« janvier 2011 | Accueil | mars 2011 »
Rédigé le 25 février 2011 dans 07 Pepiniere de Planneurs Stratégiques | Lien permanent | 0 Comments | TrackBack (0)
Ce volume réunit les textes - dans des versions développées - de trois conférences données à Berkeley, Yale et Paris entre 2004 et 2009.
Table des matières :
Les trois textes qui composent cet ouvrage portent sur des questions qui ont trait au genre et à la sexualité, mais aussi, par voie de conséquence, aux rapports complexes qu’entretiennent la subversion et la norme. S’ils prennent pour point de départ les mobilisations qui se sont développées pour exiger la reconnaissance juridique des couples de même sexe et des familles homoparentales, ils tentent de réfléchir, de manière plus générale, sur la dissidence et sur les politiques minoritaires, notamment lorsqu’elles en viennent, inévitablement, à s’adresser au droit et à lutter pour sa transformation… Pour être effective, la subversion ne saurait être que située, partielle et toujours à recommencer. Subvertir est un verbe transitif : on subvertit quelque chose à un moment donné, ou on ne subvertit rien du tout. (Septembre 2010, aux éditions Cartouche). source = http://didiereribon.blogspot.com/2010/07/de-la-subversion.html
Rédigé le 25 février 2011 dans 03 Avant-Garde : économie, société, environnement (écologie) | Lien permanent | 0 Comments | TrackBack (0)
Le marketing à destination des femmes se doit de décrypter les codes qui régissent leurs confessions, de passer au travers de ce que nous pourrions appeler la « duplexité » féminine, mélange de duplicité à l’égard des autres, mais aussi d’elles-mêmes, et de complexité du non-dit, de la « demi-vérité ».
Que sont ces « demi-vérités » et quel rapport à soi engagent-elles ?
Il ne s’agit pas de mensonges dont on ne saurait les accabler, mais de vérités partielles qui visent à protéger les faiblesses, les imperfections qui se logent au sein de la sphère privée, dans les aléas d’une vie tendue par de nombreuses exigences (la maternité, la réussite professionnelle, la beauté, la jeunesse éternelle, la santé). Ces exigences, intériorisées, deviennent des impératifs auxquelles les femmes ne peuvent plus, ne veulent plus, déroger, générant la production de complexes. C’est ainsi que naissent les « demi-vérités », qui évitent aux femmes de voir et de donner à voir qu’elles sont, évidemment, imparfaites. Et confuses de l’être.
Rédigé le 23 février 2011 dans 03 Avant-Garde : économie, société, environnement (écologie) | Lien permanent | 0 Comments | TrackBack (0)
Voici quelques résultats issus d’un livre écrit par un publicitaire américain, qui a testé et comparé un grand nombre de publicités auprès d’un public féminin Vs masculin.
Voir en particulier le slideshare illustré sur le sujet.
Les hommes achètent avec leurs yeux, les femmes avec leurs oreilles
Ce n’est pas si simple que ça… mais l’important est que les femmes veulent beaucoup plus d’information que les hommes pour acheter… beaucoup plus. Un homme seul peut marcher dans une allée, jeter un regard autour, demander combien tel produit coûte, et s’il l’aime, l’acheter sans plus de tergiversation. Une femme va parcourir chaque allée, regarder chaque produit, examiner chaque boîte, parler à ses voisins, s’assurer que la marque est fiable, écouter tout ce qu’elle peut au sujet du produit venant de son entourage, avant d’éventuellement envisager de l’acheter.
Rédigé le 23 février 2011 dans 03 Avant-Garde : économie, société, environnement (écologie) | Lien permanent | 0 Comments | TrackBack (0)
http://www.capital.fr/carriere-management/zoom-sur-un-metier/planneur-strategique-577883
Petite erreur du journaliste =) ce n'est pas parce que nous avons etablit le top 100 des planneurs stratégiques sur twitter, qu'ils sont 100.
Le 21/02/2011 à 14:36 - Mis à jour le 21/02/2011 à 14:45
Notre job consiste à scruter les tendances afin de guider le travail des créatifs, tout en prêtant l’oreille aux recommandations des commerciaux pour suivre au plus près la demande du client", explique Vincent Garel, patron du planning de l’agence de communication TBWA Paris depuis 2003. Le planneur stratégique joue donc un rôle d’interface entre deux équipes : celle qui conçoit et met en images les campagnes (le directeur artistique et les concepteurs-rédacteurs) et celle qui gère commercialement les budgets (composée d’un directeur de clientèle, d’un chef de groupe…).
Pour nourrir sa réflexion, il se plonge dans toutes sortes de documents – études de marché, veilles publicitaires, revues de presse, travaux scientifiques (en sociologie notamment) – et entretient un réseau de contacts qui l’aide à cerner les tendances. "Un planneur ne se contente évidemment pas de compiler des données, précise Vincent Garel. Il doit aussi être capable d’en dégager des messages forts."
Fonction d’alerte
En pratique, cela donne, par exemple, la nouvelle identité de Cetelem, redéfinie en 2004 sous l’impulsion de l’équipe du directeur du planning de TBWA Paris. "Nous avons alerté la marque – avec laquelle notre agence collaborait depuis plusieurs années – sur la sensibilité croissante de l’opinion à la question du surendettement des ménages.
Toutes nos études montraient que les gens se sentaient pris au piège du crédit à la consommation." Quelques mois plus tard, Cetelem accolait son souriant petit bonhomme vert à un logo jusque-là bien trop austère, promettait aux Français de leur "redonner confiance dans le crédit" et n’hésitait plus à asseoir ses campagnes sur des informations jugées autrefois fastidieuses, comme les délais de rétractation et les possibilités d’assouplissement des mensualités. "Il a fallu convaincre, se souvient Vincent Garel. A l’époque, le virage était audacieux, car le secteur jouait l’agressivité."
