19. déc, 2011
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Pour répondre à cette question, voici à partir de ce matin une série de quatre articles signés Gilles Deléris. Des articles que vous pourrez aussi retrouver sur le blog Ecce Logo.
Dominique Wolton, au Collège des Bernardins, lors du débat autour du livre Ecce Logo, puis interviewé par Influencia, défend avec virulence l’idée contraire. Il reproche aux marques et aux publicitaires (“Vous êtes tous les mêmes” ???) d’outrepasser leur rôle, les accuse de pêcher par orgueil. Il les enjoint de rester à leur place, du côté du commerce, non sans établir, au détour d’un éloge du bon produit et de la bonne publicité, une hiérarchie de valeurs condescendantes : chacun reste à sa place, la politique, c’est la politique, la religion, c’est la religion, la culture, c’est la culture et le commerce doit rester ce qu’il est : du commerce “et c’est déjà pas mal” (sic).
Il y a beaucoup à dire sur ces affirmations présentées comme des vérités anthropologiques définitives, sur l’assimilation restrictive de l’intérêt général au politique et il nous semble important de poursuivre ce débat, en 4 temps.
Temps 1. Et si le commerce était la source du politique ?
Il est admis que les échanges commerciaux ne sont pas pour rien dans la construction des sociétés humaines telles que nous les connaissons aujourd’hui. L’étymologie du mot “communiquer” nous donne une clé de lecture qui remet en cause l’isolement dans lequel Dominique Wolton installe le commerce et les marques : Cum-moenia, qui signifie “avec un cadeau”, “avec un présent” et cum-monus, qui signifie à “l’intérieur des murailles” associe étroitement la communication à l’échange de biens dans un espace qui protège les hommes.
S’il ne s’agit naturellement pas de limiter l’histoire de l’humanité à ces transactions, il est difficile de réfuter que ce “commerce” là peut être un “commerce agréable” comme l’on dit de quelqu’un avec qui on a plaisir à discuter, qu’il est un objet culturel et que, hélas ou tant mieux, la culture comme la politique lui empruntent ses techniques et son efficacité. Le commerce a contribué à construire les sociétés humaines. Il est au fond assez légitime de voir les marques parfois y prendre une part.
Temps 2. Qui pense aujourd’hui nos sociétés en silo ?
Consultant en informatique/réalisateur/JRI (journaliste reporter d’images)/Militant associatif, Nicolas est un slasher. “Et il n’est pas question pour [Nicolas] de choisir entre l’un et l’autre. Non seulement parce qu’il ne parviendrait pas à joindre les deux bouts à la fin du mois, mais surtout parce qu’un seul métier, ce serait s’enfermer. Parce qu’une seule activité, ce serait s’ennuyer ». * L’accessibilité technologique, l’injonction de mobilité exigée pour s’adapter en permanence, la capacité pour les uns et pour les autres, via les nouveaux médias, d’être partie prenante de communautés multiples remet en cause les parcours linéaires, la séparation étanche des genres et, on le sait, celle de la vie privée et de la vie publique. Le fait est qu’il faudra du recul pour évaluer les conséquences de cette superposition des espaces et du risque de fragmentation des identités… Les marques n’échappent pas à ce nouveau paradigme. Elles sont aussi et surtout des entreprises humaines et elles aussi hésitent, essaient, s’adaptent à cette nouvelle donne.
Temps 3. Qu’attendent les conso-citoyens ?
Ils attendent des marques qu’elles les payent en retour. En leur offrant une qualité de produit et de service sans faille, en leur manifestant de l’attention et de la considération, en adoptant enfin un comportement d’entreprise en phase avec leurs aspirations. C’est ici que l’idée nouvelle de l’intérêt général prend du sens. Nouvelle ? Non, pas si nouvelle que cela si l’on se réfère aux expériences des utopistes du XIXe siècle, aux débuts du développement industriel et du capitalisme. Jean-Baptiste-André Godin, avec le Familistère de Guise, “met en pratique la première expérience d’utopie sociale à grande échelle en associant à un lieu de travail – l’usine Godin, toujours en fonctionnement – un Palais sociétaire pour former une société harmonieuse : habitation collective, piscine, économats, jardin, nurserie, écoles et le théâtre, temple de la communauté familistérienne. Cette expérience durera, sous une forme coopérative, jusqu’en 1968”.
Marginale, désuète, anachronique au XXIe siècle… Naturellement le parallèle s’arrête vite si l’on s’en tient aux solutions proposées à cette époque et à l’échelle des enjeux planétaires. Mais ce qui se joue aujourd’hui poursuit ou réactive l’idée que l’entreprise, et par extension symbolique, la marque, peut investir des champs plus larges que son objet marchand initial.
Il faut admettre l’idée que les marques puissent à leur façon, porter la parole de ceux qui les animent. Sans philanthropisme naïf, mais avec l’ambition de réussir durablement, c’est à dire en associant performance économique et contribution sociétale. C’est ce qu’attendent les nouvelles générations de consommateurs, du moins ceux de nos sociétés nanties et hyper développées.
Gilles Deléris
Ecce Logo: Les marques anges et démons du XXIème siècle est un tout petit livre rouge et or à serrer contre soi comme on serrerait une Bible (enfin si j’étais croyante, sauf que dans mon monde à moi, la consommation a remplacé les étoiles, vous suivez le mouvement de pensée?) C’est un livre exceptionnellement bien pensé, beau, et joliment fini: un bel objet qui fait bien dans la bibliothèque, en fait.
Mais que raconte-t-il? Il y traite le sort des marques, leur évangélisation, leur façon de transformer notre monde. Les auteurs ont pris le parti d’illustrer cette étude avec des reproductions d’oeuvres d’art d’artistes contemporains qui ont tous traité à leur façon la guerre des mondes entre symboles et fin d’horizon: Elmgreen & Dragset (Prada Marfa), H5 (Logorama), Andy Warhol (210 bouteilles de Coca-Cola, Chanel, Campbell’s soup), Massimo Gammarcurta (Lollipop Chanel, Lollipop YSL), Nicolas Moulin (Vider Paris), Zeus (Liquidated logo Chanel) et bien d’autres…
Les deux auteurs, Gilles Deléris et Denis Gancel, ont confié avoir consacré plus d’un an et demi à la recherche et à l’écriture de ce livre, qui est assez complet pour être déroutant car il ne se contente pas d’enfoncer des portes ouvertes, comme on pourrait s’y attendre sur un tel sujet. Les accroches sont drôles et l’approche jamais didactique. Pour donner le ton, deux citations ouvrent le livre:
“Art can break your heart, but kitsch can make you rich.” (Jospeph Beuys)
“Je veux être aussi célèbre que Persil.” (Victoria Beckham)