuriat social, ainsi qu’une myriade d’activistes disséminés
un peu partout dans la société, y compris dans l’administration. Mais
leurs efforts sont clairsemés, et leurs enseignements largement ignorés
des grandes structures, des institutions et des procédures publiques.
Or il y a là une occasion de transformation majeure pour les acteurs
publics. Comment leur faire franchir un cap ?
Sans être forcément les seules, trois orientations sont possibles.
Elles concernent successivement les élus, les fonctionnaires et les
acteurs de l’innovation sociale :
Nos élus doivent davantage intégrer l’innovation sociale au sein des grandes politiques publiques.
Aujourd’hui, les politiques d’innovation misent essentiellement sur la
technologie, sans forcément bien prendre en compte son implication
sociale majeure. Alors que l’économie solidaire produit les modèles de
développement parmi les plus robustes et les plus efficaces, elle reste
souvent le parent pauvre des politiques publiques. Or la culture et les
méthodes propres à l’innovation sociale peuvent apporter un profond
renouveau à l’ensemble des politiques et de la puissance publique,
améliorer le service rendu et, pourquoi pas, réconcilier les citoyens
avec leurs gouvernants.
L’administration doit se professionnaliser dans ce domaine.
Il y a dans l’innovation sociale une alternative intéressante à la
culture de l’audit et du contrôle financier qui sclérose les grandes
institutions. Seule l’innovation “dirigée par l’usager” peut faire
tomber durablement les frontières administratives et transformer les
modes d’intervention publique, en renversant la logique de production
de l’aval vers l’amont. Plus axée sur le qualitatif et le “sensible”,
elle mobilise des techniques de pointe, requiert des profils nouveaux
et créatifs, où l’on rencontre aussi bien les pionniers des think-tanks
de Stanford, de Milan ou de Londres, que des fonctionnaires ingénieux :
une nouvelle génération de designers, de sociologues, d’artistes,
d’ingénieurs sociaux et numériques qui cherchent des réponses
pragmatiques aux grands problèmes de société et du quotidien
-éducation, pauvreté, exclusion, délinquance, pollution, isolement …
Tous les acteurs de l’innovation sociale doivent travailler en réseau.
Pour atteindre un seuil critique, il faut que les efforts des
innovateurs de tous types, sociaux et numériques, ceux du secteur
public et des entreprises privées, les anciens et les nouveaux, ceux de
l’urbain et du rural, les chercheurs aussi bien que les praticiens de
terrain et les animateurs associatifs, puissent converger. Pour y
parvenir, il faut faciliter l’échange des pratiques les plus innovantes
dans le cadre de réseaux pluridisciplinaires, en faisant sauter les
barrières obsolètes entre ceux qui conçoivent et ceux qui appliquent.
Il faut aider à la création de lieux, physiques ou virtuels, où les
innovations puissent acquérir une visibilité maximale, leurs résultats
soient validés et que ces méthodes puissent se généraliser. Il faut
redonner à l’expérimentation sociale ses lettres de noblesse pour en
faire un outil neutre de production de connaissance et de modernisation.
L’innovation sociale ne prétend pas être la panacée, mais,
certainement, elle nous redonnera l’envie et l’élan du changement
collectif, seule voie possible pour sortir grandis de cette crise.
Marjorie Jouen est conseillère à Notre Europe, laboratoire de pensée dédié à l’unité Européenne, fondé par Jacques Delors. Stéphane Vincent dirige la 27e Région, laboratoire d’innovation publique soutenu par les Régions.
Auteurs : Marjorie Jouen et Stéphane Vincent
Source : InternetActu
Publié sur : le vide poches
Publié par : Nicolas Marronnier