Compétition féroce
La fonction est stratégique – comme son nom l’indique – mais les places sont chères et les planneurs peu nombreux. "Etant donné que la grande majorité d’entre eux est active sur Twitter, j’estime leur nombre à une centaine", annonce le planneur indépendant Jérémy Dumont, qui tient le blog Levidepoches.fr. Apparu à la fin des années 1970 dans des agences londoniennes comme BMP (Boase Massimi Pollitt), le métier monte doucement en puissance depuis une quinzaine d’années en France.
Il n’est plus l’apanage des groupes publicitaires : les agences média (achat d’espace) et, plus récemment, les annonceurs eux-mêmes (Canal +, EDF, Bouygues…) emploient désormais des planneurs.
"Traditionnellement, les agences de pub travaillent sur le contenu du message tandis que les agences média s’intéressent plutôt au choix des supports : télé, Web, presse…", explique Arnaud Vataire, directeur du planning stratégique de Havas Media.
Mais la distinction s’estompe. Les premières conseillent de plus en plus les clients sur leurs plans média, tandis que les secondes commencent à proposer des stratégies de contenus. La compétition n’en est que plus féroce entre les membres de cette jeune profession. Face au client, pas question de planer, fût-ce sur l’air du temps…
Marine Relinger
Combien sont-ils ? 100 en France.
Qui les emploie ? Agences de publicité, agences média, annonceurs
Leur formation : Bac + 5. Etudes de type sciences humaines ou arts, cursus spécifiques au sein des grandes écoles de commerce et des universités (HEC, Sciences po, Paris-Dauphine, Celsa...)
Combien gagnent-ils ? Entre 20.000 et 80.000 euros par an.
On les appelle aussi… Brand Content Strategists, Digital Planners, Interactive Designers...
Leurs blogs : Darkplanneur.com, Leplanneur.com, Levidepoches.fr
© Capital.fr
Rédigé le 21 février 2011 dans 07 Pepiniere de Planneurs Stratégiques | Lien permanent | 0 Comments | TrackBack (0)
La théorie Queer (anglais : Queer Theory) est une théorie sociologique et philosophique. Elle critique principalement la notion de genre, le féminisme essentialiste ou différentialiste, et l'idée préconçue d'un déterminisme génétique de la préférence sexuelle.
Ce courant des « études du genre sexuel » (Gender studies) apparait au début des années 1990 aux États-Unis, au travers de relectures déconstructivistes, dans le prolongement des idées de Foucault et Derrida.
Sommaire[masquer] |
Considérant le genre comme un construit et non comme un fait naturel, la théorie queer est avant tout une possibilité de repenser les identités en dehors des cadres normatifs d'une société envisageant la sexuation comme constitutive d'un clivage binaire entre les humains, ce clivage étant basé sur l'idée de la complémentarité dans la différence et censé s'actualiser principalement par le couple hétérosexuel.
La théorie queer, avec son intérêt pour les implications de sexualité et genre, reste surtout une exploration de ces implications en termes d'identité. La nature provisoire de l'identité queer implique beaucoup de discussion (au niveau théorétique autant qu'au niveau social) sur la façon de définir l'adjectif « queer. »
La théoricienne queer Eve Kosofsky Sedgwick a exploré cette difficulté de définition, remarquant que même si le terme change beaucoup de signification selon qu'il s'applique à soi ou à un autre,
Grâce à sa nature éphémère, l'identité queer, malgré son insistance sur la sexualité et le genre, semblerait s'appliquer à presque tout le monde : qui ne s'est jamais senti inadéquat face aux restrictions de l'hétérosexualité et de rôles de genre ? Si une femme s'intéresse aux sports, ou un homme au ménage, sont-ils donc queer ? Pour cette raison, la plupart des théoriciens queer insiste sur l'auto-désignation de l'identité queer.
Avec le genre, la sexualité compose un des thèmes principaux de la théorie queer, et comprend de la recherche sur la prostitution, la pornographie, le non-dit de la sexualité entre autres. Le terme queer, quand il est appliqué aux pratiques sexuelles, offre beaucoup plus d'innovation que d'autres termes comme « lesbienne » et « gay. » Lorsqu'un interlocuteur se désigne comme « queer », il est impossible de déduire son genre. Teresa de Lauretis, qui a été la première à employer le terme queer afin de décrire son projet théorique, espérait qu'il aurait des applications pareilles pour le rapport entre la sexualité et la race, la classe et d'autres catégories que le genre. Pourtant en dehors de l'université, quand le terme queer réfère à la sexualité, il est plus souvent un synonyme pour « gay et lesbienne », parfois « gay, lesbienne et bi » et moins souvent « gay, lesbienne, bi et trans ». L'exclusion commune des transgenres de cet usage populaire peut être dû au fait qu'un transgenre exprime des rapports différents avec le genre et la sexualité. Beaucoup de transsexuel(le)s, s'inspirant de la théorie queer aux niveaux sexuel et genré, préfèrent à se distinguer des transgenres traditionnels (les FtM et MtF qui affirment le binarisme du genre) par l'usage des termes « gender queer » et « FtN ou MtN » (femelle-à-neutre ou mâle-à-neutre).
Les enquêtes queer sur le genre cernent surtout les instances déviantes du genre (les transgenres, les gender-queers, et les travesties) ainsi que la séparation de genre et de sexe biologique. S'appuyant sur l'idée de la féministe Simone de Beauvoir qu'on « ne naît pas femme, on le devient », Judith Butler a été la première théoricienne queer à aborder cette séparation de sexe et de genre. La biologiste Anne Fausto-Sterling constate que la peur de la confusion de genres a poussé la science et la médecine à chercher des critères irréfutables de sexe anatomique et du genre psychologique. Son travail interroge les interventions médicales qui peuvent guérir la dysphorie du genre et l'hermaphroditisme.
Outre la sexualité et le genre, la théorie queer s'intéresse beaucoup à la parenté et aux revendications identitaires en général. La théoricienne queer Judith Butler a fait une exploration de la parenté dans son livre Antigone's Claim et de la question d'identité dans The Psychic Life of Power, où elle s'est donnée la tâche d'expliquer pourquoi on insiste sur une revendication identitaire qui peut mettre quelqu'un en danger (en suscitant une violence physique ou psychique). Presque tout le travail qui se proclame queer partage une résistance théorique à l'essentialisme et aux prétentions totalisantes, ce qui rend la théorie queer et le terme queer si difficiles à décrire.
