Il y a eu des grèves. Celle des clavistes de Nice Matin en 1980 qui s’opposent au « contrôle informatique des rendements ». Celle des dactylo-codeuses de l’Insee en 1981 contre le travail sur écran et d’autres qui ont eu lieu dans les banques, les assurances, les PTT, etc.
Elles n’ont pas été soutenues par les centrales syndicales. Des études montrent aussi que beaucoup de gens manifestaient un désintérêt ordinaire pour l’ordinateur, sans s’opposer frontalement : « Qu’est ce qu’ils nous emmerdent avec leur informatique ? »
Et puis il y a eu l’action de micro-groupes actifs, qui font de l’ordinateur un symbole. Aux Etats-Unis, Kirkpatrick Sale détruit un ordinateur en public, en 1995, et tente de réinventer la figure du luddisme. En France, un mystérieux groupe, le Comité liquidant ou détournant les ordinateurs (le Clodo), incendie des entreprises d’informatique, dans la région de Toulouse, entre 1980 et 1984.
Il ne faut jamais oublier que la période précédente a été un grand moment technocritique. La critique post-68 s’est articulée à une remise en cause du productivisme et du gigantisme technologique dont le nucléaire a été le symbole. Il y a alors eu une profusion d’expériences alternatives autour des « technologies démocratiques » ou « conviviales ».
Mon hypothèse c’est que l’informatique a été un formidable bain de jouvence technologique qui a permis de dépasser les contestations. Le nucléaire est retranché derrière des murs et des militaires, contrôlé par un pouvoir centralisé. L’ordinateur apparaît comme un outil démocratique, émancipateur et écologique. En 1977, Jacques Ellul, grand critique de la technique, se dit : « Peut-être que je me suis planté et l’ordinateur va permettre de façonner un monde meilleur. » Il en reviendra par la suite, lorsque l’informatique sera de plus en plus reprise en main par des multinationales prédatrices.
On peut ainsi suivre le parcours de figures comme Stewart Brand, de la contre-culture à la cyberculture. Et cette croyance dans les bienfaits du numérique est encore très présente, même s’il y a eu quelques fissures dans les années 2000 autour des OGM