22 févr. 2012 -
Quelles sont les marques que les Français plébiscitent ou au contraire rejettent ?
Pourquoi ces ressentis ? Quelles sont les valeurs associées aux marques ? Lesquelles sont dans l'air du temps ? Des questions auxquelles s'attaque Brand Obs. Catherine Veillé, Directrice Générale d'Ipsos Insight Marques et conceptrice de cet observatoire, évoque pour nous cet outil évolutif, innovant, à l'esprit et au process originaux.
Deux vagues de Brand Obs se sont déjà succédées. On guette la 3ème avec intérêt. Qu'est-ce qui vous a amenée à concevoir cet outil d'un genre nouveau en matière de branding ?
En premier lieu, ma passion pour l'univers des marques, pour tout ce qui a trait à leur création, à leur développement, à leur imaginaire, à leur médiatisation ; en particulier le recours au story telling, ce levier narratif qui donne vie aux marques. D'autre part, je suis qualitativiste mais je dois avouer qu'il me manquait un outil quantitatif et créatif en même temps ; un moyen permettant aux individus de s'exprimer simplement, directement et de manière ludique, en plaçant l'analyse quali à la distance idéale pour observer. Brand Obs, c'est 2 000 français de 16 à 64 ans interviewés on line, avec une possibilité d'établir des typologies d’individus selon leur préférence de marque. C'est surtout le moyen de nourrir une analyse qualitative par une étude quantifiée des systèmes de valeurs affectés aux marques. Il s'agit en ce sens d'un outil qualitatif, quantitatif et créatif à la fois, avec la marque au coeur du dispositif, comme indicateur de tendances et révélateur de personnalité.
Justement, vous qui avez fait des marques votre terrain d'étude privilégié, qu'est-ce qui vous séduit le plus dans leur observation ?
Les marques nous parlent en profondeur de la manière dont nos sociétés évoluent. Leur observation nous renseigne directement sur les changements en cours. Elles se nourrissent des valeurs et des tendances qui sont dans l'air du temps.
Encore que l'on ne sache plus très bien qui nourrit qui, tant les annonceurs, les publicitaires et les marketers stimulent ou accélèrent aussi ces évolutions ?
Brand Obs montre bien que d'une année sur l'autre, de nouvelles thématiques sont promues par les marques ; des thématiques qui rendent compte elles mêmes de l'évolution des aspirations des Français. Mais qui décide de quoi ? En fait, c'est l'une des raisons pour lesquelles j'ai tant tenu à ce que Brand Obs s'écarte des études conventionnelles, cloisonnant le consommateur dans l’univers marketing de marques catégorisées, pour laisser les individus s’exprimer et penser spontanément en fonction de leur paysage mental de marques ; celles qui s'imposent à leurs esprits selon leurs propres systèmes de représentations. Brand Obs étudie l'affect du consommateur et non son intellect. Il cherche à réveiller l’instinct ludique ancré en chacun. Brand Obs met ainsi à niveau toutes les marques pour laisser naviguer librement l’interviewé avec ses propres règles de repérage. Un consommateur dans son panier mental peut parfaitement mélanger Prada, Nutella et Ikea.
Brand Obs est aussi un instrument "théorique" qui permet d'étudier de manière vivante ce que revêt la notion de marque, avant même d'observer comment chacune d'entre elles existent, se comportent, rivalisent, etc. Va-t-on voir, par exemple d'ici quelques années, un nom de personnalité, d'animateur télé ou d’émission être cité spontanément comme marque au même titre que les noms de distributeur, banque, chaîne de télévision sont apparus très récemment en tant que marque dans l’esprit des consommateurs ?
Brand Obs tente en fait de percer le "mystère" de la relation première, intuitive, qui fait que l'on aime ou que l’on n’aime pas une marque. J'aime/j'aime pas, voilà un indicateur simple et usuel (cf. le fameux "like") pour mesurer d’emblée la charge affective d’une marque. Le « brand liking » révèle la relation personnelle et impliquante de l’individu avec la Marque dans toute sa globalité : institution, entreprise, hommes, valeurs..
Cette articulation binaire j'aime/j'aime pas, en dit pourtant long sur nos contemporains. Dis moi quelle marque tu aimes ou pas et je te dirai qui tu es ?
Oui, au travers des indicateurs d'amour ou de rejet pour une marque, on en apprend beaucoup sur le profil de l'individu. En ce sens, les marques sont d'excellents révélateurs de personnalité. De surcroît, le fait de chercher à comprendre le pourquoi de cet amour ou de ce désamour, nous pousse naturellement à identifier les valeurs dont les marques sont porteuses dans un système de préférence ou de rejet.