La pratique et l'engagement politique joue un rôle beaucoup plus important dans le travail qui se produit hors de l'université. Au contraire des théories féministes, la théorie queer à l'université s'intéresse moins au militantisme, d'où vient la rupture récente de la théorie queer. La production des textes queers non-universitaires est prodigue. Les zines (qui sont de petits textes publiés par un particulier, typiquement avec un photocopieur, qui précèdent le blog, même si les zines existent toujours, ils sont à présent moins courant que les blogs) et les blogs sont notables parmi les textes qui sont le résultat d'un mouvement qui privilégie tant l'auto-identification et l'importance de raconter son histoire soi-même. Les blogs ont visiblement amélioré l'accès d'une audience trans aux informations (et images) précises de ce qu'on peut attendre d'une transition chirurgicale. Les textes les plus influents sur la population queer depuis les années 1990, cependant, sont ceux qui proviennent du milieu queer populaire.
Dans Queer Theory, Gender Theory, Riki Wilchins, une trans, élabore une réfutation catégorique de la théorie universitaire à propos des queers, constatant que la théorie s'inspire toujours de la façon « bottom-up », et que les universitaires qui font la théorie queer l'ont volée aux queers populaires. Cette opinion s'entend de plus en plus parmi les queers, qui sentent que les universitaires parlent d'eux sans qu'ils puissent comprendre ce qui est dit. Il est possible que cette séparation très récente entre la théorie queer universitaire et la théorie queer populaire puisse être due au langage châtié des queers universitaires, notamment de Butler (qui a gagné des prix pour son écriture incompréhensible). De même, les universitaires qui font la théorie queer se sont probablement servis d'un tel langage à cause de leur statut ‘inférieur' à l'intérieur du monde universitaire.
L'autobiographie Stone Butch Blues, de Leslie Feinberg, a été peut-être les premières mémoires d'un trans à paraître. Ce texte influent n'est pas non plus le récit d'un simple mouvement d'une personne d'un genre à un autre ; Feinberg y montre toute une ambivalence vers les identités masculines et féminines et habite toujours la liminalité du genre et de la représentation. Dans Trans Warriors, Feinberg examine les perceptions corporelles qu'on utilise pour déterminer le genre d'une personne, y compris le statut des vêtements et les structures sociales qui ont historiquement été ouvertes ou fermées à la variance de genre.
En langage très clair et efficace, Kate Bornstein utilise un cahier d'exercices (My Gender Workbook) pour aider le lecteur à déconstruire systématiquement ses notions de rôles masculin et féminin. C'était Bornstein qui a été la première transsexuelle à proposer d'établir une catégorie de trans qui revendiquent l'identité queer ou trans au lieu de celle du sexe adopté.
Patrick Califia-Rice (qui a également publié sous le nom Pat Califia), est un écrivain et psychiatre. Il a publié des textes divers, y compris des romans pornographiques, de science-fiction et une histoire des transgenres. Califia défend la pornographie et la science-fiction, des genres souvent critiqués, à son avis, à cause des possibilités qu'ils offrent en tant que des lieux de résistance à la normativité sexuelle et genrée. Son travail Sex Changes traite l'histoire des transgenres à travers les domaines de biologie, psychanalyse, sociologie et dans la politique.
Avec la critique de la théorie de la performance proposée par Butler dans Gender Trouble et la mort lente des troupes burlesques, des drag queens et drag kings, beaucoup de théoriciens queers sont actuellement à la recherche de nouvelles analyses de la résistance queer. L'essentiel de ce travail se produit dans les cadres de la littérature, la psychanalyse et la linguistique, mais également dans les domaines de la biologie et des sciences sociales (même si en raison de la rupture universitaire-populaire, il y a aujourd'hui davantage de résistances envers les chercheurs en sciences sociales).
Lee Edelman et d'autres mettent en rapport la théorie queer et la psychanalyse en examinant les notions lacaniennes de construction identitaire à travers l'acquisition du langage et le stade du miroir ; selon eux, la conscience de soi relève bien plus de la culture et du langage que de la biologie. Dans son texte No Future, Edelman s'appuie également sur le concept foucaldien du Biopouvoir en examinant la résistance des queers aux systèmes sociaux de reproduction (le mariage, la production des enfants). Anna Livia a fait paraître un travail linguistique (Pronoun Envy) sur l'usage 'queer' du genre grammatical en littérature française.
Après une décennie d'élaboration d'une théorie, une identité queer commence à se solidifier. Il existe cependant des désaccords entre les théoriciens privilégiant l'étude du genre et ceux s'intéressant plus spécifiquement à la sexualité, et entre les universitaires et anti-universitaires. Enfin, une autre fêlure est apparue entre les communautés queer et des féministes dits "de la deuxième vague". Avec ses ruptures multiples, la deuxième vague du féminisme a toujours ses fidèles, quoique certains se revendiquent d'une "troisième vague féministe" tandis que d'autres affirment que la théorie queer a provoqué un post-féminisme.
Rédigé le 21 février 2011 dans 03 Avant-Garde : économie, société, environnement (écologie) | Lien permanent | 0 Comments | TrackBack (0)
Etymologie : du verbe dévier, composé du préfixe de cessation de et du latin via, voie, route, chemin.
Dans ce passage du célèbre livre Outsiders (1963), Howard Becker critique différentes définitions de la déviance (statistique, médicale, fonctionnaliste…) pour ensuite proposer la sienne. Ce texte éclairant montre que l’analyse de la déviance ne peut se réduire à l’état, à la nature ou aux attributs de la personne dite déviante, que la déviance n’est pas simplement la violation de normes sociales, mais qu’elle est un processus qui oblige à considérer, outre le « déviant » lui-même, l’ensemble des individus qui le définissent — ou qui l‘étiquettent — comme tel (on a d’ailleurs pu parler de « théorie de l’étiquetage », mais il est intéressant de noter que, dans le chapitre 10 nommé « La théorie de l’étiquetage : une vue rétrospective (1973) », Becker conteste avoir voulu fonder une « théorie » dans ses premiers écrits).
