Comment naissent les modes et qui les lance ? Il y a huit ans, la
sociologue Christine Woesler de Panafieu et le designer Jens Pattberg
flirtaient avec une idée de collaboration.
Aujourd’hui,
leurs agences respectives, le cabinet français de conseil en marketing
et l' agence allemande de design, sont devenues des partenaires
stratégiques.
Un système de sondage concocté par leurs soins, le
"cutting edges detector" (détecteur de tendances), cible les habitants
des grandes métropoles. Ainsi, Panafieu et Pattberg peuvent identifier
les tendances émergentes qui intéressent leur clientèle de l’industrie
automobile et de l’électronique grand public. En voici un petit aperçu
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Les « cutting edgers », inspirateurs de tendances
« Nous traversons une phase de bouleversements. Nous ne savons pas ce qui nous attend. Pour mieux anticiper les changements, nous interrogeons les gens qui, dans les métropoles d’Asie, d’Amérique du nord et d’Europe, vivent l’avenir aujourd’hui déjà. Nous les appelons ‘ cutting edgers ’.
Chaque année, nous sondons 800 personnes via un panel Internet et 100 personnes dans le cadre d’interviews de deux heures : nous leur posons des questions sur leur vie, leurs désirs, leurs projets, leurs objectifs et sur certains domaines comme le design, l’alimentation, les technologies de l’information, les produits de beauté. » (CWdP)
Te sens-tu en sécurité ? Quel est ton objet préféré ?
« Nous interrogeons les ‘ cutting edgers ’ sur la famille, le rôle des sexes, le niveau de sécurité dans la société, leur travail, leurs craintes de l’avenir, leur manière de gérer les émotions. Ces questions restent les mêmes chaque année. Mais nous leur demandons aussi quelles marques ils connaissent, quels styles de vie ils privilégient, quels objets ils aiment. » (CWdP)
Des tendances socioculturelles au design
« Comment évoluent les formes, les couleurs, les matériaux, les styles ? Pour les designers de produits que nous sommes, la prospective est une thématique importante, car il faut trois à cinq ans pour développer nos produits. » (JP)
Qui sont les « cutting edgers » ?
« Les ‘ cutting edgers ’ représentent 15 % de la population. Ils ont un niveau d’études supérieur, sont familiarisés avec les technologies de l’information et se mettent en réseau. Ils sont à la fois néophytes et experts dans deux des quatre domaines qui nous intéressent – le design, l’alimentation, les technologies de l’information, les produits de beauté. Ce sont également des personnes à qui on demande leur opinion.
Les ‘ cutting edgers ’ sont des personnes pragmatiques et non pas hédonistes. Ils n’ont aucun engagement politique mais se passionnent dans le même temps pour les questions d’ordre technologique comme les puces électroniques implantées dans le corps humain, les nanotechnologies, etc. Ils sont très ouverts à ces domaines. » (CWdP)
Spiritualité instantanée : l’être humain comme référence
« Les ‘ cutting edgers ’ ne sont pas des personnes superficielles, c’est seulement leur quête spirituelle qui est différente. Ils cherchent quel sens à donner à l’existence et pour ce faire, ils placent l’être humain au centre des choses. Ils vivent une sorte de ‘ spiritualité instantanée ’. Contrairement au dieu religieux qui vit hors de nous, le dieu des ‘ cutting edgers ’ vit en nous.» (CWdP)
Le monde qui nous entoure est un réseau
« J’imagine qu’à l’avenir, les gens se distancieront de la société civile traditionnelle et qu’ils travailleront via des réseaux internationaux humanitaires. » (CWdP)
Garder le contrôle
« Les ‘ cutting edgers ’ sont des personnes qui se contrôlent. Ils essaient de garder le contrôle sur leur vie parce que le monde qui les entoure est de plus en plus soumis à l’insécurité. » (CWdP)
De la « tradition du patchwork » au « design de la réminiscence » : pourquoi les « cutting edgers »aiment-ils les vieux objets ?
« Il y a de plus en plus de divorces, et ce phénomène ira croissant. Paradoxalement, on romantise la famille et on l’associe à un havre de paix. » (CWdP)
« Les ‘ cutting edgers ’ s’entourent de tous les éléments traditionnels possibles, tout en les adaptant à leur convenance. Cela leur donne un sentiment de sécurité, l’impression d’être ancré dans une histoire soit personnelle soit nationale. » (CWdP)
« Nous pensons que l’avenir ne réside pas dans la mondialisation mais dans la différenciation de divers groupes au sein de la société mondialisée. Le monde et les modes de travail vont se mondialiser, mais pas les gens. » (CWdP)
Le « reminiscence design », cela ressemble à quoi ?
« Le ‘ reminiscence design ’, qui consiste à faire revivre et à recréer les anciennes valeurs, s’exprime par des formes, des couleurs et des matériaux. A titre d’exemple, en combinant du cuir ou de la pierre. Mais aussi en utilisant des contraires qui se rencontrent. » (JP)
Une identité européenne
« Face à la vague de fondamentalisme qui déferle sur l’Amérique, on observe dans nos entretiens que les Européens se tournent résolument vers la culture européenne. Cela vaut tant pour l’Etat providence qu’il faut préserver que pour la tradition de l’épicurisme. Il ne s’agit pas de faire comme les Américains et de manger sur le pouce, mais il faut prendre son temps. » (CWdP)
Le design dans un monde immatériel : un regard sur l’avenir
« Le ‘ design reminiscence ’, qui est une émanation du ‘ design retro ’, sera pendant encore un ou deux ans à son apogée. Puis d’autres tendances, d’autres évolutions technologiques apparaîtront. Comme par exemple le design techno-inno : la technique aide l’homme de manière invisible, les thèmes liés à la sécurité ont un impact invisible. On assistera à l’émergence de matériaux qui indiquent automatiquement un état ou un changement, p. ex. on aura des emballages dont la couleur change après expiration de la date de péremption, ou des tableaux de bord qui changent de couleur en cas de dysfonctionnement du véhicule. Il faut que les matériaux adéquats soient disponibles le jour où une tendance bat son plein. Pour ce faire, nous travaillons très en amont avec des fabricants de matériaux pour pouvoir être sur le marché avec les matériaux au moment où telle ou telle tendance sera d’actualité. » (JP)
Quelles sont les tendances d’après-demain ?
« On observe une tendance à l’ ‘ immaculate purity ’, à savoir une vie aseptisée dans un monde aseptisé, supra-hygiénique.
La société de demain se définit par des réseaux. La mise en réseau devient une valeur ajoutée, une plus-value. L’être humain se pose comme référence et soulève des questions existentielles. »
Photos: design afairs
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Christine Woesler de Panafieu est spécialiste de la recherche sociologique sur les tendances émergentes. Cette Professeur de sociologie installée en France depuis vingt ans a conçu des systèmes internationaux d’identification des modes pour plusieurs instituts d’études des tendances émergentes. Il y a cinq ans, elle a fondé un cabinet parisien de conseil en marketing dont elle est la directrice générale.
www.cosight.com
Jens Pattberg a une formation de designer industriel. Il a commencé sa carrière en 1990 chez Siemens Design. Depuis que Siemens a externalisé ce département en 1997, Jens Pattberg, en tant que membre de la direction d'une agence de design à Munich, est responsable des secteurs Stratégie & Consulting et Business Development.
www.designafairs.com
SOURCE = http://www.arte.tv/fr/connaissance-decouverte/Design/979908,CmC=998112.html