Pour les quelques millions de crevards dans mon genre, passées les interviews de Nothomb et Beigbeider à la télé, la rentrée littéraire débute concrètement avec la livraison gratuite dans leur boîte à lettres du catalogue automnal de la célèbre enseigne d'inspiration totalitaire : l'hypermarché Intersection. crédits : banksy
Sociologique instructif, tentant de cibler les aspirations populaires, agrémenté debonasses en slibard, le catalogue Intersection est un bon indicateur de la santé financière de son audience : Le français.
Son décryptage est une tradition de votre rédacteur.
A l'heure d'hiver, à l'instar d'un bon nombre d’enseignes actuellement à la ramasse,Intersection fait péter la grosse promo en couverture.
« Du Mardi 3 au 11 novembre : 50% d’économies sur plus de 230 produits »
Le ton est donné. Lecteur ne pinaillons pas, ici on brade. On te le martèle à longueur de spots : La crise est finie, t'as compris ! Tu vas pouvoir renouer avec les bonnes habitudes d’il y a trois ans : Te gaver en attendant l'élection du président.
Vieille recette commerciale : L’hyper-marchand t'amadoue dès la première page au rayon « produits du quotidien » avec des blocs de foie gras (à 9 euros les 3) qui feront de ton frichti du bureau l’équivalent des dionysiaques banquets d'Albert de Monaco.
Fatalement flatté, correctement calé sur tes gogues, tu entames confiant les 80 pages du kaléidoscope commercial de l’opulence capitaliste à moitié prix.
En guise de reprise et d'optimisme, tu seras d’emblée surpris par l'austérité graphique de cette édition tranchant avec l’ostentation jubilatoire des années précédentes ainsi que la quasi absence de mannequins : Si le positif est de retour, les bonasses en slip se sont barrées. Là aussi, compression de personnel.
Première tendance : Le retour en force de l'alimentaire.
Ton marchand a capté : Cette année tu n’as pas envie de dépenser. P’têt bien même que t’es fauché. En avant donc les boites de conserves, les pack de poulets cellophanés et les chips aux phosphates parcimonieusement relevés de quelques notes standing : Moules de Hollande et Beaumanoir en cubi.
Ce n’est qu’à la page 36 qu’une brosse à dent pointe timidement le bout de ses poils et encore, accompagnée de son concours "230 smartbox -bien être- à gagner" à base de SMS surtaxés.
Deuxième tendance : l’invasion des produits "mini".
Après la taille et la paye des salariés, faut-il y voir l'influence d’un monarque omnipotent dessinant progressivement un monde à ses dimensions ? Pas encore. Il s'agit d'un basique de l'arnaque : Baisser de 20% le prix d’un produit dont la taille diminue de 40 et donc, te le faire payer 20% plus cher en te laissant penser que tu fais une affaire.
Sur ce principe, se succèdent mini cornichons, mini-briquets, mini dosettes pour nano cafetières, compact cakes, mini Babybel au Cheddar édition limitée (si, si Albert a le même) et le top du top, la schizophrénie occidentale faite dessert : le mini magnum (qui est à la bonne grosse glace qui tâche ce que la trottinette est au 4X4).
Troisième tendance : La suprématie du cocon.
Juge plutôt : 8 pages de linge de maison à base de plaid fantaisie et de coussin prune, un choix abondant de charentaises à faire triquer tout spectateur de Derrick, une parure Disney Princesse pour Manon, une couette Playboy pour son papa et une page complète de faits-tout et de casseroles pour que maman leur mitonne de bons petits plats après ses huit heures de boulot et ses trois heures de bouchon ou ces dimanches où elle ne bosse pas (à l’hyper, parce que rien ne se perd).
Le message est passé : Chérie cette année pour les vacances, on s’installe confort à la maison et on se craque le bide avec mini-asperges et chips en plastiques dans nos assiettes violine grisée, charentaises sur la table basse, regards scotchés sur le combat des régions d'Un diner presque parfait : Épanouis quoi.
Quatrième tendance : Une bonne murge facilite le retour du positif.
Mettons de côté la page 65 et sa publicité géante pour la carte Pousse et ses 16 lignes de CGV où l'on croise au petit bonheur de sa bonne vue les termes "liberté","cotisation annuelle", "révisable" et "19,99%", le point fort du catalogue reste sadouble page centrale dédiée à la défonce.
Tu pensais la publicité pour l’alcool interdite en France, comme moi tu resteras dubitatif devant cette plaquette promotionnelle pour alcools forts gratuitement distribuée aux domiciles de millions de français. Tout y passe : Bouteilles deskaïe, tonneaux de binouze, Smirnoff, Champagne De Rothchild (Prince Albert j’te dis) et clairette de die. Comme quoi, même en matière de prospectus, ça aide d'être du bon côté du lobby.
A ce stade-ci de la lecture, il est probable que, tel ton rédacteur depuis ses cabinets, tu hurleras les deux mains vers le ciel ton désespoir au créateur : « - Bon dieu, où est passée la magie des catalogues de 2005 ? (tu sais quand notre pays était promis à un si bel avenir à partir de mai 2007)" Age d'or de l'achat compulsif, les catalogues d'Intersection foisonnaient de tentations manufacturées, de voyages à Ibiza, de colliers en or et autres consoles de jeu. La nourriture, cette affaire de gueux, était réduite à la portion congrue en fin d’édition. Triste époque qui aujourd'hui nous parait heureuse, quand reviendras-tu ?
L'ambiance Brejnevienne n'est même pas relevée par la traditionnelle page joncaille avec bracelets et collier de perlouzes à 899 euros torchée sans conviction par une maquettiste neurasthénique. Et que dire d'une page loisirs se résumant à une Wii fit+ et deux boites de crayons de couleur ?
Sinistre, cette cuvée est décousue comme une grille des programmes de TF1, abusant de ses fins de série, en panne d'inspiration, sans orientation claire. Preuve de cette perte des repères à la page 61 : Passées 4 pages à la gloire du bonheur chez soi, on y découvre une sélection de valises et de sacs de voyage. C'est quoi ce bazar à la rédaction ?
Dans ce naufrage rédactionnel, le lecteur attentif aura noté une constante, une notice revenant systématiquement en bas de page répondant au petit "(1)" à côté des prix : « Le prix indiqué correspond au prix auquel vous revient le produit, en tenant compte du montant de l’avantage fidélité crédité sur votre compte fidélité et utilisable des la réception de votre chèque fidélité. » [1]
Ah oui... Au cas où mon descriptif t’aurait donné une furieuse envie de te procurer les 230 produits demi tarif à l'Intersection d'à côté, pas la peine de faire une scène à la caissière en tiers temps te tendant une douloureuse au double du prix prévu :Les 230 prix répertoriés sur le catalogue sont tous mensongers. On te les remboursera plus tard, après inscription au fameux programme fidélité via la remise d’un chèque à dépenser chez ton Intersection dans un laps de temps délimité. Et si j’ai bien décrypté les alinéas compactés en fin d'édition, on te remboursera un maximum de 18 articles, soit moins de 10% de l'offre du catalogue.
A défaut de te faire croire au retour des jours heureux, avec sa carte à 19.99% et ses pipeaux promotions pour te faire dépenser maison, Intersection te piège toujours au tournant.
[1] Quand les prix ne sont pas accompagnés d’un petit "(1)", ils sont ornés d’un petit "(2)" qui, malgré ma bonne loupe, reste impossible à localiser au fil des 80 pages.
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SUR : Le Vide Poches
PAR : françois pérennès
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