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Après
Perrier et ses traces de benzène, Nike et ses salariés de moins de 12
ans, Quick et son staphylocoque doré et Total et sa marée noire, voici
Findus et sa viande de cheval. Dernière née d’une longue série de
scandales qui, année après année, ont alimenté les rédactions,
bouleversé l’opinion et secoué des entreprises tour à tour épinglées
pour manquement aux règles d’hygiène, atteinte à l’environnement ou
encore tromperie sur la marchandise, l’affaire défraye la chronique
depuis des semaines.
Au point qu’elle a même volé la vedette, à la une des journaux, au Pape Benoit XVI et à l’annonce surprise de son départ. Qu’une affaire d’étiquetage sur produits surgelés puisse avoir plus d’impact que la démission historique d’un chef d’Etat en dit long sur le climat de défiance du moment et sur sa propension à exacerber les risques et les peurs. Une réalité qui, parce qu’elle a pour effet d’accroître l’exposition des marques au risque médiatique, pose également la question de leur résistance au scandale. Autrement dit, de leur capacité à survivre aux crises, quelles qu’elles soient.
Pour y parvenir, pas d’antidote miracle mais quelques principes fondamentaux pour, dans un premier temps, circonscrire l’incendie et, dans un second, relancer la machine afin que, quelques mois ou quelques années plus tard selon la gravité de l’offense, les parts de marché soient revenues à leur niveau d’origine et l’image restaurée.
“C’est pas moi, c’est lui”
Pour Vincent Leclabart, président de l’agence de publicité Australie,
comme pour nombre de professionnels de l’image, deux tentations sont à
bannir en matière de communication de crise. Celle qui consiste à garder
le silence et celle qui pousse au réflexe bien connu du “C’est pas moi,
c’est lui” consistant à accuser, au choix, un salarié, un sous-traitant
ou un actionnaire. Deux tentations auxquelles Findus a de toute
évidence cédé en choisissant de garder le silence pendant deux jours
alors même qu’il était attaqué de tous côtés, puis en cherchant à faire
porter l’entière responsabilité du problème à son fournisseur,
l’entreprise Spanghero. Des attitudes qui passent d’autant plus mal
qu’elles corroborent le sentiment, largement répandu dans l’opinion, que
les grandes marques manquent de transparence et d’humilité.
Récemment réalisée par TNS Sofres pour Australie, l’enquête “Grandes entreprises et consommateurs : le grand malentendu” en atteste : seules 29 % des personnes interrogées jugent leur communication transparente et 24 % les estiment capables de reconnaître leurs erreurs. Dans ce contexte, Vincent Leclabart est formel : “Lorsqu’une crise survient, il faut occuper le terrain et se montrer concerné par le tort occasionné.”
Ce qu’a très bien su faire Picard dont le président, Philippe Pauze, a rapidement pris la parole dans un petit film diffusé sur You-Tube au cours duquel il présente ses excuses aux clients de l’enseigne et explique avoir retiré des ventes tous les produits incriminés. Le message est clair, le ton sincère. De quoi reprendre la main et stopper ce que Michel Perret, directeur général en charge de la stratégie chez Leo Burnett, appelle “le processus d’emballement de l’information non-maîtrisée”. “Dans ce type de crise, vient un moment où se constitue, autour d’une information, un corpus de discours qui façonne une opinion ; ceci, que l’émetteur y prenne part ou pas, explique-t-il. Garder le silence est donc la pire des solutions puisque cela revient à n’avoir aucune prise sur le phénomène et donc, à laisser libre cours à toutes les interprétations.”
Tout aussi déconseillée, la ligne de défense consistant à rejeter la faute sur d’autres que soi. Motif : elle aboutit généralement à aggraver la crise de confiance à laquelle toute marque se trouve immanquablement confrontée dès lors qu’elle apparaît avoir manqué à ses responsabilités. A commencer par celle, essentielle puisqu’au cœur de sa raison d’être, “consistant à offrir une garantie de qualité”, rappelle Jean-Pierre Piotet, fondateur de l’Observatoire des Marques et de la Réputation.