L’extrait suivant couvre les pages 27 à 38 de l’ouvrage Outsiders traduit en Français et édité aux éditions Métailié (1985) Source : http://blog.bafouillages.net/2009/03/la-definition-de-la-deviance-par-howard-becker-dans-outsiders/
De nombreuses spéculations, théories et études scientifiques ont été consacrées à ceux qui apparaissent comme étrangers à la collectivité parce qu’ils dévient de ses normes. Les profanes se posent, à propos de ces déviants, des questions telles que : pourquoi font-ils cela ? comment expliquer leur transgression ? qu’est-ce qui les conduit à faire des choses interdites ? Des recherches à caractère scientifique ont tenté de trouver des réponses à ces questions en prenant comme point de départ la conviction du sens commun selon laquelle il y a quelque chose de substantiellement déviant, de qualitativement distinct, dans les actes qui transgressent — ou semblent transgresser — les normes sociales. Ces recherches ont aussi emprunté au sens commun le présupposé selon lequel la réalisation d’un acte déviant découle nécessairement de certaines caractéristiques de son auteur, qui rendent la réalisation de cet acte nécessaire ou inévitable. Les chercheurs ne mettent généralement pas en question la qualification de « déviant » attribuée à des actes ou à des individus particuliers, mais ils la prennent au contraire comme une donnée. Ils admettent par là les valeurs du groupe qui prononce ce jugement.
Il est facile d’observer que ce ne sont pas les mêmes actions que les différents groupes qualifient de déviantes. Ceci devrait attirer notre attention sur la possibilité que les phénomènes de déviance lient étroitement la personne qui émet le jugement de déviance, le processus qui aboutit à ce jugement et la situation dans laquelle il est produit. Dans la mesure où les théories scientifiques, à l’instar des conceptions de la déviance propres au sens commun qui leur servent de point de départ, admettent que les actes sont substantiellement déviants et tiennent ainsi pour négligeables les propriétés des conditions et des processus du jugement, elles peuvent être conduites à exclure une variable importante. Par le fait même qu’ils méconnaissent le caractère variable du processus de jugement, les chercheurs risquent de restreindre la gamme des théories envisageables ainsi que le type d’intelligibilité proposé[1].
Notre premier problème est donc de construire une définition de la déviance. Mais avant d’en venir là, nous examinerons quelques-unes des définitions actuellement utilisées, en signalant ce que les recherches qui partent de ces définitions conduisent à négliger.
La conception la plus simple de la déviance est essentiellement statistique : est déviant ce qui s’écarte par trop de la moyenne. Quand un statisticien analyse les résultats d’une expérimentation agricole, il décrit les tiges exceptionnellement longues ou courtes comme des déviations par rapport à la moyenne ou a une autre valeur centrale. On peut décrire de même comme une déviation tout ce qui diffère de ce qui est le plus commun. Selon cette conception, les gauchers et les roux sont déviants puisque la plupart des gens sont droitiers et châtains.
Ainsi formulée, la conception statistique semble naïve et même triviale. Elle a toutefois le mérite de simplifier le problème en écartant de nombreuses questions de valeur qui surgissent généralement quand on étudie la nature de la déviance : pour estimer un cas particulier, il suffira de calculer la distance à la moyenne du comportement concerné. Mais c’est une solution trop simpliste. Armé d’une telle définition, l’enquêteur rapportera un peu de tout : des obèses et des grêles, des meurtriers, des roux, des homosexuels et des conducteurs en infraction. Ce mélange contient des individus habituellement tenus pour déviants et d’autres qui n’ont pas transgressé la moindre norme. En bref, la définition statistique de la déviance est trop éloignée de l’idée de transgression qui est à l’origine de l’étude scientifique des déviants.
Une conception moins simple et beaucoup plus répandue de la déviance, reposant à l’évidence sur une analogie médicale, définit la déviance comme quelque chose d’essentiellement pathologique, qui révèle la présence d’un « mal ». Mais s’il y a peu de désaccords sur ce qui caractérise un organisme en bonne santé, il y en a en revanche beaucoup plus quand on utilise analogiquement la notion de pathologie pour décrire des types de comportement qui sont considérés comme déviants. Pour caractériser le comportement sain, il est en effet difficile de trouver une définition propre à satisfaire même un groupe fermé et restreint de psychiatres, et il est impossible d’en trouver une qui puisse être généralement acceptée, comme c’est le cas pour les critères de la santé de l’organisme.[2]
On donne parfois à l’analogie une signification plus stricte lorsqu’on voit dans la déviance le produit d’une maladie mentale. Le comportement d’un homosexuel ou d’un toxicomane est alors considéré comme le symptôme d’une maladie mentale, au même titre que la lenteur de la guérison des contusions est considérée comme un symptôme du diabète. Mais la maladie mentale ne ressemble à la maladie physique que par métaphore :
« En partant de faits tels que la syphilis, la tuberculose, la fièvre typhoïde, les cancers et les fractures, nous avons créé une classe appelée « maladie ». Tout d’abord, cette classe se composait seulement de quelques éléments qui avaient en commun un trait indiquant un état de désordre structural ou fonctionnel du corps humain en tant que machine physico-chimique. Au fur et à mesure que le temps s’écoulait, on a ajouté à cette classe des éléments supplémentaires. Toutefois, on ne les a pas ajoutés parce qu’ils étaient des troubles corporels nouvellement découverts. L’intérêt et l’attention du médecin se sont écartés de ce critère et se sont centrés sur l’incapacité et la souffrance, choisis comme nouveaux critères de sélection. C’est ainsi que des faits tels que l’hystérie, l’hypocondrie, la névrose compulsive-obsessionnelle et la dépression se sont ajoutés, avec lenteur au début, à la catégorie « maladie ». Puis, avec un zèle croissant, les médecins, et en particulier les psychiatres, se sont mis à qualifier de « maladie » (c’est-à-dire bien sûr de « maladie mentale ») tout ce en quoi ils pouvaient détecter un signe de « dysfonctionnement » par rapport à n’importe quelle norme. Donc, l’agoraphobie est une maladie parce qu’on ne devrait pas craindre les espaces ouverts; l’homosexualité est une maladie parce que l’hétérosexualité est la norme sociale; le divorce est une maladie parce qu’il signe l’échec du mariage. Le crime, l’art, la politique de ceux dont on n’aime pas les opinions, la participation aux affaires sociales ou le retrait d’une telle participation — tous ces faits et beaucoup d’autres sont considérés, de nos jours, comme des symptômes de maladie mentale.[3] »
La métaphore médicale limite le point de vue tout autant que la conception statistique. Elle accepte le jugement profane sur ce qui est déviant et, par l’usage de l’analogie, en situe la source à l’intérieur de l’individu, ce qui empêche de voir le jugement lui-même comme une composante décisive du phénomène.
