Du 7 au 10 avril dernier, s'est déroulé le MIP TV, marché international de la télévision, qui réunit les plus grands acteurs de la distribution, des programmes et de la création audiovisuelle. Interview de Laurine Garaude, directrice de la division télévision de Reed Midem, organisateurs du MIP TV.
Marketing : Pourquoi avoir choisi comme thème cette année " The New Age of Storytelling " ?
Laurine Garaude : Avant toute chose, rappelons ce qu'est le MIP, un salon international qui accueille cette année plus de 100 pays, 11 000 participants ainsi que 1 700 sociétés de production venues présenter leurs programmes. Outre l'accent mis sur la création et la distribution de programme, le MIP TV met en avant l'innovation et son impact sur la création de contenu. Pour cette raison, nous avons choisi l'Israël, reconnu comme un des acteurs les plus innovants tant au niveau des formats que de la technologie, comme pays d'honneur cette année. Le salon accueille 4000 acheteurs dont, fait notable, 1600 pour les plateformes numériques.
Le thème 2014 qu'est " The New Age of Storytelling " recouvre plusieurs dimensions. Il y a une réelle convergence entre les chaînes de télévision, les producteurs et le digital. Le marché de la vidéo en ligne occupe une place croissante et représente un nouveau et puissant marché. You Tube est d'ailleurs notre partenaire fondateur cette année. Les acteurs du Web occupent une place de plus en plus importante dans le paysage audiovisuel mondial et favorisent le développement de nouvelles écritures et formats.
Pour valoriser et faire découvrir ces contenus, le MIP TV organise pour la première fois les premiers MIP Digital Fronts qui présentent un éventail international de la création de vidéos en ligne : YouTube, son concurrent français Dailymotion, le MCN Maker Studios, le groupe média américain Vice, etc. Il s'agit de faire découvrir aux acteurs classiques de la télé les nouveaux formats et les talents qui les conçoivent.
La social TV est également mise à l'honneur avec la présence de Twitter, mais aussi de nombreuses start-up venues présenter leur activité.
Par ailleurs, ces contenus s'expatrient de plus en plus en plus. C'est une seconde spécificité du marché des programmes : " The New Age of Storytelling ", c'est aussi des programmes du monde entier vus dans le monde entier. La période actuelle se caractérise par la capacité nouvelle des producteurs à exporter leur concept au niveau mondial. Les nouveaux entrants et petits producteurs qui ont développé de bons concepts ont beaucoup plus de chances de percer au niveau international. L'Israël en est une illustration. La série américaine " Homeland " était d'abord un programme israélien avant que le concept ne soit adopté ailleurs. Au niveau des programmes de flux, le format " Rising Star " d'origine israélienne est aussi un succès mondial.
Marketing : La place accordée tant aux start-up qu'à des plateformes comme YouTube marque-t-elle un tournant pour l'industrie audiovisuelle : le Web prend-il le pouvoir sur la télévision " classique " ?
Laurine Garaude : Plus qu'un tournant, c'est l'accélération d'un processus qui voit, chaque année, se renforcer les liens entre ces deux mondes. Progressivement, leurs relations deviennent de plus en plus étroites. Les chaînes médias n'hésitent plus à investir massivement dans les nouvelles plateformes et les MCN (Multi Channel Network) à l'instar de Disney qui a racheté le mois dernier Maker Studios(1) pour 500 millions de dollars.
Plus qu'une prise de pouvoir de l'un sur l'autre, c'est davantage un nouvel écosystème qui se développe sous la forme d'un mariage de savoir-faire et de compétences en réalité. On a besoin de développeurs jeunes et créatifs comme Vice ou Maker Studios et eux-mêmes ont besoin de professionnels qui ont une connaissance des médias. Il est intéressant de noter que le patron de Maker Studios, Ynon Kreiz, était précédemment celui du groupe de production audiovisuelle Endemol.
Le Web et la technologie sont devenus organiques. En témoigne la place prise par le MIP Cube, lieu de rencontre entre les professionnels de la technologie et ceux des programmes audiovisuels, qui permet aux professionnels de découvrir de nouveaux concepts et outils qui marient technologie et contenu : s'il y a quatre ans à sa création, MIP Cube était hébergé sous une tente à l'extérieur du Palais des Festivals de Cannes, il est aujourd'hui au coeur du salon.
Marketing : Qu'en est-il des marques qui, de plus en plus, investissent le brand content and entertainment et deviennent productrices de contenu ?
Laurine Garaude : Si le brand content n'est pas nouveau, il est en forte croissance : de nouveaux formats et récits émergent au carrefour de la publicité et du digital. Ce mariage entre contenus et publicité est une autre dimension du " New Age of Storytelling " : nous assistons à une convergence du monde de la télévision, de l'Internet et de la publicité. Les marques et les annonceurs font de plus en plus appel à la vidéo en ligne non-publicitaire et aux webséries pour capter l'attention, nourrir leur image et créer un buzz viral. C'est le cas par exemple de la série produite par la chaîne de restaurant américaine Chipotle, " Farmed and Dangerous ", qui est présentée pour la première fois en France au MIP. Diffusée sur la plateforme américaine Hulu, la série cherche avant tout à raconter les coulisses et pratiques douteuses d'une firme agro-alimentaire fictive sur un mode satirique.
(1) Maker Studios revendique 5,5 milliards de "vues" par mois pour ses vidéos diffusées sur YouTube, dans la comédie et le divertissement (NDLR).