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Antonio Casilli est sociologue et chercheur au Centre Edgar-Morin (EHESS). Son dernier ouvrage, Les liaisons numériques, paru en octobre 2010, revient sur différentes idées reçues liées au développement des technologies numériques. Allant à l’encontre des discours dénonçant les effets désocialisant des nouvelles technologies, il démontre en quoi la sociabilité en ligne reconfigure nos liens sociaux sans pour autant s’y substituer.
Antonio Casilli a accepté de répondre à nos questions sur l’étude du digital par les sciences sociales, les liens sociaux online, et même sur le rôle de la marque dans ce contexte. Extraits.
Sociologie et numérique
D’après Casilli, la reconnaissance de la communauté internationale scientifique pour les travaux portant sur le numérique n’est pas encore acquise. Il faut d’ailleurs revenir quelques dizaines d’années en arrière pour comprendre comment Internet s’est imposé comme objet d’étude.
- Dans les années 70-80, explique Casilli, ce sont tout d’abord les ingénieurs qui se sont intéressés au numérique, mais avec une posture “techno-science“, possibiliste – trouvant écho dans cette citation d’Alan Kay : “le meilleur moyen de prédire le futur est de l’inventer”. Ces techniciens étaient animé de l’esprit propre aux entrepreneurs américains - « Shoot first »- sans réellement avoir une approche réflexive sur leurs avancées.
- Dans les années 2000, les chercheurs en sciences humaines se sont finalement intéressés à ces nouvelles technologies et y ont apporté leur distance critique. Cependant l’intégralité des ouvrages produits alors, ceux de Jean Baudrillard notamment, sont empreints de méfiance et de technophobie. Casilli se rappelle avoir été confronté à cette pensée de l’époque : ses collègues s’attendaient en effet à ce qu’il adopte un discours similaire.
- Ce n’est que récemment que l’alliance de ces deux postures a eu lieu. On trouve en effet depuis quelques années des travaux étudiant les conséquences sociales, éthiques, culturelles et humaines des nouvelles technologies et de leurs usages. En Mai 2011, Casilli a justement dirigé Une démarche qui harmonise les deux précédentes en faisant le choix de continuer à agir et à suivre le changement tout en ayant une attitude réflexive : “caminar preguntando” (marcher en réflechissant) comme le dit le credo zapatiste que Casilli nous cite. Si les nouvelles technologies représentent un objet d’étude nouveau, Casilli reste persuadé que pour les étudier, on ne peut se passer des écrits des chercheurs « traditionnels » ni de leurs méthodes de travail.
Concernant la méthotodologie, Casilli nous rappelle que si l’on ne s’appuie pas sur ces moyens de récolter des données précises, on tombe vite dans le « data free philosophizing ». L’expression a récemment été utilisée par Howard Rheingold pour décrire cette posture spéculant principalement sur de l’observation in vivo.
D’où la nécessité d’étudier cet objet à l’aune des méthodes traditionnelles comme les enquêtes, les statistiques ou les entretiens qualitatifs mais aussi à certaines méthodes inédites comme l’ethnographie en ligne ou l’observation participante en ligne.
Pour Casilli, la grande évolution du point de vue de la méthodologie réside dans l’application de « l’analyse des réseaux sociaux » au digital. Elle ne repose non plus sur une logique quantitative ou qualitative mais sur l’approche relationnelle : on étudie la hiérarchisation, les liens, l’étendue, la création du capital social en ligne, etc.
Où en sont ces travaux aujourd’hui ? Casilli déplore une reconnaissance difficile au sein de la communauté scientifique, que ce soit en France ou à l’international. Les enjeux sont réels, il s’agit là de faire partie de ce qu’il appelle le « scientific agenda » et de ne pas être les premiers en ligne de mire lors de restrictions budgétaire. Les chercheurs sont donc confrontés à un double challenge : valoriser les sciences sociales qui ne sont pas considérées comme les plus prestigieuses au sein de la communauté scientifique mais aussi légitimer le digital comme objet d’étude majeur.
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