Certains sociologues utilisent eux aussi un modèle de la déviance qui repose, pour l’essentiel, sur les notions de santé et de maladie empruntées à la médecine. Ils examinent une société, ou une partie d’une société, en se demandant s’il s’y déroule un processus qui tend à en réduire la stabilité et à en diminuer ainsi les chances de survie. Ils qualifient de tels processus de déviants ou les définissent comme des symptômes de désorganisation sociale. Ils font une distinction entre les aspects d’une société qui, favorisant la stabilité, seraient « fonctionnels », et ceux qui, rompant la stabilité, seraient « dysfonctionnels ». Une telle conception a le grand mérite de suggérer des domaines de la société où peuvent exister des problèmes dont les individus ne sont peut-être pas conscients[4].
Mais il est plus difficile en pratique qu’il ne le semble en théorie de déterminer ce qui est fonctionnel et ce qui est dysfonctionnel pour une société ou un groupe social. La définition de la fonction, c’est-à-dire de l’intention ou du but d’un groupe et, par voie de conséquence, la définition des aspects qui favorisent ou qui entravent la réalisation de cette fonction, constituent très souvent une question de nature politique. Il y a, dans un groupe, des factions en désaccord qui manœuvrent pour faire prévaloir leur propre définition de la fonction. Ce qui est une fonction pour un groupe ou une organisation n’est pas inscrit dans leur nature, mais se décide dans un conflit de type politique. Si cela est vrai, il s’ensuit que la détermination des normes à respecter, des comportements réputés déviants et des individus désignés comme étrangers au groupe ou à l’organisation doit aussi être considérée comme une question de nature politique[5]. La conception fonctionnelle de la déviance, qui en néglige l’aspect politique, limite donc notre compréhension du phénomène.
Plus relativiste, une autre conception sociologique définit la déviance par le défaut d’obéissance aux normes du groupe. Quand on a décrit les normes qu’un groupe impose à ses membres, on peut décider avec une certaine précision si un individu a, ou non, transgressé celles-ci, et donc s’il est déviant.
Cette conception est plus proche de la mienne, mais elle ne parvient pas à donner une importance suffisante aux ambiguïtés qui surgissent quand il faut choisir les normes destinées à servir d’étalon pour mesurer le comportement et juger de sa déviance. Une société comporte plusieurs groupes, chacun avec son propre système de normes, et les individus appartiennent simultanément à plusieurs groupes. Une personne peut transgresser les normes d’un groupe par une action qui est conforme à celles d’un autre groupe. Est-elle alors déviante ? Ceux qui proposent cette définition objecteront peut-être que, si l’ambiguïté peut apparaître au regard des normes particulières de tel ou tel groupe de la société, il existe des normes qui sont très généralement reconnues par tous : dans ce cas il n’y aurait pas de difficulté. C’est là, bien sûr, une question de fait, qui doit être tranchée par la recherche empirique. Quant à moi, je doute qu’il y ait de nombreux domaines où un tel consensus existe, et j’estime plus raisonnable d’utiliser une définition permettant de traiter toutes les situations, qu’elles soient ambiguës ou non.
Rédigé le 21 février 2011 dans 03 Avant-Garde : économie, société, environnement (écologie) | Lien permanent | 0 Comments
![]() |
Cet article est une ébauche concernant la sociologie.
Vous pouvez partager vos connaissances en l’améliorant (comment ?) selon les recommandations des projets correspondants.
|
L’interactionnisme symbolique est une approche issue de la sociologie américaine qui a subi plusieurs inflexions de ses fondements théoriques depuis son apparition, vers la fin des années 1930. Ces fondations théoriques découlent d’un double mouvement.
Sommaire[masquer] |
Dans un premier temps, l'émergence du cadre théorique de l'interactionnisme symbolique découle d'une rupture paradigmatique effectuée par George Herbert Mead en psychologie sociale. En effet, Mead se dégage des paradigmes psychologiques dominants de l’époque, le béhaviorisme et la psychanalyse, pour développer une approche inter-relationnelle et co-constructive du sens. Sa thèse est que, premièrement, l'accès cognitif au sens des phénomènes, tant subjectifs qu'objectifs, découle inévitablement d'une interprétation et, deuxièmement, que la formation du cadre interprétatif découle des processus dynamiques d'interaction inter-individuelle. Ainsi, selon ce cadre théorique meadien, développé à l'aide de recherches en éthologie, l'interaction symbolique (communication verbale et non-verbale) entre les individus humains ou animaux détermine le sens que ces derniers accordent au monde et à leurs propres états mentaux.
Dans un deuxième temps, ce cadre théorique meadien s’intégra à la tradition sociologique de l’école de Chicago, grâce à des élèves de Mead, tel que Herbert Blumer et plusieurs autres, qui, alliant le cadre meadien aux méthodes d’observation directe, développèrent une micro-sociologie interactionniste s’opposant aux paradigmes dominants en sociologie : le fonctionnalisme et le culturalisme. La caractéristique commune de ce double mouvement est, en plus d’une évidente position oppositionnelle et polémique, le refus fondamental d’un déterminisme biologique et social de l’individu.
