
NOTE DE LECTURE. Denis Collin, Le cauchemar de Marx – Le capitalisme est-il une histoire sans fin ?, Max Milo, 2009. 29 Mai 2009.
C’est
un ouvrage fort intéressant que nous avons là, écrit de manière simple
et accessible sans pour autant tomber dans le simplisme. Se situant en
dehors des luttes d’école, ne cherchant pas à « sauver Marx » mais à en
tirer le meilleur pour penser la situation actuelle, l’ouvrage de Denis
Collin mérite qu’on s’y attarde et peut utilement servir de matière à
débat pour savoir comment sortir de la situation dans laquelle le
capitalisme nous a mis.
Une première partie nous rappelle les éléments
marquants du capitalisme dans ses formes contemporaines : le royaume de
la marchandise, « TINA There Is No Alternative »,
la révolution permanente générée par le capital etc. Tout cela, Marx
l’avait bien décrit. Denis Collin tire toutefois quelques conclusions à
contre-courant. L’une est que les politiques de relance par la demande
sont profondément inadaptées car les crises du capitalisme ne sont
jamais des crises de surproduction ou de sous-consommation, ni un
problème de financiarisation (p. 98) mais un problème d’excès de
capital (p. 93). La spéculation n’est pas un élément parasitaire (p.
108) mais un rouage essentiel du système, qui explique ses crises. Le
keynésianisme a semblé domestiquer cet élément mais il a en réalité
aussi contribué à le renforcer, la spéculation étant avant tout une
œuvre de l’Etat. Or tout indique que les champs de profit sont en voie
d’épuisement, tout comme les champs de pétrole. Les « avances »
réalisées sur la base d’espoirs de profits à venir ne se réaliseront
probablement jamais. De ce fait, le paradoxe est grand : jamais la fin
du capitalisme n’a semblé aussi proche, jamais Marx n’a semblé aussi
actuel et pertinent – pourtant jamais Marx n’a semblé aussi absent du
débat public. Tel est l’un des problèmes auxquels ce livre voudrait
remédier.
Que Marx soit relativement absent n’est pas sans cause.
C’est l’objet de la seconde partie d’examiner les forces et les
faiblesses du texte de Marx, ainsi que ce qui a pu être accompli en son
nom. Marx s’est égaré dans la prophétie. Il a montré comment le
capitalisme rend les capitalistes superflus mais s’est complètement
fourvoyé dans les conséquences ultimes de cette évolution, ce qui a
conduit un grand nombre de marxistes à soutenir le capitalisme en tant
que stade destiné à être dépassé. Il a admiré la croissance des forces
productives, et n’en a pas pensé les limites. Sa sociologie s’est trop
ancrée dans le prolétariat salarié, pas assez dans d’autres classes
sociales. Sa théorie de l’Etat est à peine ébauchée (p. 198). Le
marxisme, quant à lui, a vite dérivé loin des analyses de Marx. La
social-démocratie s’est comportée en gestionnaire consciencieuse du
mouvement ouvrier. La philosophie de l’histoire a remplacé l’examen
pragmatique des possibles. La conquête du pouvoir de quelques-uns au
nom de tous a tenu lieu de communisme. Et si Lénine pouvait encore être
relativement fidèle à Marx, Staline en sera le fossoyeur. Une analyse
marxiste du régime soviétique ne peut attribuer de tels errements à
quelques hommes ivres de pouvoir ou animés d’un ego démesuré. En fait
ce qui a mené les bolcheviks au pouvoir est une insurrection
anti-impérialiste, la Russie était le pays le moins prêt pour la
révolution. Encore les ouvriers ont-ils joué un rôle réel, à la
différence d’autres révolutions (Cuba, Chine etc.) qui ont été menées,
pour Denis Collin, par des élites petite-bourgeoises, ce qui n’était
pas une régression pour autant. La planification soviétique semble à
l’opposé de ce que devait être une véritable planification soviétique,
et Denis Collin s’appuie ici sur l’ouvrage d’Alec Nove (réf). L’URSS ne
fut ni un capitalisme d’Etat, ni un socialisme ni un communisme : ce
fut une variété originale de tyrannie ancrée dans le pouvoir
bureaucratique ajouter ? dans la bureaucratie supprimer ?, dont la
caractéristique est d’avoir d’autant plus raison que l’on est haut
placé dans la hiérarchie. La production se moquait de la consommation,
ignorait tout des contextes locaux. Sa complexité croissait plus vite
que les gains d’échelle générés par l’organisation. Sa chute fut la
conséquence d’une opposition dialectique entre sommet et base (p. 228).
