Depuis août 2007, je suis la crise du subprime au jour le jour. J'ai
cherché de blog en blog des possibilités, des solutions concrètes pour
sortir de ce système. Après avoir longtemps cherché, être parti du plus
bas: l'individu, et être monté jusque dans les sphères de la
spéculation financière et du casino de haut vol, j'ai trouvé une
possibilité d'évolution dans laquelle j'ai choisi d'investir mon
énergie et mon temps: les monnaies libres.
Le yin et le yang
Les systèmes monétaires mondiaux sont tous interconnectés, l'argent
comme un fluide se répand et se déplace pour aller dans les niches où
il sera le plus rentable, perdant à la fois la notion de sens et
d'éthique. Comme le dit Bernard Lietaer, membre du club de Rome,
fondateur de l'euro, ancien haut fonctionnaire de la banque centrale de
Belgique, c'est le système qui est défaillant. Avec plus d'une centaine
de crises dans les 25 dernières années, le problème est systémique.
Comment à partir de ce constat, construire un autre système, ou un
système plus résilient?
Si la mondialisation et l'unification des monnaies avait un but de
performance et de simplification, il est nécessaire aujourd'hui de
reconnaître et d'accepter que ce système ne fonctionne pas
convenablement. Comme un monopoly, il se joue avec un début et une fin,
et la structure du jeu nous mène inexorablement vers l'enrichissement
d'une partie des joueurs face à l'endettement de l'autre partie. Notre
système capitaliste qui a pour base simple la rentabilité et la
multiplication des capitaux par son interconnexion croissante grâce à
la modernisation des technologies de l'information accélère le rythme
de la partie, et avec elle la fréquence des crises. D'après des
recherches dans la durabilité des systèmes complexes, il faut trouver
un équilibre entre performance et résilience. Jusqu'à aujourd'hui, nous
avons réduit continuellement la résilience et la diversité des systèmes
pour s'orienter uniquement vers la performance, au prix de nombreuses
crises ravageuses. Comme le panda, ne mangeant que du bambou se
retrouve très fragile lorsque son unique aliment est décimé, si on lui
apprend à diversifier son alimentation, il résistera mieux aux aléas de
la nature.
Si le système en place représente le yang par sa force dominante, sa
puissance et son développement, les monnaies libres ou monnaies
complémentaires peuvent représenter le yin qui donnera à notre système
une deuxième jambe quand la première casse, un plan B. Le WIR né en
Suisse en 1933 en est le plus vieil exemple: suite à la grande
dépression, les entreprises se solidarisent et créent une monnaie
d'échange basée sur la solidarité: Wir signifiant nous en allemand, ou
WIR comme Wirstchaft signifiant économie. Par le manque d'alternatives
à l'époque, ce processus permet aux entreprises de continuer à échanger
malgré la pénurie de monnaie traditionnelle. Depuis presque 80 ans, ce
système a servi de plan B dès que le franc suisse a connu des
faiblesses, les échanges se déroulant dans la monnaie la plus stable.
Les monnaies libres, outil de démocratisation de la monnaie
Comme les blogs ont permis aux particuliers de devenir médias, les
monnaies libres sont l'opportunité pour les collectivités locales,
communautés et pour l'économie sociale et solidaire de se doter d'un
système monétaire complémentaire, défini selon leurs besoins. Depuis
1971 et le décrochage du dollar de l'étalon or par Nixon, on sait que
l'argent n'est plus rattaché à aucun métal précieux. Sa valeur est donc
uniquement dans la confiance que nous avons dans le système, et de
trouver un interlocuteur qui accepte le billet contre une marchandise
bien réelle. Techniquement, un système monétaire peut être fait à
partir d'une feuille de papier et d'un crayon, d'une feuille de tableur
partagée, ou pour les plus modernes, d'un système d'information bien
organisé. En Afrique, la plupart des habitants n'ayant pas de comptes
bancaires, c'est le téléphone et les crédits mobiles qui servent de
moyen de paiement. De ce fait, il devient relativement accessible
techniquement pour tout groupe de personne de se doter de la tuyauterie
pour pouvoir mesurer, échanger et comptabiliser les échanges.