À cette époque, l’approche interactionniste possédait une multitude de démarches et d’interprétations différentes, due à sa position autonome et isolée. En effet, ce n’est que vers les années 1970 que l’interactionnisme consolide sa perspective avec l’élaboration par Turner d’une théorie du rôle ou encore avec l’œuvre de Anselm Strauss. Cette consolidation lui permet d’étendre l’influence de sa perspective et de s’incorporer à une culture sociologique plus « classique », lui ravissant par le fait même sa position critique et polémique. Il est clair que les notions de sens et de réalité symbolique sont aujourd’hui des concepts centraux des sciences humaines. Cette consolidation se caractérise par l’énonciation par Herbert Blumer de trois principes brefs mais complets définissant l’interactionnisme symbolique :
Ainsi, l’action se fonde à partir du sens, ce dernier émerge à travers les interactions interpersonnelles situationnelles grâce à une réalité intersubjective reposant sur des symboles langagiers partagés. Ce deuxième principe s’inscrit directement dans la ligne de pensée de Mead pour qui « l’univers des significations émerge d’un processus de coopération et d’adaptation mutuelle au sein du groupe social. » ( De Quieroz, p. 31) Mais c’est le troisième principe qui caractérise le mieux l’approche interactionniste et qui permet de dépasser les cadres déterministes, car c’est ce processus herméneutique d’interprétation qui crée un sens nouveau pour chaque individu transformant sans cesse les significations des objets. C’est cette capacité réflexive qui constitue, pour le sujet, la base de la construction interactionniste : l’individu contrôle ses actions en agissant sur lui-même et le tout selon les circonstances et le contexte.
Au niveau épistémologique, l’interactionnisme symbolique fut fortement influencé par le développement diltheyen de la tradition compréhensive, en opposition avec l’approche explicative, permettant le développement d’un nouveau réalisme ne tombant pas dans l’erreur objectiviste. En effet, l’interactionnisme délaisse, sans toutefois rejeter, les autres méthodes sociologiques ou psychosociologiques, en développant une approche pragmatique acceptant les postulats constructivistes.
Sur les autres projets Wikimédia :
Rédigé le 21 février 2011 dans 03 Avant-Garde : économie, société, environnement (écologie) | Lien permanent | 0 Comments | TrackBack (0)
C’est sans doute la première des énigmes humaines : notre pouvoir de création. Même ceux qui se disent les meilleurs amis des éléphants, des dauphins, des singes - et des cochons, si proches de nous -, sont obligés d’admettre que ces êtres sensibles et intelligents ne peuvent radicalement rien créer volontairement, alors que tout humain est un créateur.
Les idéalistes ont tendance à poser l’équation : 7 milliards d’humains = 7 milliards de créateurs. D’autres, plus sceptiques ou plus sages, s’esclaffent : « Sept milliards de créateurs ? Cette blague, ça se saurait ! En réalité, les vrais créateurs se comptent chaque siècle sur les doigts d’une main ! » Ces deux extrêmes disent vrai. Si l’on réserve le qualificatif de créateur à celui ou celle qui pose sur son époque une marque décisive et indélébile - digne d’entrer au Musée Imaginaire de l’Humanité pour les siècles des siècles -, on se trouve en effet confronté à une rareté suffocante. Mais si vous estimez que l’on peut faire œuvre de création même sans être artiste, ni savant, ni découvreur du moindre bidule, mais juste inventeur de ses propres relations, de son monde, extérieur et intérieur, de sa vie, de sa gestuelle, avec un réel degré d’autonomie par rapport à ce que nos ancêtres ont fait avant nous, alors, oui, nous vivons sur une planète habitée par des milliards de créateurs, au moins potentiels. Et c’est donc une question très intriguante : dans notre monde en pleine ébullition chaotique, cet élan innombrable saurait-il orienter la suite de notre aventure, individuelle et collective, vers des horizons harmonieux ?
Mais comment l’inspiration créatrice nous vient-elle ? Ou comment la réveille-t-on ? Dès que vous posez la question et enquêtez un minimum, les réponses fusent... « Consultez vos rêves ! » nous suggèrent les chamans. Apparemment, cela a longtemps fonctionné comme un mode explicite. Les derniers survivants des peuples premiers, australiens par exemple, nous montrent comment pendant des dizaines de milliers d’années, les humains ont consciencieusement organisé l’écoute et l’interprétation de leurs rêves pour vivre et survivre, concrètement, même dans des conditions d’existence difficiles. Nous pourrions faire pareil (et l’on apprendrait que le Président français a rencontré la chancelière allemande pour discuter d’un rêve qu’il a fait récemment et qui pourrait changer la donne), alors que nous laissons nos rêves en friche, comme des terrains vagues pleins d’ordures. Dans Créativité Transcendante (Éd. Mortagne, Montréal.), les Américains Willis Harman et Howard Rheingold racontent comment une foule de grands artistes, notamment des musiciens, Mozart, Beethoven, Wagner, Brahms, Tchaïkovski, Strauss, beaucoup de grands savants, le mathématicien Poincaré, le physicien Bohr, le chimiste Kekule, beaucoup d’écrivains, Goethe, Keats, Shelley... ont soudain trouvé l’inspiration dans un rêve - celui de Descartes est fameux, bien qu’on n’en parle guère en cours de philo (la source de la pensée moderne se trouve ravalée en note de bas de page !). Mais l’inspiration peut tout aussi bien survenir au cours d’une promenade, en traînant dans son appartement mal rangé, ou en faisant la cuisine.
Le déclic de la création semble participer d’un ordre irrationnel, ou plutôt difficile à rationaliser. Certains chercheurs tentent pourtant de le faire. Lisez donc la suite de notre dossier !
