Les opérations de sensibilisation à une meilleure consommation se multiplient (Semaine du développement durable, Assises nationales du développement durable, Journée de la Terre…) et nous semblons de plus en plus acquis à la cause qu'il faut faire durer les ressources de la planète. Cela se traduit-il dans les pratiques des Français au quotidien ?
Nicolas Herpin : Au-delà du tri sélectif des ordures, que les ménages respectent assez largement, leur comportement vertueux ne va pas beaucoup plus loin. Les évolutions récentes de la consommation ne sont globalement pas en phase avec la réforme écologique. Prenons l'exemple de l'alimentation : les produits « bio » commercialisés à des prix relativement plus élevés que les autres peinent à s'installer dans le panier de la ménagère. Des produits industriels trop sucrés, trop gras et dont la valeur nutritionnelle est faible mais qui ne demandent aucune préparation constituent l'essentiel de l'alimentation de nombreux jeunes.
Dans l'habillement, rien n'indique non plus un retour du goût vers des articles durables voire recyclables. Au contraire, la tendance est de faire des modes s'adressant à toutes les strates de la société, donc à petits prix. C'est ce que les anglo-saxons appellent des « fast clothes », dont la caractéristique essentielle est d'être « tape-à-l'œil » et de ne pas résister au-delà du premier lavage.
Comment expliquer ces tendances ?
N.H. : C'est d'abord l'information du consommateur qui est déficiente. Reprenons le cas des vêtements. Un rapport de l'Université de Cambridge compare l'empreinte carbone des tissus, en particulier celle du coton et celle des fibres synthétiques. Les résultats remettent en question l'usage du coton, généralement considéré comme « durable ». Si sa fabrication est assez faible en énergie, son coût d'entretien est très élevé (lavage à haute température, emploi de détergents très polluants pour l'eau, repassage, etc.) par rapport à la viscose. Il y a ensuite la contrainte budgétaire, particulièrement serrée pour les milieux modestes. Les produits bio coûtent plus cher. Il y a aussi et surtout le mode de vie qui crée des besoins. Habiter une maison dans la périphérie d'une grande agglomération oblige à avoir deux voitures si les deux membres du couple sont actifs. Enfin, une fois que l'individu s'est habitué à vivre d'une certaine façon, il peut trouver beaucoup de bonnes raisons de ne pas changer son mode de vie. En se passant de voiture, une personne estimera qu'elle contribue généreusement au développement durable… mais, à côté de cela, elle fait deux longs trajets touristiques par avion et par an, engendrant autant de gaz à effet de serre qu'une voiture sur toute l'année. Face à ces tendances lourdes, les convictions écologiques restent à l'état de bonnes intentions.
Par ailleurs, la crise financière n'incite pas les consommateurs à modifier leurs comportements dans un sens écolo. Le parc automobile, en particulier, en fait les frais : avant la crise, le renouvellement de ce parc laissait apparaître un intérêt pour les voitures hybrides. Mais avec la baisse des prix des carburants, les bonnes résolutions semblent oubliées. Même les voitures hybrides sont en fort recul, alors que leurs constructeurs n'arrivaient pas à satisfaire la demande au premier semestre 2008.
Mais à votre avis, existe-t-il une déception à l'égard de la consommation de masse ?
N.H. : Oui, effectivement, mais la contestation de la société de consommation n'est pas nouvelle. Rappelez-vous le choc pétrolier en 1973, l'absurdité économique des encombrements de la circulation et la dénonciation du gaspillage des ressources énergétiques. Aujourd'hui, ce désaveu dispose de deux atouts pour acquérir une puissance et une durabilité inédites : il est peu marqué politiquement, et le réchauffement climatique rend chaque jour plus urgent de consommer autrement. Ailleurs, les idées bougent aussi. D'autres pays comme la Chine et l'Inde, qui sont des nouveaux venus à la société de consommation, prennent des mesures pour éviter les erreurs de parcours… si difficiles à corriger maintenant dans les pays occidentaux les plus riches.
Y a-t-il un profil des Français prêts à consommer autrement ?
N.H. : Les mieux disposés sont les jeunes, et notamment ceux qui ont fait ou font des études longues. Mieux que les personnes plus âgées, ils conçoivent les nouvelles opportunités qu'offre la période actuelle dans l'organisation matérielle de leur vie privée. Dans les emplois aussi, et notamment dans le domaine des énergies renouvelables, les jeunes apportent de nouvelles qualifications et de nouvelles idées pour produire autrement.
Propos recueillis par Patricia Chairopoulos
Notes :
1. Auteur avec Daniel Verger de l'ouvrage Consommation et modes de vie en France, une approche économique et sociologique sur un demi-siècle, collection « Grands repères », éd. La Découverte, 2008
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Nicolas Herpin,
Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), Paris
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PAR: alexis mouthon
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