Xavier de la Porte, producteur de l’émission Place de la Toile sur France Culture, réalise chaque semaine une intéressante lecture d’un article de l’actualité dans le cadre de son émission. Désormais, vous la retrouverez toutes les semaines aussi sur InternetActu.net.
Le mensuel américain Wired vient de livrer un article qui fait la couverture du numéro de mai titré :“Le pouvoir geek : comment la culture hacker a conquis le monde”. Le dossier consiste en un long papier de Steven Levy dont l’angle est alléchant. Il y a 25 ans, Steven Levy publiait un livre qui a fait date : Hackers, Heroes of the Computer Revolution (résumé en anglais sur Wikipédia), livre pour lequel il avait interrogé quelques-uns des génies de l’informatique de l’époque (dont Bill Gates, Steve Wozniak ou Richard Stallman). 25 ans plus tard, Steven Levy décide de les revoir, de les inter! roger à nouveau, de comprendre ce qui s’est passé entre temps, de saisir ce qui reste de l’idéal hacker et comment il s’est prolongé, non sans mutation, dans la figure très contemporaine et très valorisée du geek de génie, dont Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook, est désormais la figure emblématique.
L’idéal hacker
Je fais une parenthèse terminologique. Si, en français, le terme “hacker” désigne essentiellement un “pirate informatique”, ce n’est pas son sens originel en américain. “Hacker” signifie originellement “bidouilleur”, “bricoleur de code” et son glissement vers le sens de “pirate informatique” est un problème que Steven Levy ne manque pas de prendre en compte dans son long article. Mais c’est dans son premier sens intraduisible de “programmeur bidouilleur” qu’il faut l’entendre dans l’article de Levy, qui définit lui-même les hackers comme ces “brillants programmeurs qui ont découvert des mondes de possibles à l’intérieur des délimitations codées d’un ordinateur”. Ce que Steven Levy avait pressenti &! agrave; l’époque, c’était que ces gens seraient les acteurs centraux de la révolution numérique qui commençait à avoir lieu. Ce qu’il avait découvert à l’époque dans l’esprit hacker, c’était notamment “un joyeux mépris pour tout ce que les autres considéraient comme impossible”. Mais, il y avait derrière cela, dit Lévy, “quelque chose de plus merveilleux encore [...], tous les vrais hackers partageaient un ensemble de valeurs qui sont devenues le credo de l’âge informatique”. Levy rappelle quelques-unes de ces valeurs : “On peut créer de l’art et de la beauté sur un ordinateur”. Ou “les hackers doivent être jugés sur leur aptitude à hacker, pas sur les faux critères du diplôme, de l&rsqu! o;âge, de la race ou de la position sociale”.! Un autr e axiome faisait des ordinateurs des instruments insurrectionnels, qui garantissaient du pouvoir à tout individu doté d’un clavier et d’une intelligence suffisante. Et, puis, il y avait un dernier postulat, que Levy avait considéré alors comme la clé de la culture hacker, et qui est devenu le plus controversé : “Toute information doit être libre et gratuite”.
Levy rappelle à quel point ces préceptes ont inspiré des générations de programmeurs, d’intellectuels et d’entrepreneurs et à quel point aussi toute personne qui utilise un ordinateur en profite, “l’internet lui-même existe grâce aux idéaux hackers”, résume-t-il. Mais à l’époque déjà, Levy s’inquiétait de la menace de la commercialisation dont il craignait qu’elle ne corrompe ces idéaux.“Le fait que l’éthique hacker se répande aussi largement, écrit Levy et se mêle à l’argent de tant de manières laissait présager que le mouvement, comme toute sous-culture qui entre dans le mainstream, allait changer du tout au tout”. Et c’est cela qu’il est allé vérifier,! en retournant voir les vieux hackers, ceux qu’il avait interrogés il y a 25 ans, mais aussi les plus jeunes.