PARTAGER / IMPRIMER
Rédigé le 21 février 2011 dans 03 Avant-Garde : économie, société, environnement (écologie) | Lien permanent | 0 Comments | TrackBack (0)
http://www.cles.com/dossiers-thematiques/cultures-du-monde/faites-vous-partie-des-createurs/article/les-creatifs-culturels-emergence-d
Une étude américaine sur les “acteurs de changement de société”, menée auprès de plus de cent mille personnes pendant une quinzaine d’années par une équipe dirigée par le sociologue Paul H. Ray (université du Michigan) et la psychologue Sherry Ruth Anderson (université de Toronto), affirme dans un ouvrage renversant - L’émergence des Créatifs Culturels - qu’en opposition abrupte avec la politique menée à Washington, un quart environ des citoyens américains vivrait d’ores et déjà dans un système de valeurs et de comportements complètement nouveau, ouvert à l’écologie, à la solidarité, aux valeurs féminines et à l’éveil intérieur. Catégoriquement niés par les politiques et par l’ensemble des médias (aux USA comme en Europe), ces “créateurs de nouvelles cultures” constitueraient le départ d’une civilisation post-moderne aussi importante que le fut le modernisme il y a cinq cent ans.
La première énormité qui frappe est le “non-événement” que fut la parution de ce livre, début 2001, en France. Transposée dans un domaine familier aux médias, une telle enquête aurait fait un tabac : 24 % des citoyens américains (parmi les plus créatifs) ne fonctionneraient plus désormais selon le modèle occidental “moderniste” (individualisme, capitalisme et divertissement), mais d’une façon radicalement autre. C’est une information considérable, qui mériterait qu’on la vérifie, qu’on la critique... Il n’en a rien été. Silence radio. Cela correspond à l’une des informations de fond que l’enquête rapporte : imbibés de la conviction que le modernisme est la seule manière normale d’être au monde, médias et politiques n’ont rien capté du phénomène.
Ne vous est-il jamais arrivé - quand il est question des valeurs fondamentales auxquelles votre cheminement vous a finalement conduit - de vous sentir nié par le monde alentour ? C’est ce qui se produit, disent Ray et Anderson, quand on passe à un type de culture résolument nouveau : l’ancien système, non seulement ne comprend pas, mais ne voit carrément rien.
Cela dit, les intéressés eux-mêmes ne connaissent pas leur force non plus. Interrogés sur le nombre de gens qui, à leur avis, partagent leurs valeurs et leurs comportements, les “Créatifs Culturels” (CC, expression la moins imparfaitement traduite de Cultural Creatives) se sous-estiment dramatiquement : ils se croient, en moyenne, 5 % de la population alors qu’ils seraient cinq fois plus nombreux, selon notamment l’institut de sondage American Lives (entre 1986 et 1999).
Les CC sont des gens qui mettent en application quatre types de valeurs : implication personnelle dans la société par des engagements solidaires, locaux et globaux, immédiats et à long terme ;
vision féminine des relations et des choses ;
intégration de l’écologie, de l’alimentation bio, des méthodes naturelles de santé ;
importance du développement personnel, de l’introspection, des nouvelles spiritualités.
Psychologiquement, les CC ont un point commun important : ils ne supportent plus d’être divisés, coupés, en contradiction avec eux-mêmes - ce qui caractérise d’ailleurs tout début de nouveau mouvement de société. Leurs mots clés sont : cohérence, congruence, interaction, synergie. Que l’on puisse prôner le respect des équilibres écologiques et ne pas en tenir compte dans sa propre vie quotidienne leur est devenu insupportable. Sincèrement croire que seuls des comportements plus solidaires pourraient sortir l’humanité de la catastrophe... et ne pas s’engager soi-même dans ce sens les horripile. Quant à prêcher l’éveil d’une vie intérieure et baratiner sur la spiritualité tout en continuant à se comporter, au travail, dans la cité, chez soi, comme les générations précédentes leur paraît grotesque. Dire ce que l’on fait, faire ce que l’on dit, c’est leur devise, et l’enquête de Ray et Anderson montre, dans son suivi à long terme, qu’il ne s’agit pas là de vains mots.
Les CC se répartiraient en deux populations d’environ 23 millions d’adultes chacune : Un noyau central dit “avancé”, préoccupé à la fois de justice sociale, d’engagement écologique et de développement “psycho-spirituel” : pour ceux-là, le sacré inclut d’emblée l’épanouissement individuel et la solidarité sociale et politique (à 91 %, ils estiment très importants d’aider les autres) ;
Une périphérie dite “écologiste”, qui aurait tendance à ne faire que lentement, avec beaucoup de prudence, le lien entre l’engagement social et la vie intérieure, ou entre l’écologie et la spiritualité (ce second groupe est de 15 % plus masculin que le premier).
Sociologiquement, on les trouve dans toutes les couches et tous les âges de la population, même s’ils sont incontestablement : un peu plus cultivés que la moyenne des Américains, légèrement plus riches et plus urbains. Seule corrélation vraiment forte : 60 % sont des femmes (67 % pour le noyau “avancé”). Par ailleurs, chaque année la part des 18-24 ans augmente. Pour les animateurs de l’enquête, aucun doute : il s’agit là d’un nouveau courant fondamental de la société occidentale.
L’un des premiers mérites du travail de Ray est de se replacer dans un contexte sociologique et psychologique, avec une analyse des deux courants jusqu’ici majeurs dans la société américaine, les “Modernistes” et les “Traditionalistes” :
Les Modernistes dominent actuellement le monde. Estimés à 48 % de la population américaine (environ 93 millions d’adultes - chiffres de 1999). Ils participent de la poussée lente et formidablement puissante qui, en cinq cents ans, a créé le monde où nous vivons.
Eux qui furent considérés, vers 1750, du temps d’Adam Smith, comme des “excentriques inoffensifs” sont devenus totalement dominants et désormais dangereux. Leurs valeurs : gagner et posséder beaucoup d’argent ; gravir les échelons de la réussite professionnelle ; être le plus libre possible ; avoir beaucoup de choix (au travail et comme consommateur) ; être toujours au fait des nouveautés ; participer au progrès économique et technologique de la nation ; se divertir, notamment grâce aux médias, chacun à sa guise ; soigner son corps comme une belle machine ; faire confiance soit à la loi du marché soit à l’État-providence. Quelques-unes de leurs idées types : Le temps c’est de l’argent ; Analyser les choses en les décomposant en différentes parties est le meilleur moyen de résoudre un problème ; ou encore, Il est raisonnable de diviser sa vie en sphères distinctes et séparées : le travail, la famille, les amis, l’amour, l’éducation, la politique, la religion. Leurs rejets : à peu près toutes les valeurs et préoccupations des indigènes, des ruraux, des Traditionnalistes, des New Age, des mystiques et des religieux.
