En 2016, les trend-setters envisageaient le monde comme une grande vague d’opportunités et de menaces, dans laquelle chacun construisait sa digue, pour pouvoir garder le cap et réaliser sa mission de vie. En 2017, ils préfèrent s’échapper d’une réalité, où il n’y a plus de repères et où ils se sentent constamment pris à parti. La nouvelle édition de l’étude Trend Obs analyse ce phénomène et en tire des enseignements pour les marques.
UN MONDE FRAGMENTÉ, POLARISÉ ET CONFLICTUEL
« Tout va de plus en plus mal, par rapport aux années passées », déclare Serena (UK). Les trend-setters interrogés dans le cadre de l’Observatoire quali Trend Obs 2017* dressent un constat inquiétant sur l’époque.
Les repères qui unissaient nos sociétés se disloquent. Depuis la Corée du Sud, Joseph Kim, se sent déstabilisé : « Souvent, je pense au bien et au mal et il est aujourd’hui difficile de ne pas confondre les deux. »
Le bien déçoit ou déroute. Exemple avec le scandale du "dieselgate" qui a entaché soudain la solide réputation de Volkswagen et d’autres constructeurs automobiles.
Le bien affronte même… le bien ! (Comme illustré dans certains films de super héros, "Batman vs Superman : l’aube de la justice", "Captain America : civil war").
L’impossible et l’impensable adviennent, y compris dans les instances dirigeantes. Que dire de la victoire surprise de Donald Trump à la présidentielle américaine ?
Bienvenue dans l’ère « post-vérité » (élu mot de l’année 2016 du dictionnaire britannique Oxford). Les faits objectifs et la raison s’effacent derrière les perceptions et les opinions. La domination des croyances et du story-telling inverse la formule de saint Thomas : « Je ne crois que ce que je vois » devient « Je ne vois que ce que je crois ». De fait, la défiance à l’égard des experts « qui savent » ne cesse d’augmenter.
La polarisation se durcit : les citoyens-consommateurs sont sommés de choisir leur camp et l’histoire qui le met en scène. Apple ou Samsung ? Brexit ou anti-Brexit ? Gauche ou Droite ?... « Nous avons tendance à appliquer une sorte de hooliganisme idéologique sur tous les sujets », déplore Francisco (Espagne). Sans repères communs, la méfiance est la règle et l’autre devient une menace potentielle. « Son histoire risque de contraindre la mienne », pense chacun d’autrui.
« Le bien et la vérité s’effritent et se démultiplient : il n’y a plus de réalité, ou il y a trop de réalités, explique Thibaut Nguyen, Directeur du département Trends & Prospective chez Ipsos Public Affairs. Les individus sont en train d’acter que plusieurs réalités possibles se chevauchent, se superposent, s’opposent. La réalité, c’est alors, pour chacun, concrétiser l’histoire qu’il juge favorable à son projet de vie. »
UNE FORTE ASPIRATION À S’ÉCHAPPER
Le phénomène mondial de l’Escape Game, jeu où les participants doivent parvenir à sortir d’une pièce close, illustre la quête de l’évasion. Fuir la pression, la polarisation, l’angoisse, pour aller vers l’universalité, l’émotion et la spontanéité. Les trend-setters aspirent à trouver une façon d’être eux-mêmes, sans compromis, en lien avec les autres. Cela passe par les émotions et un langage universel. Trend Obs 2017 met en lumière leurs stratégies, pour "appuyer sur la touche escape", à commencer par l’AILLEURS/HIGHER.
AILLEURS/HIGHER
Pour amortir le conflit et la polarisation, les individus filtrent l’environnement extérieur, se créent des SAS. Installer une zone blanche pour mieux filtrer l’environnement extérieur, c’est le principe du boîtier connecté Muzo qui filtre le son dans une pièce, en bloquant les vibrations environnantes ou encore, des concerts où chaque spectateur écoute la musique au casque.
« Deux tiers des trend-setters disent vouloir partir », indique Thibaut Nguyen. Se régénérer dans la nature, s’évader à l’autre bout du monde, s’isoler dans un monastère… Le voyage s’apparente aussi à une aventure initiatique. « J’ai envie de devenir bénévole dans un pays lointain, peut-être l’Inde, précise Borja (Espagne). Je me dis que je perds ma jeunesse ici et que c’est maintenant le moment de m’exiler. »
Ou d’émigrer et de trouver sa terre promise, son paradis. « L’aspiration profonde des trend-setters, poursuit Thibaut Nguyen, c’est que le monde approché lors de leurs échappées devienne réel. L’ailleurs/higher est ce mix de rêves et de tentatives de construire autre chose. » Plus loin donc, mais aussi plus haut (higher) : planer au-dessus de la mêlée, sauter en parachute, piloter un drone, voire s’évader mentalement… avec ou sans artifices.
Quels sont les risques et les opportunités pour les marques ?
Polarisation entre les marques (Uber/Chauffeur Privé – McDonald’s/Burger King…), choix d’un camp (New Balance), engagements croisés (Amazon avec la campagne prêtre/imam)… les marquent ne risquent-elles pas de renforcer le tiraillement interne de leurs consommateurs ? Ne doivent-elles pas se souvenir du client derrière les débats d’idées et de posture ? Les clients n’ont-ils pas besoin de cohérence avant tout ?
S’évader du monde, ou re-construire le sien : les filtres créés par les individus eux-mêmes les amènent à intégrer des communautés de semblables, où l’on peut exister sans compromis au milieu de pairs, dans des modèles fermés et circulaires : les blockchains, l’ouverture de speakeasies, les mouvements discrets… On y créé ses propres règles, on réinvente un monde à son image.
Se couper des ondes négatives du monde extérieur : « Je déteste les gens toxiques, ils absorbent mon énergie comme des éponges […] Mon humeur change en fonction des gens, s’ils sont énervés, cela me rend anxieuse. » Malhogany (USA).
INSTANCES SUPÉRIEURES
En 2016, une tendance plus mystique se distinguait déjà : « Trouver sa magie ». Aujourd’hui, on va plus loin, on pousse les expériences un cran au-dessus (la « magie noire » dans les cosmétiques Garancia, la simulation de sa propre mort en Corée…).
Le besoin de retrouver de la spiritualité dans un monde de surconsommation est très fort. On s’appuie sur un guide, incarné ou non, à qui l’on délègue le soin de réconcilier ces parts écartelées de nous-mêmes.
Qu’il s’agisse de s’en remettre à la Nature comme maître à penser, à ses instincts primaires, ou à de nouveaux "gourous", le désir de guidance est fort, dans un monde instable et difficile à lire : « Retourner à une sagesse ancienne et innée qui nous reconnecte à notre potentiel et notre pouvoir cosmique… » Maxim (UK).
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* Depuis 1997, Trend Obs synthétise les changements de modes de vie et de consommation observés dans plusieurs pays du monde (France, Grande Bretagne, Allemagne, Espagne, Japon, Corée du Sud, USA, Brésil). L’originalité de Trend Obs réside dans son dispositif mêlant entretiens de trend-setters, interviews d’experts, veille internationale, web listening et une synthèse des enquêtes publiées d’Ipsos en France et à l’international. Fort de cet historique, Trend Obs vous aide à déterminer les axes de développement et les pistes d’innovation pour mieux vous positionner dans le monde de demain.
Thibaut Nguyen
Directeur Trends & Prospective, Ipsos Public Affairs
Thibaut Nguyen
Directeur Trends & Prospective, Ipsos Public Affairs
Doan-Anh Pham
Directrice de clientèle Trends & Prospective, Ipsos Public Affairs