Stylisation de la normalité poussée à l’hardcore, le normcore est la tendance inattendue dont tout le monde parle, du New York Times, à Closer, en passant par nos amis Facebook. Nouvel ordre de la mode ou vaste supercherie ? Probablement ni l’un ni l’autre.
Perçue comme une micro-tendance en vogue chez certains hipsters new-yorkais blasés, le “normcore”, mix-oxymore entre “normal” et “hardcore” est devenu - en l’espace d’un article paru dans un supplément du New York Magazine, de quelques partages et de reprises à toutes les sauces par les ¾ des journaux du monde entier (GQ y compris) - le nouveau phénomène de mode sur-médiatique. Théorisé par le bureau de tendances K-Hole dans son rapport au titre très évocateur “Youth Mode : The death of age”, le normcore est la résultante de l’ère de “Mass Indie” dans laquelle nous vivons : cultiver sa différence étant devenu la norme, le jusqu’au-boutisme voudrait donc que l’on devienne parfaitement normal, si ce n'est banal, voire ringard, pour être différent. Pour rappel, le rôle d'une telle agence de consultants est de prédire les futures tendances dans des domaines divers et variés grâce à leur capacité supérieure à saisir le flou artistique de l’air du temps et à le retranscrire avec une rhétorique certaine dans des PDF peuplés de nuages de mots et d’illustrations puisées sur Google Images. L’analyse va un peu plus loin, en présumant que le normcore est une sorte d’anti-snobisme, une invitation à se poser moins de questions et à finalement suivre les tendances et autres courants mainstream, la normalité étant une forme de liberté face à l’aliénation de “la coolitude qui repose sur la différence” : “pour être vraiment Normcore, vous devez comprendre qu’il n’y a rien de mieux que la normalité” souligne le compte-rendu.
En terme stylistique, l’adoption contemporaine et détournée du normcore par les barbus de centre-ville se traduit par “l’acting basic”, le terme que Fiona Duncan, auteur de l’article de The Cut qui a initié le buzz, semble avoir confondu avec le normcore. Cela consiste tout simplement à s’habiller de façon apparemment ringarde, afin de ne pas se faire remarquer, quoique : un postulat proche de l’anti-fashion des nineties mais surtout la raison pour laquelle le constat initial semblait être la ressemblance frappante et paradoxale entre les hipsters les plus branchés et des touristes paumés grâce à des polaires informes, jeans délavés d’un autre temps, des sandales monacales et des coiffures que la bienséance voudrait interdites. Des ponts ont immédiatement été tendus entre les défilés et magazines de mode les plus pointus, capables de mélanger luxe ostentatoire et design dépouillé (on cite très régulièrement les sandales à fourrure créées par Phoebe Philo pour Céline) dans des tenues hybrides flirtant parfois avec l’ultra-normalité pourtant unique en son genre, qui n’est autre qu’un effet de stylisme.
(Le carré sémiotique du normcore selon K-Hole)