“Une bannière qui justifie un prix plus élevé parce qu’elle envoie ce message au consommateur : “Avec moi, vous êtes tranquilles”.” Dans ce contexte, chercher à déplacer les torts vers d’autres maillons de la chaîne apparaît non seulement inopérant mais aussi totalement contre-productif, “puisque cela revient à admettre ne pas avoir rempli cette fonction de contrôle sur ce qu’elle vend”, résume Jérôme Guilbert, directeur général de McCann Paris et chargé d’un cours “Risques, peurs et alertes” à Sciences-Po, pour qui le procédé a alors pour seul effet d’accentuer l’inquiétude, au risque de voir celle-ci dégénérer en paranoïa. Ce qui s’est produit dans l’affaire Findus à l’instant même où l’on a cessé de parler d’un problème d’étiquetage pour évoquer une crise sanitaire.
Le danger du fantasme collectif
A l’origine de cette surenchère dans l’accusation, un emballement des
peurs et la transformation d’éléments factuels – ce n’est pas du bœuf
mais du cheval – en “fantasme collectif”. Ce qui, estime Jérôme
Guilbert, est clairement le cas lorsque l’on voit fleurir dans les
médias et chez les politiques des concepts tels que “contagion” ou
“contamination”, prouvant que l’on a quitté la problématique de la
traçabilité pour celle de la santé publique et que, par conséquent, la
crise est hors de contrôle.
Chez Australie, Vincent Leclabart n’est pas surpris. Pour lui, le “récit Findus” véhiculait trop d’éléments propices à l’exaltation des peurs pour rester bien longtemps cantonné au strict domaine du rationnel. “Dans cette affaire, tous les ingrédients sont réunis pour accroître le mystère, estime-t-il : cela se passe loin, en Roumanie – terre brumeuse et escarpée… – il s’agit de cheval – viande interdite, un peu sacrilège – et le tout est négocié par un trader – figure machiavélique s’il en est ! En clair, c’est exotique, c’est amoral et c’est lié à la finance : tout y est pour faire peur.”
Autre élément de contexte aggravant : le fait qu’un fonds d’investissement ait succédé à Nestlé – entreprise bien connue et à fort crédit d’image – à la tête de Findus, alimentant ainsi de façon implicite l’idée d’un vaste complot ourdi par des financiers uniquement soucieux d’accroître leurs profits. Caricatural ? Pas tant que cela, estime Jean-Pierre Piotet pour qui le fait que Findus comme Spanghero aient toutes deux appartenu à des fonds a clairement joué en leur défaveur.
“Chez Bongrain qui est une entreprise familiale – avec un vrai sens de la responsabilité et une intransigeance sur les fondamentaux – ou chez Danone qui est gérée comme telle, ce genre de chose ne serait jamais arrivé, estime-il. On le sait : un fonds place la question du prix de revient avant toute autre considération alors que chez une marque, la priorité doit invariablement être le consommateur.” Surtout sur un secteur tel que celui des produits transformés où, pointe Jérôme Guilbert, “le poids du label est d’autant plus important que l’on ne voit pas ce qu’on mange”.
La nature du produit, des charges, du contexte… Tout concordait donc dans l’affaire Findus pour créer, à l’arrivée, un faisceau de présomptions suffisamment large pour valoir à la marque une condamnation médiatique immédiate. Condamnation dont, à première vue, elle devrait avoir du mal à se relever. Pourtant, nombreux sont ceux qui parient déjà sur son retour en force. D’abord parce que la propension du consommateur à oublier le fera bientôt passer à un autre sujet de scandale ; ensuite parce que la capacité des marques à survivre aux crises n’est plus à démontrer. Démontrons néanmoins.
Proximité et humanité
Pour Jérôme Guilbert cette forme “d’élasticité” et de résistance aux
chocs dépend avant tout de l’imaginaire qui leur est attaché. “De cette
part d’attachement irrationnel lié à un nom que les gens côtoient depuis
longtemps – ce qui est le cas de Findus – ou qu’ils associent à des
valeurs positives.” Autrement dit, à une forme de proximité avec le
public que l’agence Leo Burnett s’est employée à quantifier et évaluer
dans une étude parue ces jours derniers sur ce que l’agence appelle “le
quotient humankind des marques”.
La typologie établie fait émerger quatre familles de marques, plus ou moins cotées selon qu’elles apparaissent “humaines” ou non. Tout en haut du classement, les premiers de la classe (15 % des marques présentes en France, pas plus, parmi lesquelles Ikea et Google) dont les personnes interrogées disent “comprendre l’utilité et reconnaître la capacité à agir” et qui, révèle l’étude, comptent en moyenne deux fois plus de “fidèles” et de parts de marché que les autres. A l’extrême opposé, celles dont, à l’inverse, la raison d’être n’est pas clairement identifiée et qui ne sont pas perçues comme “agissantes” par le public, ce qui est le cas de 66 % des marques présentes sur le territoire national.