De leur côté, les Traditionalistes (24 % de la population, 46 millions d’adultes) sont en réalité tous des néo-traditionalistes, des réactionnaires au sens étymologique du mot, apparus de diverses réactions contre le modernisme, à partir du XIXe siècle (aux États-Unis après la guerre de Sécession surtout). Se référant sans cesse à un ancien temps idéal et essentiellement imaginaire, leurs valeurs s’expriment dans des idées comme : Les patriarches devraient à nouveau dominer la vie familiale ; les hommes et les femmes doivent s’en tenir à leurs rôles traditionnels. Ou encore, La protection des libertés individuelles et civiques est moins importante que la lutte contre les comportements immoraux.
Bien sûr, ces schémas sont grossiers. Les modernistes en particulier, ne forment pas un groupe compact. L’étude de Ray et Anderson les divise en quatre sous-groupes : les Modernistes conservateurs Pragmatiques (8 % de la population, soit 15 millions d’adultes), qui dirigent une bonne part du business mondial, incarnent totalement l’American Way et en profitent le plus ; les Modernistes conventionnels (12 %, 23 millions), plus intellos que les premiers, moins riches, plus cyniques, très individualistes ; les Laborieux (13 %, 25 millions), souvent d’origine étrangère, qui veulent absolument croire au rêve américain, branchés à fond sur la promotion sociale ; enfin les Modernistes aliénés (15 %, 29 millions), nettement plus modestes, employés ou ouvriers, menacés par toute crise, souvent amers ou en colère. Dans l’ensemble, ils travaillent de plus en plus, au bord de l’asphyxie : pour les même salaires, huit semaines de travail en plus par an entre 1969 et 1999 !
Quant aux Traditionalistes, ils ne sont pas forcément aussi épouvantables que le laissent supposer leurs slogans vengeurs - leur sens de la solidarité est souvent plus fort que celui des Modernistes (les ouvriers catholiques conservateurs peuvent s’avérer bien plus généreux que les bourgeois libéraux).
Les Créatifs Culturels, eux, refusent de choisir pour l’un ou l’autre de ces deux camps. S’ils se sentent les enfants des modernistes - et pas des traditionalistes réactionnaires - , ils savent que l’évolution ne s’est jamais effectuée en faisant table rase du passé, mais en intégrant l’intelligence combinée des stades précédents. L’idée de “métissage culturel” à travers l’espace et le temps - nous reliant aux autres sociétés, notamment aux cultures primordiales vivant encore en symbiose avec la nature - leur est chère, alors qu’elle révulse les réacs et fait sourire les modernes.
La genèse des Créatifs Culturels n’a rien de mystérieux. Leur émergence semble cependant avoir traversé une sorte de tunnel d’une vingtaine d’années - de la fin des années 70 à la fin des années 90 - au cours desquelles, notamment du fait de la chute de l’empire soviétique, le modernisme s’est cru autorisé à caracoler, comme s’il n’existait désormais plus que lui, face à quelques poches traditionnalistes en voie d’extinction. C’était oublier que les humains ne sont pas forcément amnésiques et qu’un ensemble de mouvements apparus dans les années 60 avaient laissé des germes puissants dans la conscience collective. L’émergence des Créatifs Culturels montre en effet de façon claire une convergence irrésistible entre les “descendants” des mouvements : pour les droits civiques,
féministes,
de soutien aux peuples colonisés,
pacifistes,
écologistes,
pour l’éveil de la conscience,
de psychothérapie humaniste.
Il est impossible de donner ici ne serait-ce qu’un résumé des innombrables informations apportées par Paul Ray et Sherry Ruth Anderson dans leur étude. Particulièrement surprenante (du moins pour nous, Européens, qui ne pouvons nous empêcher de caricaturer les Américains, surtout après l’arrogante décision de leurs gouvernants de ne pas signer les traités anti-pollution), est la lucidité des CC vis-à-vis : des médias (généralement reconnus comme tellement imbibés d’idéologie moderniste qu’ils ne se rendent même plus compte qu’ils intoxiquent autant qu’ils informent) ;
des leurres de la pub et de la société de consommation, qui ont fini par tout chosifier en spectacle ;
des manipulations des grands groupes économiques, qui sabotent les alternatives économiques “douces” (on lira le cas exemplaire de l’hypercar, voiture écologique à hydrogène) ou qui, plus pervers, sponsorisent des actions écologique ou d’éveil de conscience psycho-somatique, alors qu’ils sont par ailleurs, sous des biais plus importants, d’énormes pollueurs, assassins de biodiversité et pourvoyeurs en cancers de toutes sortes (des cas précis sont cités, cibles par exemple du mouvement des femmes ayant souffert d’un cancer du sein).
Essentielle à ceux que l’enquête présente comme les plus dynamiques du mouvement, l’approche spirituelle est certainement la plus difficile à intégrer dans la grille moderniste des médias et des politiques. Pourtant, s’il a fallu vingt ans pour que les mouvements “contre la guerre” deviennent des mouvements “pour la paix”, ou les mouvements “anti-mecs” des mouvements “pour de nouvelles relations hommes/femmes”, c’est que le catalyseur de ces métamorphoses est très souvent venu de la spiritualité et de la psychologie humaniste, dont l’intégration ne peut se faire que lentement.
« En effet, écrivent Ray et Anderson, il faut beaucoup de temps pour bien saisir la substance de l’enseignement des mouvements d’éveil de la conscience.
L’émergence des Créatifs Culturels, de Paul H. Ray et Sherry Ruth Anderson, éd. Souflle d’Or
Patrice van Eersel : Les Créatifs Culturels, entretien exclusif de 31 minutes.
Rédigé le 21 février 2011 dans 03 Avant-Garde : économie, société, environnement (écologie) | Lien permanent | 0 Comments | TrackBack (0)