Depuis
le début de l’année 2010, le nombre de réseaux sociaux d’entreprise se
démultiplie, en suivant l’explosion des réseaux sociaux publics.
Pourtant, il serait réducteur de penser qu’il s’agit pour l’entreprise
de s’adapter à un effet de mode : c’est bien d’un acte stratégique
majeur qu’il s’agit.
Quand on y regarde de plus près, les entreprises construisent ces réseaux sociaux en empruntant des chemins différents : en partant de l’achat d’une plateforme (Sharepoint semble bien placé en ce moment), en d’autres cas en développant des pilotes communautaires existants dans l’entreprise, ou en développant des réseaux sociaux incomplets mis en place par une direction ou une filiale.
Il me semble que, au delà de la méthodologie employée (je pencherai pour un mode beta itératif), c’est bien la nature de ce projet de construction d’un réseau social qui doit être mise en avant : nous sommes en plein dans l’innovation managériale. Cette innovation a deux dimensions: l’une porte sur la stratégie IT, l’autre sur l’organisation même de l’entreprise.
Risquer ou dépérir ?
En termes de problématique IT, j’ai écrit par ailleurs qu’il était temps pour l’entreprise d’arrêter “d’acheter des logiciels” et de reprendre “son rôle d’éclaireur et d’architecte”. Je veux dire par là que, en termes de mise en place d’un environnement collaboratif 2.0 (dont le réseau social fait partie), les anciens critères de choix d’une solution informatique sont obsolètes. Le ROI n’est plus le premier critère et l’adaptation fonctionnelle aux besoins actuels ou visibles de l’entreprise non plus.
Le web 2.0 s’est enrichi sur la base d’une base installée, d’une généralisation de la culture technologique ou web, d’une démultiplication des compétences d’architecture et développement informatique, et d’une liberté de création. Le résultat de cette alchimie est sous nos yeux.
Évidemment, il est difficile pour l’entreprise, soumise malgré tout au court terme, de se donner le temps de faire émerger cet écosystème en son sein (néanmoins, lisez la conclusion de la deuxième partie de ce billet). Mais sans doute doit-elle s’en inspirer, et dans ce cas, “acheter un réseau social”, me semble un anathème et une faute de management majeure.
Il faut donc risquer, accepter d’investir dans une multitude d’outils (dont un outil de réseau social, bien sûr), libérer les informaticiens (!) et les laisser porter des projets conçus avec leur vision technologique de l’entreprise, former, former, former les collaborateurs aux nouvelles technologies sociales … sans très bien savoir où l’on va. Pourquoi ? Parce qu’il faut semer pour obtenir le terreau qui permettra la transformation majeure de l’entreprise devant laquelle nous nous trouvons.
Réinventer l’organisation ?
Regardons en dehors de l’entreprise : les réseaux sociaux se démultiplient, autour des différentes dimensions de la vie sociale (amicale pour Facebook, professionnelle pour LinkedIn, nostalgique pour Copainsdavant, communautaire pour Xing, musicale pour Blipfm, artistique pour Woices, itinérante pour Foursquare, …). Au delà des approches nécessairement réductrices sur la marque personnelle, les réseaux sociaux rendent visibles différentes dimensions de notre existence sociale.
Dans leur approche du réseau social, les entreprises s’attaquent de fait aux différentes dimensions professionnelles de leurs collaborateurs. La construction du réseau social concrétise le recentrage des entreprises sur leurs talents (people-centered corporations) et, au delà, les force à remettre en cause le vieil OS sur lequel elles ont fonctionné depuis le début du XXème siècle : une organisation du travail fondée sur la division des tâches (taylorisme), l’organisation bureaucratique capable de la gérer, dans un objectif d’efficacité permanente, et surtout d’efficacité prévisible d’un point de vue comptable.
Le réseau social va permettre une nouvelle organisation du travail, qui ne sera plus fondée sur une segmentation à priori de tâches toujours plus élémentaires, mais sur une complémentarité en temps réel d’activités à forte valeur ajoutée. C’est le sens de l’économie du savoir, nous le savons depuis longtemps: le réseau social permet la réalisation de ce vieux rêve, le dépassement de l’organisation taylorienne pour les activités non transactionnelles ou administratives.
Des activités du savoir que l’on souhaitera efficaces, bien sûr, mais surtout créatives et productives. Le réseau social, puissamment aidé par les nouveaux environnements de travail collaboratifs, permet de sortir d’un paradigme managérial vieux d’un siècle : l’efficacité n’est plus l’objectif mais le présupposé; l’innovation n’est plus l’élément déclencheur de l’élan entrepreneurial, mais son objectif permanent.
Les enjeux de la construction d’un réseau social dépassent donc largement les problématiques souvent citées de l’intégration de la génération Y, de la réputation numérique, de l’amélioration de la collaboration ou du développement de nouveaux modes de travail. C’est tout un paradigme managérial qui change sous nos yeux et la construction du réseau social est l’opportunité concrète de l’entreprise de s’approprier le nouveau paradigme.
source = http://www.talent-club.net/talent-club/reseau-innovation-manageriale/