Alors comment sortir du « cauchemar de Marx » ? D’abord
en se rappelant que le communisme n’est pas une invention de Marx. Ses
valeurs sont aussi vieilles que l’humanité. Le communisme est ici
défini comme « la doctrine du commun » (p. 252). Il a pris bien des
formes différentes : communisme babouviste, chrétien etc. Dans le
communisme, le don est premier. L’échange génère amitié, alliance et
fiançailles. Un nouveau communisme est nécessaire contre les formes
actuelles du capitalisme, qui se rapprochent de ce que le nazisme avait
entrepris : surveillance totale, « génétisme » qui ne considère l’être
humain que comme un code génétique (p. 261) etc. Ce communisme ne doit
pas être utopique, et cela implique de renoncer à trois utopies : un
monde sans Etat et sans conflit, le développement illimité des forces
productives, et le retour au Jardin d’Eden. La première utopie a pris
la forme du dépérissement de l’Etat. Cette utopie est responsable des
errements tyranniques des marxistes. D’un autre côté l’étatisme est un
danger. La démocratie des conseils, souvent prônée par les marxistes,
n’est pas la solution car elle génère la dictature d’une minorité qui
fait passer son avis pour l’exercice de la démocratie directe. Si on
élimine les « formes hiérarchiques » (p. 272) et la démocratie directe,
il ne reste plus que le républicanisme –que Denis Collin veut
« radical », en se promettant d’y revenir plus tard (dans un autre
ouvrage ?), ce qu’il ne fera pas. La seconde utopie pose la question de
savoir quand arrêter le développement des forces productives, et donc
définir « l’abondance ». Evoquant Marshall Sahlins et Serge Latouche,
il reconnaît que les questions posées par ces auteurs sont bonnes et
que les marxistes ne s’y sont guère intéressés. Mais Denis Collin
critique aussitôt cette piste : la décroissance soutenable impose « un
ethos communautaire fort » (p. 280), Latouche fait preuve d’un
pessimisme anthropologique peu compatible avec le progrès moral, et il
en appelle à la religion, à une nouvelle transcendance, comme Jonas
(ibid.). La troisième utopie, le jardin d’Eden ajouter ?, doit aussi
être écartée : le travail est anthropologique, et la liberté réside
dans le fait de ne pas travailler sous la dépendance d’un autre homme
plutôt que dans le fait de ne pas travailler du tout ajouter ?. Il
existe des solutions concrètes : les GAEC (groupement agricole
d’exploitation en commun) ou les SCOP comme Mondragon. Le communisme
n’est pas holiste. La contradiction individu / société est
indépassable. Denis Collin finit par quelques considérations plus
floues sur les forces en présence capables de porter une telle
alternative.
Le livre est intéressant, disions-nous, parce qu’il
établit un certain nombre de points qui devraient aujourd’hui faire
consensus, notamment en termes de bilan du marxisme. Oui, Marx a été
fasciné par les forces productives ; oui, le capitalisme actuel est
proche de sa fin et de ce fait l’urgent n’est pas de se proclamer
« anticapitaliste » mais de trouver une alternative qui ne dégénère pas
en tyrannie ; oui, certaines interprétations du marxisme sont porteuses
de tyrannie et cela ne doit rien à la subjectivité de quelques
personnes isolées, qu’elles se nomment Staline ou pas. Le fait de
reconnaître ces points est un préalable à une discussion
non-idéologique sur de nouvelles formes d’émancipation.
Par contre deux points manquent d’élaboration. Les
critiques à l’encontre de Serge Latouche d’abord sont assez étonnantes.
L’auteur n’a jamais fait l’apologie de la religion ni de la
transcendance. Il s’est certes montré réservé à l’égard des Lumières,
mais le marxisme et Denis Collin lui-même dans cet ouvrage le sont
aussi. « L’ethos communautaire » attribué à la décroissance soutenable
n’est pas étayé, ni mis en regard de la « doctrine du commun » dont
parle Denis Collin – car après tout, où est exactement la différence
entre les deux ? Dans l’hypothèse où la propriété individuelle du
travailleur serait rétablie, comment se construirait la médiation
proprement politique, constitutive du républicanisme défendu par
Collin ? Quel serait son fondement ? Peut-on parler de « république »
sans parler de « communauté » ? Quel genre de « commun » serait mis en
jeu, s’il n’y a pas de « communauté » ? Ces questions restent en
suspens. Le fossé creusé par Denis Collin vis-à-vis de la
« décroissance soutenable » n’est peut-être pas infranchissable, ou en
tout cas peut-être pas pour les raisons qui sont avancées.
Car la critique du développement illimité des forces
productives de son côté reste largement hors-sol : les forces
politiques qui tentent de les limiter – les écologistes – ne sont même
pas mentionnées. Et si l’auteur dénonce la publicité, il semble
lui-même tomber dans ses rets, louant ici la conquête de l’espace et là
la gratuité octroyée par Internet (p. 274) ! Enfin, comment ne pas voir
qu’Internet a une structure matérielle très consommatrice (autant de
gaz à effet de serre, dans le monde, que l’aviation !), bien loin de la
« gratuité » qui n’est vantée que par la publicité et ses admirateurs
crédules ? Cette naïveté à l’égard de « la technique », dont la
puissance ne serait pas en cause mais seulement son usage, est du reste
assez caractéristique de Marx et des marxistes, c’est pour cette raison
qu’ils sont souvent considérés comme « productivistes » . A l’encontre
de cela, un André Gorz ou un Ivan Illich ont montré que les choix
techniques de forte puissance sont intrinsèquement inégalitaires.
Source : Publié par Mouvements, le 11 juin 2009. http://www.mouvements.info/La-question-du-commun-avant-avec.htm
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PAR : nicolas marronnier
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