En 1845, Henry David Thoreau se retire dans les bois afin de se libérer de toute contrainte sociale. L'écrivain américain y vivra deux ans. De cette expérience naîtra “Walden”, un plaidoyer libertaire où il met en cause le fonctionnement et l'éthique de la société américaine. Ses écrits influenceront Tolstoï, Gandhi, Luther King, Mandela…
Vingt-huit dollars et douze cents : c'est le montant des dépenses effectuées par Henry David Thoreau quand, à partir du 4 juillet 1845 – « par hasard, le jour anniversaire de la fête de l'Indépendance » –, il construit sa cabane dans les bois, sur la rive de l'étang de Walden, à Concord, dans l'Etat du Massachusetts. Il quitte son refuge deux ans plus tard, le 6 septembre 1847, et rédige Walden ou la vie dans les bois pendant huit ans.
« Vers la fin de mars 1845, écrit-il, j'empruntai une hache et m'en allai dans les bois, près de l'étang de Walden, près de l'endroit où j'avais l'intention de bâtir ma maison, et commençai à abattre quelques sapins blancs à la cime élevée en forme de flèche. » Sa devise ? « Simplicity ! » Mais son projet est plus ambitieux : « Je m'en allais dans les bois parce que je voulais vivre sans hâte, faire face seulement aux faits essentiels de la vie, découvrir ce qu'elle avait à m'enseigner, afin de ne pas m'apercevoir, à l'heure de ma mort, que je n'avais pas vécu. »

Voulant vivre aussi simplement que les Indiens dans leur wigwam, il se nourrit de haricots, de bouillie de maïs, de pois et de navets, fait son pain, cueille myrtilles et cerises sauvages, pêche et chasse dans la tradition des pionniers. Il répète à l'envi que thé et café sont nuisibles à la fluidité des pensées.
“En sympathie avec tous les éléments”,
il préfère la compagnie des grives et des scarlates
à celle des commerçants de la ville.
L'homme des bois se dit heureux, libre de toute contrainte sociale, affranchi des obligations qui pèsent sur les deux mille citoyens de Concord. Il se réjouit de ne pas avoir de voisins dans un rayon d'un mile, même s'il consent à raccompagner les promeneurs égarés en hiver, à discuter avec des bûcherons ou à recevoir des amis. « En sympathie avec tous les éléments », il préfère la compagnie des grives et des scarlates à celle des commerçants de la ville.
De ses bois, il considère la vie des urbains avec condescendance. Il le pressentait, mais son exil volontaire le lui confirme : on peut vivre sans argent. De sa caverne feuillue, il dénigre la conception protestante du travail rédempteur, préconise une seule journée de labeur et six de flânerie intellectuelle.

Aux fioritures de la civilisation, il oppose encore un dédain hautain. Une couturière lui parle-t-elle de « la mode » pour lui façonner un bel habit ? Il lui rétorque qu'il est vain de prendre les mesures des épaules si l'on ne mesure pas aussi le tempérament de celui qui doit porter le vêtement. Il refuse de payer la poll tax pour manifester son opposition à la guerre que mène le gouvernement au Mexique à partir de 1846.
Allongé sur le sol, les yeux dans le ciel, intermédiaire bienheureux entre les aiguilles de pin et la Voie lactée, il apprend à connaître les arbres et devient leur « ami ». Si un moustique vient zébrer le silence de ses nuits, il y entend « une Iliade, une Odyssée dans l'air ». Ses rêveries de promeneur solitaire sont ponctuées par la lecture des auteurs grecs et latins.
Ces deux ans d'exil ont suffi
à forger une légende.