Pour ça, il identifie trois grandes catégories : les “titans”, ceux qui ont réussi, qui sont aujourd’hui riches, puissants et célèbres, qui sont parvenus à capitaliser leurs aptitudes en faisant plus ou moins de concessions. Les “idéalistes”, qui n’ont pas trahi l’idéal, mais d’une manière ou d’une autre, en souffrent. Et la “nouvelle génération”, qui a pleinement profité des acquis hackers et les transforme, sans aucun scrupule, en or.
Comment le code façonne l’humanité
Parmi les Titans, il y a évidemment Bill Gates. Bill Gates, en un sens, c’est l’emblème du hacker. Programmeur de génie, comme le rappelle Lévy qui dit avec admiration : “sa première version de Basic, écrite avec une telle efficacité qu’elle pouvait fonctionner sur un ordinateur de 4 kilos bits de mémoire, était une merveille.” Bill Gates, c’est le type qui dit, encore aujourd’hui : “Si vous voulez engager un ingénieur, regardez les codes qu’il a écrits. Ca suffit. S’il n’a pas écrit beaucoup de code, ne l’engagez pas.” Mais Bill Gates était-il encore un hacker au début des années 80 ? Pas vraiment. D’abord, comme il l’explique à Levy, c’est entre 13 et 16 ans qu’il avait vé! cu le plus intensément la programmation. Une fois à Harvard, il ne pouvait plus passer sa journée à programmer, mais, dit-il “à 17 ans, mon cerveau logiciel était formé”. Et puis, très vite, Bill Gates a transgressé une règle fondamentale de l’éthique hacker. Il a toujours considéré que le logiciel relevait de la propriété intellectuelle, qu’il était interdit de le copier. Ca a fait sa fortune. Ca l’a aussi distingué très vite, dès le milieu des années 70, de l’éthique hacker pure.
Autre figure intéressante, et moins connue, Andy Hertzfeld. Au début des années 80, il était employé par Apple où il a designé le système d’exploitation du Macintosh. Aujourd’hui, il travaille pour Google. Et le passage ne s’est pas fait sans difficulté. Car, d’un côté, Google est la Mecque des hackers, en mettant en avant la passion et soutenant l’open source, deux impératifs hackers. Mais d’un autre côté, Google est une énorme entreprise avec des standards et des processus suffisamment rigides pour rendre l’expérience moins amusante. D’ailleurs, Hertzfeld le dit “je ne peux pas exercer ma créativité d’une manière qui m’apporte de la joie, ce qui est fondamental pour moi”. En même temps, et c’est le cal! cul qu’il fait, il a gagné en passant chez Google la possibilité de laisser une empreinte sur le monde. Comme l’écrit Lévy : “Quelqu’un chez Google peut affecter la vie de millions de gens avec quelques lignes de codes”. Et pour Hertzfeld, ce pouvoir l’emporte sur la joie de la créativité : “Google, l’iphone, tout ça remue la culture plus que les Beatles ne l’avaient fait dans les années 60. Ca façonne l’humanité”, explique-t-il à Steven Levy.
Des valeurs à coeur (hacker)
Chez les idéalistes, le discours n’est pas le même, évidemment. Pour Richard Greenblatt, qui était en MIT dans les années 80, et qui est aujourd’hui chercheur indépendant, les intérêts économiques se sont introduits dans une culture qui était fondée sur les idéaux d’ouverture et de créativité. Il explique à Levy : “Il y a aujourd’hui une dynamique qui tend à formater les pages web pour que les gens cliquent le plus possible sur les publicités. Ceux qui l’emportent, ajoute-t-il, sont ceux qui s’arrangent pour vous rendre les choses le moins efficaces possible”. Et quand il regarde l’état du hacking contemporain, il voit un monde déchu. Le mot lui-même a perdu son sens : “Ils nous ont volé notre mot, dit-il ! à Steven Levy. Il a irrémédiablement disparu.” Le discours de Richard Stallmann n’est pas très différent. Au MIT au début des années 80, il est devenu un des papes du logiciel libre, une des personnalités les plus écoutées dans ce domaine. Mais ça n’évite pas l’amertume. Il paie aujourd’hui son radicalisme par un sentiment d’isolement qui le différencie grandement de la figure du geek telle qu’on la valorise aujourd’hui.
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