
Madame le Ministre,
si c’est ainsi
que vous commencez votre travail, je suis très inquiet. Cette phrase
montre deux faits: premièrement, vous ne semblez pas comprendre ce
qu’est la nouvelle économie portée par Internet, alors que vous êtes en
charge de la prospective; et deuxièmement, vous ne semblez pas voir où
sont les vrais problèmes du numérique.
Parlons du premier fait. Sans faire un cours d’économie, je dirais
simplement la chose suivante: l’économie de l’immatériel est une
économie d’abondance, alors que l’économie matérielle est une économie
de rareté. Lorsqu’on partage un bien matériel, il se divise. Lorsqu’on
partage un bien immatériel, il se multiplie. Les règles économiques qui
gèrent la vente de pizza ne sont absolument pas les mêmes que les
règles économiques qui gèrent la vente de la musique. J’ai déjà
expliqué cela dans un ouvrage écrit en 2004 et paru aux éditions du Pommier.
Internet porte les valeurs de l’économie de l’abondance. Or, tout le
jeu actuel de l’industrie du contenu (musique comme film) est de nier
ce fait, et de retourner le plus possible à une économie de rareté, par
exemple avec les DRM (stupidité qui est actuellement en train d’être
abandonnée…) ou bien en infligeant de lourdes amendes à des « pirates »
qui ont mis à disposition du contenu.
Madame le Ministre, avez-vous lu l’excellente analyse de Roberto di Cosmo
en 2006, qui montrait que le modèle économique nouveau de l’Internet
apportait plus d’argent au créateur que le modèle ancien ? Avez-vous
regardé des sites comme Sellaband,
qui sont des modèles en peer to peer où des passionnés investissent
dans des créateurs pour leur permettre de lancer un CD ? Avez-vous lu cet article paru en 2002 dans le New York Times,
écrit par Kevin Kelly, un des deux fondateurs de Wired magazine, qui
montrait déjà le déplacement de la valeur dans l’industrie de la
musique ?
Madame le Ministre, savez-vous ce qui va se passer si l’on continue
de protéger les retardataires qui refusent de comprendre que le monde
change ? C’est très simple, l’industrie du contenu va mourir, parce que
toute protection empêche une industrie de se transformer en innovant.
Et comment va-t-elle mourir ? Par assèchement de son catalogue.
L’objectif numéro un d’un créateur moderne est de se faire connaître,
et justement Internet le permet, en favorisant la transmission rapide
de sa musique. Une excellente étude de 2003
publiée par la Sloan School a montré qu’Internet, au travers de l’effet
« longue traine » (effet pas toujours très bien compris) avait apporté 500 millions de dollars supplémentaires à l’industrie du livre,
uniquement en vendant des livres peu connus. Si elle ne pense pas la
modernité, l’industrie traditionnelle du contenu va peu à peu réduire
son catalogue à un mélange d’artistes vieillissants et de « Star
Academy ». Ce n’est pas très palpitant…
Maintenant, deuxième point : quels sont les vrais problèmes ? Madame
le Ministre, je ne me permettrai en aucun cas de faire votre métier, je
me contenterai de trois simples réflexions.
En premier lieu, je citerais le problème du très haut débit. L’ADSL
est une absurdité, pas seulement à cause de son débit ridicule, mais à
cause de son « A ». Peu de personnes en connaissent sa signification :
« Asymétrique ». car l’ADSL a été inventé par des ingénieurs des
Télécommunications, qui ont raisonné en terme de vidéo à la demande.
Ils ont donc privilégié le download, au prix d’un upload à très bas
débit (entre 512kb/s et 1Mb/s). Ils ont raisonné culturellement en
pensant un monde où les relations sont verticales; ce monde ancien que,
justement, l’industrie du contenu veut maintenir.
Seulement, Madame le Ministre, Internet n’est pas la télévision,
Internet est une technologie de pair à pair, horizontale. A partir de
là, le citoyen veut uploader son contenu, que ce soit sur youtube,
dailymotion, flickr, ou bien tout simplement pour envoyer ses photos à
ses amis, à sa famille. Pourquoi diantre obérer ainsi l’upload ? Il
faut donc du très haut débit symétrique. La solution existe, elle a
déjà été déployée ailleurs, la fibre optique. D’autres hommes
politiques ont eu le courage de construire des routes, des autoroutes,
des chemins de fer. Il faut avoir le courage aujourd’hui de construire
un véritable réseau en fibre optique (oserais-je rappeler ce qui est
arrivé à Tours, à Orléans, qui par conformisme ont refusé le train???),
et là se situe fondamentalement le rôle de l’état.
Continuons sur les grands chantiers: la mobilité est en retard en
terme d’usage. Pourquoi? Essentiellement le modèle économique
outrancier des opérateurs de télécommunication (savez-vous que, dès que
vous surfez en dehors de la France, il vous est facturé entre 5 et 10 euros par mega-octet transféré
??? Ce n’est pas comme ça que nous aiderons nos PME à aller vendre à
l’étranger…). Un quatrième opérateur, qui viendrait avec une culture
Internet, des modèles économiques en pair à pair, qui aiderait par
exemple à installer des Femtocells partout, cela ferait un grand bien,
cela permettrait véritablement de donner les conditions d’un nouvel
élan économique, au travers de l’explosion des usages en mobilité.
Autre exemple, il faut moderniser l’image des métiers de l’Internet. La DUI a lancé le portail des métiers de l’Internet,
dont la deuxième version va sortir prochainement. Il est surprenant de
constater que, pour beaucoup de personnes, travailler dans l’Internet
signifie être assimilé à un Geek, un « nolife », bref, à quelqu’un de
perdu. C’est du gâchis. Lorsque j’ai créé en 2000 ma première start-up,
et je me suis aperçu, en allant ouvrir la filiale Américaine dans la
Silicon Valley, que la technologie française était extraordinairement
considérée. Il ne faudrait pas que nos compétences naturelles se
perdent, il faut favoriser l’enseignement de l’Internet dans
l’enseignement supérieur, dans ses dimensions technologiques,
économiques, sociales, comme je l’ai déjà exprimé ici.
Madame le Ministre, vous savez que ce n’est pas par la consommation
que nous nous sortirons de la crise, mais par la production
intelligente et la valorisation de tous nos savoirs-faire. La première
mission que les Français attendent de votre administration ne
serait-elle pas de faire en sorte, par tous les moyens, qu’Internet
soit le vecteur de transformation, et qu’il aide les entreprises à
innover, et les citoyens à participer? Si la complexité chère à
l’administration de notre pays vous empêche d’en avoir tous les moyens,
auriez-vous au moins la rage de convaincre les autres administrations
qu’il faut travailler autrement? Car, Madame le Ministre, Internet
n’est plus le monde du « OU », mais celui du « ET ».
Le monde évolue et devient un lieu d’échange en pair à pair. Aux
modèles économiques verticaux classiques de l’industrie, Internet
supporte la transformation vers un modèle horizontal, de place de
marché. C’est là que se situe le rôle principal de l’État: faire en
sorte que cette place de marché soit porteuse de nombreuses
interactions. L’État se doit de fluidifier les échanges, votre
administration se doit d’y contribuer, en apportant aux entreprises et
aux citoyens la meilleure infrastructure au meilleur coût. Les services
y viendront par eux-même.
Madame le Ministre, laissons-donc les vieux modèles économiques
mourir de leur belle mort, et construisons tous le futur, un futur qui
sera supporté par un réseau à très haut débit symétrique.
SOURCE : amaltropie
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PAR : jérémy dumont
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