Interview de l'économiste, professeur à Télécom Paris (ENST)
Michel Gensollen, économiste, professeur à Télécom Paris (ENST).
En quoi « Second Life » est-il un jeu d'un nouveau genre ?
C'est le premier univers virtuel donnant naissance à une économie mixte, à cheval entre deux mondes. Le point crucial est l'abandon par Linden Lab du copyright sur les biens créés dans le jeu. Ils peuvent alors être valorisés par leurs auteurs dans le monde réel, puisque la monnaie est convertible.
Qu'est-ce que cela change ?
On n'est plus vraiment dans un jeu ! Linden Lab a pris acte du fait que l'univers virtuel est désormais un sous-ensemble du réel, et que le temps passé à y créer des objets est du temps de travail générateur de valeur.
Peut-on encore distinguer économie virtuelle et réelle ?
De moins en moins. SL met en lumière la convergence entre réel et virtuel, au point que certains prédisent déjà l'effacement de cette frontière !
Le business y a-t-il un bel avenir ? Plutôt pour les particuliers ou pour les entreprises ?
Le business dans Second Life à principalement deux origines :
• il y a des créateurs dans Second Life, c'est-à-dire des
particuliers qui travaillent dans cet univers et y produisent des biens
immatériels qui sont exportables dans le monde réel : il peut s'agir
d'idées (mais celles-ci ne sont pas brevetables dans le monde réel), de
formes (par exemple dans le domaine de la mode), de marques, de biens
culturels (morceaux de musiques ou séquences vidéo, par exemple),
• inversement, les entreprises qui produisent dans le monde
réel des biens et services riches en information, peuvent dans
l'environnement de Second Life, à la fois tester certains modèles, et
les promouvoir auprès de divers segments de clientèle.
Pour le moment il y a développement parallèle de ces deux business
(particuliers et entreprises) mais il est probable que ce sont les
particuliers qui bénéficieront le plus, à terme, du développement des
mondes virtuels avec la création d'une classe de
consommateurs-producteurs, innovant pour des gens ayant les mêmes goûts
qu'eux.
- La Corée du Sud s'apprête à interdire l'utilisation de monnaie
virtuelle convertible en vraie devise dans des jeux comme Second Life.
Qu'en pensez-vous ?
Le cadre de référence de ceux qui veulent interdire la conversion des
monnaies virtuelles en monnaies réelles est le monde persistant des jeux
multi-joueurs. En effet dans ce cadre, la vente d'objets virtuels peut
s'analyser comme une tricherie d'un joueur qui veut acheter avec sa
fortune réelle une situation dans le monde ludique. Pourtant, même dans
ce cadre, on peut soutenir que de telles ventes sont un moyen pour
l'utilisateur de se déplacer dans le déroulement du jeu, un peu comme le
lecteur d'un roman feuillette un livre et ne lit attentivement que les
passages qui lui plaisent.
L'interdiction de changer des monnaies virtuelles contre de vraies
devises, outre qu'elle peut nuire au développement des mondes virtuels,
est impossible à imposer concrètement, de la même façon que la copie et
l'échange de fichiers numériques, même interdits, se développent
rapidement parce que chacun voit qu'il s'agit là de comportements qui
sont globalement bénéfiques.
Recueilli par J. B.-P.