Détrôné, Apple cherche à se racheter
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par Christophe Alix
Photo Lucas Jackson / Reuters
L’histoire retiendra-t-elle un jour que l’âge d’or de la pomme croquée aura duré dix ans ? Dix années au cours desquelles la croissance folle du plus célèbre des fabricants de high-tech n’aura cessé de repousser les limites d’une rentabilité qui forçait l’admiration des marchés et de la concurrence lancée à ses trousses. En forçant à peine le trait, cette décennie dorée, qui fit de cette entreprise la première capitalisation boursière de la planète pendant dix-huit mois, jusqu’au début de cette année, semble aujourd’hui appartenir à un autre temps.
Depuis le sommet de septembre où le titre culmina à 702 dollars (540 euros), l’action du géant californien a chuté de 40%, et vient de passer sous le seuil des 400 dollars. Et pour la première fois hier, Apple a annoncé le premier recul de son bénéfice net après presque quarante trimestres de hausse. Malgré un chiffre d’affaires impressionnant de 43,6 milliards dollars sur les trois premiers mois de l’année, en hausse de 10%, la plus belle cash machine de la première décennie du XXIe siècle a vu sa rentabilité chuter de 18%, à 9,5 milliards de dollars (7,3 milliards d’euros).
Ces chiffres à faire pâlir d’envie n’importe quelle entreprise signent-ils le début d’une normalisation d’Apple, dans le paysage très mouvant des nouvelles technologies ? Explication d’une entame de déclin financier qui, comme le dit le successeur de Steve Jobs à la tête de l’entreprise, Tim Cook, s’avère « très frustrant pour nous tous ». C’est-à-dire pour les millions d’actionnaires d’Apple et ses quelques dizaines de milliers de salariés.
Pourquoi le bénéfice recule-t-il ?
Sur un plan commercial, les ventes d’Apple ont progressé par rapport à la même période l’an dernier. La firme aura écoulé 37,4 millions d’iPhone au premier trimestre (+ 7%) et 19,5 millions d’iPad (+ 65%). Alors que le marché anticipait un désastre, les ventes ont résisté après une fin d’année record — 47,8 millions de smartphones et 22,9 millions de tablettes vendus. « Apple reste très fort », affirme Tim Cook, insistant sur la fidélité des clients et la force d’un écosystème constitué, entre autres, par ses boutiques en ligne iTunes et AppStore, qui représentent une base captive de 400 millions de clients, de très loin la première au monde pour les contenus dématérialisés. Mais c’est le « panier » des acheteurs qui a évolué. Une part conséquente des volumes écoulés concerne soit des produits d’ancienne génération (iPhone 4 et 4S), soit des nouveautés sans innovation (iPad mini), dont les prix plus bas dégagent des marges inférieures. Tim Cook a reconnu que l’iPad mini pouvait cannibaliser les ventes de son grand frère, mais Apple préfère organiser sa propre concurrence plutôt que de laisser à d’autres le soin de grignoter des parts de marché encore hégémoniques dans les tablettes.
Cette évolution des ventes s’est logiquement fait sentir sur la marge opérationnelle du groupe, passée d’un stratosphérique 47,4% il y a un an à 37,5% au dernier trimestre. Une dégradation qui inquiète d’autant plus les investisseurs qu’Apple a déjà prévenu qu’elle allait se poursuivre et atteindre 36 à 37% au prochain trimestre. « Les investisseurs adoreraient savoir quand ces marges vont se stabiliser, explique Rob Cihra, du cabinet Evercore Partners. Malheureusement, Apple ne nous a pas donné de réponse. »
Comment l’entreprise répond au mécontentement des actionnaires ?
A défaut de les rassurer sur l’évolution de sa rentabilité, le fabricant a promis hier d’inonder de cash ses actionnaires, dans des proportions jamais vues. Grâce à une trésorerie de 145 milliards de dollars (110 milliards d’euros) accumulée à la fin mars, Apple prévoit de financer « le plus gros rachat d’actions de l’histoire ». Il s’agit de faire remonter un cours — notoirement sous-évalué aujourd’hui — devenu au fil des années une valeur refuge des fonds d’investissement et des épargnants américains. Annoncé l’année dernière, ce programme de 100 milliards de dollars va servir à racheter pour 45 milliards d’actions supplémentaires d’ici à 2015 et permettre d’augmenter de 15% le dividende trimestriel versé aux actionnaires. « Nous générons des liquidités en excès par rapport à nos besoins », explique Tim Cook qui espère ainsi pouvoir enrayer la chute de son cours de Bourse. En réalité, Apple cède surtout aux pressions du marché. Tout récemment, un fonds lui avait reproché de ne pas faire assez profiter ses actionnaires de sa masse énorme de liquidités.
Cette annonce ne semble pas avoir eu beaucoup d’effets. Alors qu’elle avait d’abord fait remonter très vite le titre de 5% dans la foulée de la conférence téléphonique de Tim Cook avec les analystes, l’action perdait hier 1,26% à Wall Street, à 401 dollars à la mi-séance. « Il y a beaucoup de confusion autour d’Apple », expliquait hier un analyste, tandis qu’un autre critiquait cette logique purement financière. « Les marchés constatent qu’Apple n’a pas à ce jour de solution pour retrouver de la croissance », commentait Walter Piecyk du cabinet BTIG Research. D’où le sentiment que Tim Cook a peut-être frappé un énorme coup d’épée... dans l’eau.
Comment rebondir ?
Afin de rassurer les investisseurs, Tim Cook s’est dit « très confiant dans le portefeuille de produits en préparation ». Il leur a promis « d’incroyables nouveaux appareils, logiciels et services [...] cet automne et tout au long de 2014 ». Or, Apple n’a présenté aucune nouvelle « rupture » technologique depuis l’iPad en 2010 et de nombreuses voix se sont élevées, mettant en doute la capacité de Tim Cook à continuer à innover comme du temps de Steve Jobs. Les analystes tentent bien de « lire » l’avenir en scrutant ses commandes de composants et d’écrans. Mais l’exercice est devenu très difficile, en raison de la diversification des sources d’approvisionnement afin de ne plus dépendre, comme avant, de Samsung, devenu l’ennemi numéro 1.
Des internautes imaginent la iWatch - Photo Brett Jordan, CC BY
Parmi les pistes évoquées, celle d’un iPhone low-cost semble la plus sérieuse. Destiné prioritairement aux pays émergents comme la Chine et l’Inde, il permettrait à Apple d’y concurrencer les dizaines de mobiles équipés du système Android de Google, plus adaptés au pouvoir d’achat des classes moyennes. Même s’il ne s’agit que de rumeurs, Apple plancherait aussi sur une montre connectée révolutionnaire, baptisée « iWatch » par la presse. Sans oublier l’Arlésienne d’un « téléviseur », jamais commentée à ce jour par Apple, mais dont beaucoup disent qu’il s’agissait du projet ultime de Steve Jobs. Des projets, avant une next big thing qui commence sérieusement à se faire attendre.