- Des poussins, juin 2013. REUTERS/Vasily Fedosenko
Vous avez l'impression que la génération suivante s'en sort plus mal que vous? Vous avez raison
source de l'article : http://www.slate.fr/story/85693/heritiers-generation-inoxydable-fragiles
Il y a plus d’un quart de siècle paraissait un ouvrage provoquant sur La génération inoxydable, celle des baby-boomers, «une génération dominante (qui), selon son auteur Michel Cicurel, peut se vanter d’avoir à vingt ans balayé les attitudes sociales rigides du passé et vers la trentaine assuré le triomphe de l’économie de marché». Les études abondent pour ausculter cette fameuse génération à l’aune de son legs historique, et tout débat sur la jeunesse d’aujourd’hui conduit inéluctablement la réflexion vers celle qui l’a élevée et a contribué à son avenir économique –la Revue française de sociologie, fin 2013, a enrichi ce débat par diverses contributions.
Toute chose étant égale par ailleurs (niveau d’éducation, origine familiale, statut d’immigration, genre) existe-t-il objectivement une pénalisation (emploi/salaire) des 20-30 ans par rapport à la génération des baby-boomers? L’inégalité de départ subie par les jeunes adultes d’aujourd’hui, l’entrée sur le marché du travail s’opérant plus difficilement et à un âge plus tardif, se rattrape-t-elle sur la durée, les éléments de carrière étant seulement repoussés dans le temps?
Affinant son analyse économétrique sur les effets de cohorte, le sociologue Louis Chauvel confirme le résultat de ses travaux précédents: il y a effectivement des inégalités de destin entre les générations, et s’il en est une qui a été bénie des dieux, c’est bien celle qui eut 20 ans dans les années 1960 tant en termes d’insertion dans l’emploi que d’évolution du salaire et de la carrière.
Après cette génération au destin exceptionnel, toutes les cohortes suivantes ont dû affronter un marché de l’emploi moins favorable, et des à-coups de la croissance. En conséquence, et malgré l’élévation du niveau moyen d’éducation, les inégalités entre individus se sont recomposées de la façon suivante:
- l’écart de revenus entre les seniors et les juniors s’est creusé au fur et à mesure de l’arrivée des nouveaux entrants sur le marché du travail. Les nouvelles générations à tous les âges de la vie subissent une décote de 10%-20% de leur revenu.
- le handicap de départ –souvent faute de formation ou du bon diplôme– sur le marché du travail ne se rattrape pas dans la suite du parcours professionnel.
- la difficulté d’insertion n’est pas cantonnée aux catégories extrêmes (les sans diplômes ou sans qualification), elle touche jusqu’au milieu de la société française (la médiane des revenus) par une dynamique de dévaluation d’une partie des diplômes –en premier lieu le bac.
Le processus d’écartèlement des conditions économiques entre population jeune et population vieillissante, d’une part, et entre fractions au sein d’une même classe d’âge, d’autre part, est particulièrement marqué dans la société française. Et ce, pour deux raisons: le marché du travail se distribue entre les in (fonctionnaires ou salarié doté d’un CDI) et les out (les emplois précaires), ces derniers emplois étant le lot des nouveaux arrivants; la place que l’on occupe dans la structure sociale tout au long de la vie est plus que jamais déterminée par le niveau de diplôme initial.
Ces rigidités aboutissent à renforcer les situations acquises et à handicaper les possibilités d’insertion d’une partie sans cesse plus grande de jeunes –ce processus existe maintenant depuis plusieurs années et donc, de nos jours, la difficulté d’insertion s’étend aussi à des «adultes confirmés», les 30/40 ans. L’atonie, probablement durable, de la croissance constitue un facteur supplémentaire pour l’exclusion du travail d’une partie de la jeunesse.
Que peut-on déduire des résultats présentés dans ce numéro de la Revue française de sociologie?
Quel sens donner au travail que l'on ne trouve pas?
L’articulation des inégalités intergénérationnelles et des inégalités au sein d’une même classe d’âge entraîne un renforcement des solidarités économiques de la part des parents, voire des grands-parents envers leurs descendants. Les 20-30 ans, qu’ils soient en panne par rapport à l’emploi ou qu’ils arrivent à s’insérer, font l’objet de transferts financiers comme jamais au prorata de la richesse accumulée par les familles au cours des trente dernières années: un mouvement qui, là aussi, creuse de nouvelles inégalités au sein de la jeunesse.
En 2009, la proportion d’individus de 25-29 ans propriétaires de leur logement était de 29%, soit plus que pour les cohortes précédentes au même âge: si cette amélioration touche en premier lieu des jeunes cadres ou des professions libérales, si elle est aussi redevable aux faibles taux d’intérêt de l’emprunt depuis le début des années 2000, elle repose tout autant sur l’accélération des transferts financiers dans les familles aisées. Alors que le poste logement ne cesse de grossir au sein du budget des ménages, être ou ne pas être propriétaire est devenu une clef essentielle de répartition entre les conditions de vie des jeunes.
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