Brands Obs, c'est un paysage de 120 marques. Pourquoi 120 ?
Parce qu'il s'agit d'un outil bâti sur une interface Web. Or 120, très concrètement, c'est la limite de ce que l'œil peut enregistrer à l'écran. Ajouté au fait que contrairement à une étude classique, je voulais avoir ce rapport ludique à l'interviewé, calqué sur l'ergonomie d'un jeu vidéo.
Qu'est-ce qui a présidé au choix des marques ?
L'étalonnage s'est fait à partir de différentes sources internes Ipsos, à savoir de l'Observatoire des 4500, du World Luxury Tracking, etc. ; des données croisées avec celles de plusieurs publications de référence sur la notoriété des marques telles que le Best Global Brands. Ce corpus devait en outre s'avérer représentatif d'univers les plus variés possibles en écartant les marques trop internationales ou institutionnelles, qui valorisent surtout l'aspect économique ou financier. Il s'agit ainsi exclusivement de marques auxquelles les Français ont affaire dans leur vie de tous les jours.
Comment procédez-vous à la mise à jour du corpus ?
Il est ajusté chaque année en juin en fonction des taux de notoriétés top of mind, révélés par les 2 000 interviewés lors des vagues antérieures. La première question que nous posons étant : "Spontanément et sans réfléchir, tous univers confondus quelles sont les 5 marques qui vous viennent directement à l'esprit ?". Cela nous amène à retoquer des marques qui à l'évidence n'appartiennent plus au paysage mental des consommateurs français. Ou au contraire, à en retenir d'autres qui intègrent ce paysage. Je pense notamment à Facebook et Picard qui s'inviteront dans le prochain Brand Obs.
Vous ajoutez à ce corpus un nuage de 72 mots clés. Pourquoi ?
Cette carte de valeurs, organisée autour de 6 axes, permet à l'individu de justifier pourquoi il aime ou n'aime pas telle ou telle marque. Pour chaque marque citée, nous demandons à l'interviewé de cliquer sur les trois mots qui justifient cet amour ou désamour. On s'appuie alors sur ces différents mots clés (pureté, nature, sécurité, qualité, etc.) pour faire raisonner l'individu. Ces concepts sont dûment organisés, du plus simple au plus technologique, du plus masculin au plus féminin, etc. C'est toute une logique qui préside en fait au positionnement de ces concepts les uns par rapport aux autres, pour que l'individu puisse nuancer son jugement. J'aime ou je n'aime pas cette marque parce que je trouve qu'elle est ceci ou cela ou bien "trop" ou "pas assez" ceci ou cela. Je vais donc cliquer pour donner un avis et le nuancer. Dans ce système de carte des mots clés, l'individu fait pleinement jouer sa sensibilité.
Cet exercice sensible révèle-t-il des affinités entre marques ?
Oui, il met clairement en valeur des marques "amies" ou "ennemies" ! Brand Obs permet à la fois de fournir une cartographie des marques qui sont dans l'air du temps, celles qui sont aimées et celles qui ne le sont pas, mais il permet aussi à nos clients de voir quelles sont les proximités de territoire entre leur marque et d'autres, en apparence éloignées. Le regroupement affectif va permettre de voir sur quels systèmes de valeurs ces marques sont proches et de se dire que par cette proximité de territoire, on peut peut-être retravailler sa stratégie de marque, faire du co-branding pour nourrir son positionnement, raconter une histoire similaire ou au contraire compléter une partie de l'histoire que l'on ne peut pas raconter.
Deux mots pour finir sur les marques plébiscitées par les français. Ne font-elles pas trop la place aux marques valorisantes, aux marques de luxe en particulier ? Et rappelez-nous quels sont les mots clés à retenir pour séduire en 2012 ?
Non, l’aspiration n’est pas le luxe. Les marques dans l’air du temps sont technologiques, épurées, simples, innovantes, esthétiques (Apple- Audi), "sport lifestyle" et "egonistes" (Nike-Adidas). Elles rendent la vie plus facile et ingénieuse (Ikea). Elles apportent un plaisir régressif nostalgique (Nutella) ou de la joie de vivre de l’optimisme (Coca cola).
Pour ce qui est des valeurs émergentes cette année, j'en citerai deux : celles du chic et de l'audace, autrement dit la quête de l’esthétisme, de la distinction, de l’élégance d’une certaine allure et la capacité à réinventer les choses, à surprendre à bousculer l’ordre établi.
Catherine Veillé
Directrice Générale, Ipsos Insight Marques
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