De la même façon que de nombreux blogs ont permis d'apporter de la
fraicheur dans l'horizon des médias, les monnaies complémentaires sont
en train d'éclore comme autant d'alternatives locales décentralisées
pour permettre les échanges au fur et à mesure que la panne sèche
s'annonce. Déjà 4000 monnaies complémentaires fonctionnent dans le
monde et sont autant d'expériences d'autres systèmes d'échanges et de
mesure des richesses. De nombreuses monnaies locales permettent de
stimuler les échanges régionaux et de protéger la fuite des capitaux
vers les vortex captateurs que représentent les pompes capitalistes
sous toutes leurs formes. En France le sujet connaît de plus en plus de
succès avec des initiatives comme en Ardèche ou à Villeneuve sur lot
avec les abeilles, le SOL ou encore le RES en belgique.
Comme GNU-Linux, c'est pour moi une évolution inévitable: une grande philosophie directrice et de nombreuses applications variant selon les territoires, les valeurs et les priorités locales.
La monnaie, accord multilatéral d'une communauté de jouer à un jeu
La monnaie n'est que le média de l'échange, la confiance est celle que nous avons dans le système, dans ses garde-fous, dans ses
utilisateurs. Il semble que cette confiance ait tendance à dégringoler
à vitesse toujours croissante au fur et à mesure que le rideau de fumée
qui nous séparait des hautes sphères de la finance se lève et révèle au
plus grand nombre la réalité des pratiques qui font tourner les bourses
de ce monde.
Si vous ne leur faites plus confiantes, faites vous confiance! D'un
accord commun d'essayer autre chose, les joueurs peuvent s'organiser
pour créer les règles du jeu auquel ils souhaitent participer. Et si on
arrêtait le monopoly pour découvrir autre chose? Et si le but n'était
pas d'être le plus riche? L'intelligence collective que nous pouvons
mettre en place est ici sérieusement à l'épreuve, la monnaie n'étant
qu'un outil, ce sont bien nos intentions profondes que nous remettons
en lumière quand nous nous interrogeons collectivement sur l'intention
que nous plaçons dans notre monnaie: quelles sont nos valeurs, quelles
sont nos richesses, que souhaitons nous promouvoir, quel est le but de
ce système complémentaire? Comment faire? Quelle sont les règles
d'émission de la monnaie, et son circuit? Qui émet? Quelles sont les
limites de richesses possible? L'argent travaille-t-il? Touche-t-on des
intérêts si on immobilise une somme? Les sommes qui transitent
sont-elles transparentes? La monnaie est-elle fondante?
C'est là la vraie racine du problème: les règles, le code de la
monnaie, ses degrés de libertés, son intention, son éthique. Quel code
pour quel fonction? Nous connaissons désormais les paramètres de
l'équation que le capitalisme a oublié, à chaque communauté de composer
un savant mélange pour représenter au plus proche de la réalité ses
richesses, en respectant la terre, les ressources limitées,
l'environnement et en favorisant ce qui n'était pas pris en compte dans
le système qui agonise sous nos yeux.
Entrez dans le flux, faites tourner
Repenser la monnaie, c'est comme repenser le sang qui nourrit les
différents organes du corps en oxygène. Il s'agit de penser à des
propriétés et des circuits qui approvisionnent tous les organes et qui
promeuvent le mouvement, la circulation et empêchent la stagnation et
l'accumulation. En médecine, toute accumulation est synonyme de
maladie, comparez la sous-monétisation de nombreux pays par rapport aux
concentrations dévastatrices du coeur du système permet de comprendre
ce qu'il faut éviter. Si la monnaie telle que nous la connaissons,
définie par les règles capitalistes entraînent un effet de vortex ou
d'aimant, avec la loi de Paretto en démonstration, il s'agit ici
d'encourager la circulation des richesses, leurs fluidité et de
remettre l'argent et la monnaie à la place de média, représentant les
richesses réelles et non comme richesse en tant que telle.
Dans le fond, tenter les monnaies libres, ce n'est pas utiliser un
outil miracle, ce n'est pas changer de système, c'est penser une autre
manière d'être et de vivre ensemble, de reconsidérer la richesse et
l'échange afin qu'ils servent l'humain et la planète dans toutes leurs
dimensions. C'est aussi une manière d'arrêter de critiquer vainement le
haut de l'oligarchie de Simon Johnson et de se retrousser les manches
pour mettre en application concrète d'autres systèmes d'échanges.
source = http://people.thetransitioner.org/profiles/blogs/vers-les-monnaies-libres-une