Je ressens une certaine perplexité en même temps que de la fascination en lisant les informations du jour sur le nouveau "bandit" d'Internet arrêté par les shérifs du droit d'auteur: Kim Schmitz, alias Dotcom, le mégalo qui dirigeait Megaupload, peut-on lire ce matin dans la presse. Allemand (c'est déjà suspect !), 38 ans, propriétaire d'une immense maison en Nouvelle-Zélande (après avoir vécu à Hong-Kong), à la tête d'une myriade de sociétés, richissime, obèse. Bizarrement, c 'est le portrait-robot de nombreux chefs de la finance, mais bon. Comme Julian Assange avec Wikileaks, il s'agit bien de criminaliser le personnage par tous les moyens (pour Assange, une accusation de viol pour le moins suspecte).
Visiblement, c'est surtout l'affolement chez les majors du disque et du cinéma, et en cette année électorale aux USA, ils ont trouvé une oreille attentive à Washington. Reste que s'il fallait faire enfermer tous ceux qui, actuellement, contreviennent sur internet au droit d'auteur, cela ferait du monde. Mais là, dit-on, c'est massif: nouveaux films téléchargeables en ligne, tout le business hollywoodien en voie d'effondrement.
C'est ce côté massif qui fait peur, et l'écroulement par ce biais d'un modèle de financement d'une frange établie du monde de la musique, du cinéma et de l'édition. Et puis que ces hackers fassent de l'argent avec leurs biens à eux, tandis que des acteurs eux-mêmes semblent faire de la pub pour ces nouveaux businessmen. L'art et l'argent, quelle lutte derrière tout cela: Balzac qui, au dix-neuvième siècle, à l'avènement de ce monde, visait à devenir riche en écrivant et imprimant ses romans et ceux des grands ancêtres, - un bandit d'Internet en puissance, je vous dis.
Mais ce qui m'intéresse dans ce qui se passe actuellement à travers Internet, c'est bien le renversement en cours. Il induit, chez certains nouveaux acteurs de l'édition numérique, des choix esthétiques et littéraires nouveaux, différents de ceux du show-business pseudo-littéraire. Il ne s'agit pas de refourguer la même marchandise pour s'enrichir au nez et à la barbe des producteurs (modèle Dotcom), mais bien de changer d'univers littéraire.
Rien d'étonnant, alors, à ce qu'on tombe sur ces textes précieux du dix-neuvième siècle. Je découvre les éditions de Londres, qui éditent (gratuitement) Reclus, Kropotkine et Bakounine (parmi beaucoup d'autres), et là se confirme à mes yeux la dimension à la fois politique et littéraire de l'édition numérique qui fait que, oui, elle participe du même bouleversement dont des acteurs majeurs (et pas toujours défendable à 100%, je précise) s'appellent Assange et Schmitz. Dans la présentation des éditions de Londres, je lis:
Avant tout, Les Editions de Londres nagent à contre-courant des idées reçues. Pourtant, Les Editions de Londres ne sont pas un saumon ; d’ailleurs elles ne sont pas de rivière, ni de la mer, mais plutôt de l’Océan. Nous aimons le débat, les idées, les différences d’opinions, les débats d’idées, en gros tout ce que la néo-morale de la société française tend à supprimer. Nous pensons qu’il n’y a jamais eu autant de décalage entre ce que la société prêche : tolérance, respect, égalité, libre expression, démocratie, justice, et ce qu’elle nous offre : politiquement correct suintant d’hypocrisie, interdiction de proférer des opinions susceptibles de créer la moindre controverse publique, contrôle total des pensées, des comportements par l’emprise d’un Etat « Matrix » et d’une société pleurnicharde et consentante, absence de démocratie, de justice.
La Bonne Nouvelle, c’est que, dans un Etat de dictature consentie, le rôle des mots, le rôle de l’écrit, et surtout des livres n’a jamais été aussi important. Pour nous inspirer, nous faire réfléchir, nous élever au dessus de notre condition pas très reluisante. Alors, Les Editions de Londres seraient-elles la pilule rouge offerte à Néo ?
La deuxième Bonne Nouvelle, c’est que l’Internet révolutionne la diffusion et l’accès à l’écrit. La Révolution numérique, c’est aussi celle des livres, et d’autres formes d’écrit. Quand on sait ce que l’invention de Gutenberg a fait pour la civilisation Occidentale, de la Renaissance aux Lumières, alors on a le droit et le devoir d’espérer. (Espoir= L’espoir)
Pourquoi les éditions de Londres ?
Londres, c’est aussi la capitale de la proscription européenne. Comme aujourd’hui pour les jeunes réfugiés politiques français, c’est la capitale des anarchistes, des communistes et de tous les révoltés européens au milieu du Dix Neuvième siècle. C’est le lieu de refuge des anarchistes français chassés par les lois scélérates de 1894…C’est le point de rencontre de tous les opprimés, de tous les résistants de l’Europe pendant la seconde guerre mondiale.
Autre maison d'édition qui répand la Bonne Nouvelle, Publie.net, et là je peux lire Blanqui, et son texte majeur, Instructions pour une prise d'armes, qui commence ainsi:
Ce programme est purement militaire et laisse entièrement de côté la question politique et sociale, dont ce n’est point ici la place : il va sans dire d’ailleurs, que la révolution doit se faire au profit du travail contre la tyrannie du capital, et reconstituer la société sur la base de la justice.
Pas de doute: Internet est l'espace et le vecteur d'une révolution à travers laquelle les structures de pouvoir établies (qu'il s'agisse de politique ou de littérature) sont secouées et seront bouleversées. Que les écrits anarchistes y refleurissent est plus qu'un symbole, c'est la nourriture naturelle dont les acteurs du Net ont besoin pour développer de nouveaux modèles. Que les super-Etats s'en effraient et lancent la charge n'a également rien d'étonnant: c'est là que se joue leur chute, et ils se serviront de tous leurs grands mots (aujourd'hui c'est droit d'auteur) et de leur flicaille juridique pour empêcher qu'on les fragilise.
Pour ce qui est de l'édition, les grands groupes ont en effet tout à craindre du numérique. Au fond ils le savent bien: d'ici deux-trois ans, plus personne n'achètera les textes du domaine public dans leurs éditions papier, et tout le monde les téléchargera gratuitement pour les lire sur des liseuses. Balzac, Hugo, Rimbaud et quantité d'autres ne feront plus partie de leurs marchandises. Une chance peut-être de vendre encore: faire des éditions numériques avec un appareil critique nouveau et novateur. Et pour la littérature contemporaine, qui aura encore envie de lire sur les torchons salissants à quoi ressembleront bientôt les livres papier à côté des tablettes numériques ? Gros éditeurs, vous pouvez pleurer en effet: votre âge d'or est fini.
Donc, évidemment, pour les potentats de l'édition, le numérique est une dangereuse anarchie, et qui le défend (ou plutôt le pratique) est un criminel associé aux Apple et Amazon. Mais cela fait partie aussi de la Bonne Nouvelle: Ecrivains, éditeurs numériques, vous êtes devenus infréquentables, ce qui est quand même mieux que de finir à l'Académie française ou chez Ruquier ! Alors surtout n'oubliez pas d'équiper vos maisons et appartements d'une chambre forte avec fermeture électronique, ça peut toujours servir !