Pour Michel Perret, c’est cette différence de perception qui, en temps de crise, fera toute la différence, les entreprises figurant dans cette dernière catégorie n’offrant qu’une faible résistance aux attaques alors que les premières semblent jouir d’une relative immunité. Ou, plus exactement, d’une tolérance accrue pour avoir su établir avec leur public une authentique proximité. Un lien fait d’éléments objectifs – la qualité, la fiabilité, la diversité de leur offre, etc. – mais aussi d’une bonne dose d’affect. “Comme si ces marques avaient réussi à tisser avec le consommateur un lien de personne à personne qui les rendait plus dignes d’être pardonnées”, résume Michel Perret qui cite l’exemple récent d’Ikea dont la direction dut, il y a quelque temps, faire face à des accusations d’espionnage des salariés.
Pour une marque dont le discours reposait sur la confiance, le partage, la simplicité, l’affaire aurait pu s’avérer désastreuse. Pourtant, elle passe quasiment inaperçue. Pour Michel Perret, cela n’a rien d’un hasard. “C’est ce que la directrice marketing adjointe d’Ikea France, Stéphanie Jourdan, résumait récemment en disant : “l’erreur est humaine”, explique-t-il. Lorsqu’une marque parvient à s’humaniser, à apparaître non plus comme un concept lointain et désincarné mais comme une personne, alors elle aussi peut être pardonnée.” D’autant plus facilement qu’elle ne se contente pas de se plier à la figure obligée du mea culpa mais apporte la preuve de sa capacité à agir.
La rédemption par l’action
Ce qu’a très bien su faire Perrier lorsque, en 1990, l’entreprise réagit
à la découverte de traces de benzène dans quelques-unes de ses
bouteilles en optant pour un retrait total de ses produits – soit 160
millions de bouteilles à l’époque – et pour une communication
extrêmement directe et transparente. Un choix coûteux, certes, mais qui
permettra de préserver la réputation de la marque. Même gestion de crise
chez l’enseigne de restauration rapide américaine Jack in the Box qui,
quelques années après Perrier, se voit accusée d’avoir causé la mort de
trois consommateurs contaminés par la bactérie E.Coli présente dans
certaines de ses préparations à base de viande hachée. Le coup est rude.
Pourtant, l’enseigne va gérer la crise avec une efficacité qui en fera
un cas d’école.
“Le président a immédiatement pris la parole pour reconnaître l’entière responsabilité de l’enseigne dans ces trois décès mais il n’en est pas resté au stade du mea culpa, se souvient Michel Perret. Il a expliqué que le problème a l’origine du drame avait été identifié et traité.” Et dans les mois qui suivent l’affaire, l’enseigne va plus loin en militant pour l’instauration de nouvelles procédures de sécurité dans l’industrie alimentaire et en créant une task-force dédiée à la question. Trois ans plus tard, Jack in the Box est élue “enseigne de fast-food la plus sûre des Etats-Unis”.
A l’origine de ce retournement spectaculaire, une gestion de crise en quatre temps : mea culpa, identification du problème, mise en place de mesures opérationnelles pour le solutionner et communication autour de ces mesures. Une procédure également appliquée par Mercedes lorsque sa première Classe A échoue, à quelques semaines du lancement, à un test d’évitement. Le constructeur réagit en repoussant sa mise sur le marché et en reprenant les essais jusqu’à ce qu’il soit en mesure d’identifier et de corriger le défaut détecté.
“Au final, l’incident et la façon dont l’entreprise l’a géré ont eu pour effet de renforcer le positionnement premium de la marque, de la rendre conforme à son slogan “des voitures exigeantes pour des gens exigeants” et de retourner l’opinion publique en sa faveur”, explique Michel Perret qui résume : “Ce qui explique la résilience des marques, c’est leur capacité à agir. A traiter le problème et à le faire savoir.” Alors la rédemption est possible. Voire, dans certains cas, la conversion d’un accident sanitaire ou industriel en levier de confiance puisque, rappelle Jérôme Guilbert, ce qui fait la puissance d’une marque “c’est avant tout sa capacité à dire la vérité, dans un sens – “je suis le meilleur” – comme dans l’autre – “j’ai commis une erreur””. Puisqu’on vous le dit.